Une déclaration faite le 13 mai 2014 par le président du mouvement Ennahdha, pour un site allemand, n'a semble-t-il pas suscité beaucoup d'intérêt, surtout dans le flot des événements et des déclarations tonitruantes de ces derniers jours. Rached Ghannouchi y affirme la candidature de son parti à la prochaine élection présidentielle, dans laquelle ce parti entend participer de «façon inhabituelle, de par sa créativité et son inventivité qui lui ont toujours permis de surprendre par ses positions ». De ce fait, Ennahdha pourrait opter pour la candidature de l'un de ses cadres classiques comme pour un candidat indépendant ou hors le mouvement, qui profiterait de son appui total. D'aucuns penseraient que c'est du déjà dit, sonnant le réchauffé pour mieux dynamiser l'action préélectorale d'Ennahdha. D'autres y verraient une manipulation ou une provocation visant à enclencher un repositionnement des forces politiques nationales par rapport au Mouvement. Toutefois, il est désormais évident que Hamadi Jbali est une carte stratégique initiée par Ennahdha, en accord avec l'intéressé qui, ne l'oublions pas, est un pionnier du mouvement redevable de la plus stricte discipline, comme en témoigne son passé. De toute façon, on ne démissionne pas d'Ennahdha, on y joue à la démission. En tout cas, la carte sera jouée à fond et de la façon qui conviendra, quitte à libérer le Secrétaire général du mouvement pour une candidature en indépendant si cela pouvait perturber les cartes des adversaires. De fait, c'est vrai que Ghannouchi n'a pas recréé la roue puisqu'il a énuméré les seules données possibles pour quelqu'un qui entend prendre part et parti à l'élection présidentielle : ou bien il a son candidat, ou alors il soutient un candidat de compromis, que ce dernier soit un partisan-partenaire ou un indépendant suffisamment mobilisateur pour constituer un renfort au mouvement. On n'a d'ailleurs pas tardé à voir les candidats se multiplier, se presser surtout à se faire plébisciter candidats de leurs partis respectifs, fins prêts pour le négoce. De ce point de vue, à moins d'un retournement spectaculaire de la situation, Mustapha Ben Jaafar a toutes les cartes contre lui, à moins d'une nouvelle courbure de dos plus pliée et plus basse que celle de 2011. Finalement, de l'avis de certains connaisseurs, Marzouki a su mieux se ménager pour l'éventualité d'une nouvelle « tartourerie », si c'est ce que veut encore Ennahdha pour la Tunisie. D'ailleurs sa remontée, même timide, dans les sondages laisse supposer la mise en marche d'une nouvelle machine, adaptée à la situation, avec les finances qu'il faut et qui ne semblent manquer au président. Certains prétendus informés propagent la rumeur selon laquelle il aurait proposé un million de dinars à un spécialiste des médias pour qu'il dirige sa campagne électorale. De toute façon, bien que nécessaire en quantité suffisante, l'argent ne fait pas tout et Néjib Chebbi doit en garder l'enseignement dans quelques cellules de sa tête. C'est peut-être pour cela que lui aussi est monté très tôt sur ses grands chevaux, trop tôt pour certains, au point de s'être fourré par moments dans des attitudes acrobatiques affectant sérieusement un équilibre attendu, en tout cas souhaité, chez le futur chef de la magistrature suprême du pays, pour ce qui reste en elle de suprême. Cela ne l'empêche pas de se considérer comme un favori d'Ennahdha, pour le cas où celle-ci voudrait changer de partenaire en vue de la prochaine danse électorale, ne cessant de prendre appui sur sa conviction profonde pour affirmer et réaffirmer à tous bouts de médias qu'il a de grandes chances de gagner la « course à Carthage » et de passer la ligne d'arrivée avant ses concurrents. Mais cela n'empêche pas non plus ces mêmes concurrents ou d'autres de lui signifier, chacun à sa manière, le célèbre dicton de chez nous qui, traduit littéralement, se modulerait ainsi : « Celui qui compte pour soi, se retrouve toujours avec un reste » ou alors « Celui qui se regarde dans son propre miroir, se reconnaît toujours dans de beaux restes ». Avec aussi cette résonance, en arrière-fond, qui laisse entendre l'expression « Partir sans demander son reste ». Un nouveau prétendant, Mohamed Hamdi, de même calibre désormais d'après ses propres déclarations, se la joue aussi de même nature depuis que son parti l'a désigné comme son candidat à la prochaine élection présidentielle. Cependant, quand on sait les tentatives de séduction réciproques de tous ces prétendants, on ne sait pas trop comment ils vont se présenter individuellement devant la Belle convoitée ! En effet, d'un côté ils veulent se liguer contre le bipolarisme Nidaa-Ennahdha, dans une sorte de troisième pôle, de l'autre côté, chacun des présidents de ces partis s'obstine à se rêver président de la République, au moins le temps d'une campagne électorale. De toute façon, se constituer en troisième pôle c'est chercher à ravir la place du Front populaire qui a d'ailleurs décidé de faire cavalier seul sous la bannière de son candidat déclaré Hamma Hammami. Il est vrai que ce dernier paraît totalement déconnecté des réalités économiques et de leurs contraintes pour le besoin d'une remise en marche de la machine de développement ; mais il a assez de slogans populistes pour drainer derrière lui une catégorie d'électeurs qui n'ont rien que cela pour continuer de rêver. Il y aura aussi d'autres comparses de différentes natures et de différentes tendances, mais ils resteront tous sans grande influence. Même Hechmi Hamdi doit avoir déjà le soupçon que le coup de 2011 est difficile à rejouer tel quel. A la fin, la déclaration de Rached Ghannouchi ne peut que nous ramener à la logique bipolaire, surtout que le Nidaa aussi vient de désigner Béji Caïd Essebsi comme son candidat à la présidentielle. C'est que finalement, ce parti désormais premier dans les sondages paraît avoir dit clairement son dernier mot : « Ceux qui veulent nous rejoindre pour une éventuelle candidature à la présidentielle, n'ont qu'à chercher ailleurs ». Néjib Chebbi l'avait bien compris assez tôt pour aller vite voir s'il allait pouvoir recoller les morceaux de son ancien parti (PDP), ou simplement se jeter dans les bras du Mouvement Ennahda. Ce dernier, de son côté, laisse encore miroiter la possibilité d'opter pour un partenaire crédible, autrement dit assez manipulable pour servir les objectifs du mouvement. Donc aux inconditionnels de la prétention opportuniste d'y penser et de faire leur propre calcul. Cependant, dans tout ce manège qui fait l'effet d'une nouvelle esthétique du chaos, les deux piliers solides de la prochaine échéance électorale, en l'occurrence Ennahdha et Nidaa, resterons les protagonistes de la pièce pour et par le principe qui les commande : « Le minaret peut être détruit, le mihrab reste à sa place ».