La journée du 26 octobre 2014 a vécu ; aujourd'hui est un autre jour pour la Tunisie ; il vient consolider certains principes de base et permettre de tirer les leçons qui se doivent. Le tout dans le maximum de sérénité, de réalisme et de rationalité. Les Tunisiens sont allés voter leur Conseil des députés du peuple pour cinq ans ; ils y sont allés dans une proportion différemment commentée, mais suffisante pour légitimer l'instance législative et le gouvernement que le parti premier classé sera appelé à former. Quant aux résultats, ils ont consacré la bipolarité, que de petits partis dénigraient et semblaient appréhender comme un fléau pour eux. Les Tunisiens ne les ont cependant pas écoutés et ils ont consacré cette bipolarité entre Nidaa Tounès et Ennahdha, probablement dans cet ordre. A leur périphérie relativement lointaine, il y a deux partis censés partager le poids de modération même si leurs pourcentages relatifs ne paraissent pas les doter d'un poids aussi déterminant qu'ils l'attendaient. Il s'agit du Front populaire, une coalition dont on ne sait si ses assises électorales peuvent perdurer comme une assise politique inébranlable ; il s'agit aussi du PTL (le Parti Tunisien Libre) du jeune homme d'affaires Slim Riahi accusé par certains d'arrogance financière, mais séduisant une bonne partie des électeurs, surtout parmi les jeunes. Il y aurait aussi un coup d'œil à ne pas manquer, à la queue de ce peloton de première et deuxième positions, le parti Afek Tounès du jeune technocrate qui se politise de plus en plus, Yacine Brahim, dont l'avenir politique, au vu du résultat obtenu, l'habiliterait à un rôle plus important dans l'avenir moyennant de nouvelles stratégies et de nouveaux moyens. Pour les autres partis, c'est soit le discrédit confirmé, soit la sélection naturelle. En effet, il était attendu que celle-ci opère sur un troupeau de partis qui n'avait ni stature, ni pensée de base, ni projets crédibles. Quant au discrédit, il y a lieu de le rattacher à ceux qui ont assez fait l'expérience du pouvoir et de l'action politique pour se croire en mesure de gagner encore une fois la confiance des électeurs. Il y a évidemment les partis issus de l'ancien régime, qui ont laissé voir une fragilité fondamentale des rapports qui les commandaient, dans une cohérence de façade et un poids devenu illusoire. Leurs dissensions, l'égocentrisme de certains de leurs dirigeants et d'autres lacunes encore ne leur ont pas laissé une vraie chance de rebondir. Peut-être ont-ils raté la réaction idoine au début de 2011, celle qu'un jeune Bourguiba aurait entreprise, comme en 1934, celle que Béji Caïd Essebsi a su saisir au vol. De fait, il est évident désormais que de toute sa génération et, peut-être, de toute l'école bourguibienne, il est le disciple et l'épigone le plus entreprenant et le plus efficace. Les autres partis frappés de discrédit sont incontestablement ceux de la troïka dont l'inconstance et l'opportunisme, doublés parfois d'une arrogance blessant le fond éthique des Tunisiens, ont été déterminantes pour les jeter aux oubliettes de ces élections. A l'un et l'autre de ces deux parts, mais aux autres qui sont dans leur logique ou à leur périphérie, les Tunisiens semblent dire qu'ils ont besoin de gens de principes citoyens et patriotes présidant à leurs stratégies politiques inaltérable, et non de gens téléguidés par la folie des ambitions démesurées et par la comédie des connivences maniaques. Ils les ont rejetés pour leur dire que la Tunisie ne saurait vivre de haine ni d'exclusion et que les Tunisiens ne se laissent plus prendre au discours d'auto-victimisation contre une diabolisation des autres. Il faut reconnaître ce grand mérite des Tunisiens, mais reconnaître aussi le rôle déterminant joué par Nidaa Tounès dans la concrétisation de ce message de la Tunisie, la vraie. La Tunisie à la civilisation trois fois millénaire et dotée d'une graine démocratique héritée de Carthage et toujours aussi fertile. Les élections du 26 octobre 2014 auront scellé un important effet de la société civile tunisienne, mais aussi un grand projet de rencontre d'un parti avec une majorité populaire susceptible de s'étendre davantage car, ne l'oublions pas, près des deux tiers des Tunisiens n'ont pas voté ; ils sont donc à gagner pour le Nidaa ou pour les autres. Et tant mieux que ce soit pour le Nidaa et pour les autres afin d'éviter toute amplification démesurée d'un quelconque parti au détriment des autres. C'est pourquoi, il ne saurait s'agir d'un gouvernement d'union nationale qui ne serait qu'une caricature de la troïka, à plus large partage. Un parti élu à la majorité est appelé à assumer sa politique et ses programmes. Le Nidaa a assez de réserves politiques et en compétences pour conduire son mandat : à lui de voir qui associer, comme annoncé dans son programme électoral, dans la proximité idéologique et le partage des valeurs éthiques qui permettront à la Tunisie de retrouver son rayonnement et sa crédibilité, ceux dont les électeurs viennent de donner une preuve inéluctable, et qui permettront aux Tunisiens, surtout les jeunes, de percevoir les lumières de l'espoir et l'assurance de leur destin. Force est donc de dire « Bravo la Tunisie », « Merci les Tunisiens », « merci la société civile tunisienne » ! Peut-être un peu aussi « Merci le Nidaa de Tunisie » ! Mais disons-nous d'abord : L'avenir nous attend et il est tout chargé de responsabilité.