Le journalisme citoyen a constitué le principal fer de lance de la révolution tunisienne, depuis l'immolation par le feu de Mohamed Bouazizi. Un mois après, alors que les médias officiels restaient dans leur mutisme, cet événement fut relayé par les réseaux sociaux, essentiellement, poussant Ben Ali à fuir le pays. Leurs réactions, d'ailleurs, n'ont fait qu'alimenter le feu de la révolte populaire en Tunisie. Alors que les réseaux sociaux, en l'occurrence facebook et twitter, inondaient de vidéos et de photos montrant l'ampleur des manifestations et des confrontations à Sidi Bouzid et Kasserine, nos médias se limitaient à dire que ces événements sont des actes isolés et qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter. Pour les médias étrangers, le black out médiatique exercé par le gouvernement tunisien les a amenés à recourir aux réseaux sociaux. Les vidéos qui circulaient sur facebook étaient diffusées sur les télévisions étrangères. Ce qu'on appelle désormais le journalisme citoyen l'a emporté sur la presse classique. La majorité des médias s'appuyait sur les témoignages d'observateurs citoyens. Certaines télévisions étrangères ont réussi aussi à couvrir les événements, quelques jours avant la chute de Ben Ali, bien qu'ils n'aient pas eu l'autorisation de l'ATCE pour le faire. «Nous avons pris le risque d'aller à Sidi Bouzid alors que la situation sécuritaire était très fragile. La veille du dernier discours de Ben Ali, la situation s'est d'autant plus aggravée. Les partisans du président déchu étaient partout et nous avions vraiment eu peur», nous raconte la correspondante d'une chaîne étrangère. Le rôle des observateurs était édifiant dans la couverture des événements. France 24, l'une des chaînes télévisées étrangères ayant suivi au jour le jour la révolution tunisienne, a recouru à une panoplie d'observateurs qui constituait sa principale source d'information, essentiellement avant le 14 janvier 2011. Elle a organisé, le 17 février 2011, une rencontre avec ces observateurs pour apporter leurs témoignages sur leur vécu, à cette date. Pour Sofiène Chourabi, sa couverture des événements découlait de son rôle de journaliste. Les vidéos qu'ils prenaient étaient diffusées sur France 24. «Pour moi, c'était un challenge. A maintes reprises, ma caméra a été confisquée par la police, alors j'ai trouvé une astuce. Dès que je terminais de filmer, j'enlevais la carte mémoire pour la mettre dans mes chaussettes, ce qui me permettait d'avoir toujours mes films en cas de confiscation de la camera», se rappelle-t-il. Pour la bloggueuse Lina Ben Mhenni, elle est intervenue à plusieurs reprises sur France 24, à visage découvert. «Je ne cherchais pas à me protéger. J'étais déjà très suivie, donc il ne servirait à rien de me cacher», explique-t-elle. Lina a, d'ailleurs, été très active avant et après la révolution, en visitant les villes les plus touchées par les événements et en rapportant son témoignage sur la situation dans ces régions mais aussi en partageant vidéos et photos. De son côté, le lycéen Rami Zaatour, originaire de Gabès, faisait partie des observateurs de la chaîne, en rapportant ce qui se passait dans son lycée. Sahbi Khalfaoui, un militant d'opposition, qui a témoigné sur la chaîne, a été incarcéré trois jours avant le 14 janvier 2011. Plus d'un mois après la fuite de Ben Ali, nos médias sont certes devenus plus libres, bien que cet usage de la liberté soit controversé par les uns et les autres. Mais une chose est sûre, ce sont les réseaux sociaux qui ont façonné la révolte populaire en Tunisie. Ces médias alternatifs étaient le seul recours en absence de médias officiels crédibles. Les journalistes citoyens ont mené la révolution à leur façon. Une révolution contre la censure, contre le black out et contre la dictature. Le journalisme citoyen a eu le mérite d'ouvrir la voie au journalisme classique, lui permettant de tirer les leçons des fautes du passé. Alors, peut-on parler de la naissance d'une nouvelle presse? La réponse est aussi controversée puisque la confiance ne s'est pas encore restituée du côté des Tunisiens envers les médias officiels essentiellement. Reste que le rôle de la presse classique est primordial pour entamer le processus démocratique en Tunisie. Une presse libre et responsable est un pari à gagner. Le journalisme citoyen aura certainement toujours sa place comme partenaire de cette évolution vers un avenir meilleur de la presse tunisienne.