Sortie d'une épreuve d'ordre politique, avec comme corollaire la disparition d'un bouc émissaire, une dictature «kleptocratique» et créatrice de privilèges, la Tunisie se trouve, aujourd'hui, engagée, sur le plan économique, dans une épreuve multisectorielle lui imposant de réinventer, entre autres, son industrie, jusque-là peu intégrée et peu génératrice de valeurs ajoutées. Empressons-nous de signaler tout de suite que si le prochain gouvernement adopte le modèle «mécaniste», celui-là même qui maintient les tendances passées (industrie de sous-traitance peu créatrice de valeur ajoutée, institutions d'avantages juteux au profit des investisseurs étrangers .), nous aboutirons, à coup sûr, à une situation similaire à celle d'avant 14 janvier 2011. Malheureusement, jusqu'à ce jour, c'est-à-dire deux mois et demi après la révolution, aucune lueur d'espoir de changement ne pointe à l'horizon. Les artisans-partisans de l'ancien «miracle économique» tunisien, en l'occurrence les Jouini, Chelbi, Triki, Rassaa ont survécu au tsunami du 14 janvier et au limogeage des deux gouvernements provisoires de Mohamed Ghannouchi. Ils sont toujours là soit en tant que membres du gouvernement soit en tant que conseillers du premier ministre, Béji Caïd Essebsi. Conséquence: le vent de la révolution n'a pas encore, hélas, soufflé sur l'économie du pays, et encore moins sur son industrie. Les thuriféraires de la sous-traitance continuent à dérouler le tapis rouge devant l'investissement étranger et à brandir, pour se justifier, la carte de la rente sociale qui en résulte (création d'emplois précaires). Pourtant, en cette période de révolution, les économistes estiment que la Tunisie ne peut pas faire l'économie d'un débat sur le devenir de l'industrie tunisienne, tout autant que sur ceux des autres secteurs d'ailleurs. La question est d'une extrême urgence. Tout débat sur cette question doit tirer les enseignements des stratégies industrielles du passé: la mise en valeur, durant les années soixante, des matières premières locales (industries industrialisantes), la promotion, durant les années soixante-dix, de la petite industrie de transformation, d'assemblage, de montage de complément d'usinage et de sous-traitance et l'option excessive, durant les années quatre-vingt et 2000, pour l'investissement direct étranger au point d'avoir compromis voire hypothéqué le développement dans les régions. Un intérêt particulier devrait être particulièrement porté sur les degrés d'employabilité, d'intégration, de décentralisation et de pollution industrielle. Les économistes et experts qui se sont penchés sur l'industrie tunisienne ont relevé que cette dernière pâtit d'un déficit d'identité et d'image. Pour y remédier ils proposent, l'exploration de trois pistes. La première consiste à développer une activité locomotive renouvelable et durable. L'agroalimentaire, adossé à une politique volontariste d'extension des superficies agricoles, se positionne comme le créneau structurant le plus indiqué d'autant que l'ensemble des Tunisiens en maîtrisent La seconde porte sur le développement de la production propre. Ce créneau convient parfaitement à la Tunisie qui entend rester un pays touristique respectueux de l'environnement. Cette migration vers ce qu'on appelle l'écologie industrielle permettra, au grand bonheur des Tunisiens et des touristes, de prévenir dorénavant la pollution intégrée aux procédés, produits et services, de réduire les risques pour la santé des êtres humains et l'environnement, de diminuer la production de déchets et d'en optimiser le traitement, et d'éviter toutes sortes de surcoûts générés par les matières premières, eau, énergie L'avantage macroéconomique est double: la compétitivité et la viabilité de l'économie seront inscrites dans la durée, tandis que les ressources naturelles du pays seront préservées. La troisième se propose de favoriser ce que Hichem Jouaber, ingénieur-expert, basé à Paris, appelle «la maximalisation de la valeur ajoutée sur place», c'est-à-dire la principale faiblesse actuelle de notre industrie. Pour y pallier, la solution réside dans la valorisation des travaux de recherche appliquée ou de développement entrepris dans les technopôles et universités du pays, à la faveur des synergies entre les structures d'enseignement, de recherche et de production. Dans son approche, M. Jouaber va plus loin en stigmatisant la sous-traitance comme activité peu génératrice de valeur et écrit à ce propos: «L'histoire des mutations industrielles nous démontre que les industries à faible valeur ajoutée sont des industries qui ne se fixent pas sur un territoire donné et qui se délocalisent facilement là où les coûts de main-d'uvre deviennent relativement moins chers. De plus, ces activités présentent une très faible intensité capitalistique et ne sont pas généralement génératrices d'emplois de haut niveau de qualification. C'est ainsi que nous avons vu l'industrie du textile, par exemple, se délocaliser depuis l'Europe vers l'Afrique du Nord, de là vers la Chine et maintenant de la Chine vers la Malaisie, toujours à la recherche du moindre coût de main-d'uvre».