Des dizaines de personnes envahissent tous les soirs une esplanade et un espace vert dans le quartier résidentiel d'El Mensah VI. A la recherche d'un peu d'air frais, les occupants des lieux viennent, quelquefois, en famille. On discute et on s'amuse. Les enfants sont, bien sur, là pour parcourir quelques distances en trottinette et pour jouer aux «élastiques» ou encore à un jeu qui ressemble à colin-maillard. Tous les soirs, depuis le début du mois de ramadan, c'est pareil. A partir de 20 heures, une foule s'installe dans la grande place qui fait face à la cité commerciale d'El Menzah VI, plus connue sous le nom de la Cité Jamil. Les marches des escaliers menant à une petite esplanade et à un espace, à sa gauche, couvert de gazon, et autres chaises blanches sont pris d'assaut par de nombreuses personnes venues prendre de l'air dans ce qui fait figure du seul espace vert d'El Menzah VI. On y rencontre de tout: des couples, des familles entières et des personnes seules. Quasiment tous amènent un petit quelque chose dans un sac placé à proximité. Nadia est de ceux-ci. Divorcée depuis deux ans, infirmière dans une clinique des environs, elle habite un petit appartement de deux pièces du côté d'El Menzah VII. Elle affirme venir ici par ce qu'elle n'a pas d'autres choix. «Je ne peux aller dans un café avec ma seule fille. Alors vers 21 heures, je prends deux bouteilles d'eau bien glacées, une bouteille de soda et quelques biscuits et je m'installe sur le gazon jusqu'à 23 heures-23 heures 30. Je rencontre souvent des voisins ou des gens que je ne connais pas. Ca discute quelquefois de tout et de rien. Sinon, j'observe la foule», lance-t-elle, sans se départir de son sourire. «C'est trop bruyant» Amor et son épouse Alya sont là pour accompagner leur fils, Sami, qui vient pour parcourir quelques distances avec sa trottinette. Tous deux employés de banque, ils habitent un grand immeuble situé tout juste en face. Short blanc et chemise à manche courte rouge, Amor y vient aussi pour rencontrer quelques voisins. «Au cours du mois de ramadan, je fais une petite pause côté fréquentation des cafés. C'est trop bruyant, ça joue aux cartes et puis ça fume beaucoup et je n'aime pas ça. Sans oublier que la chaleur n'est pas là pour arranger les choses». Et la conclusion est vite trouvée: «Je préfère le plein air». Amor n'a pas oublié sa bouteille d'eau, qu'il retire avant de sortir du freezer. Ainsi que sa thermos de thé à la menthe préparée par son épouse. Il envoie, quelquefois son fils, âgé de six ans, jouer à ce qu'il appelle les «élastiques». Visibles dans un coin de l'esplanade, des enfants suspendus par des sangles à des colonnes par l'intermédiaire de longues cordes les pieds reposant sur des filets de sécurité, ne cessent de se balancer dans tous les sens, comme ils l'entendent: vers le haut et vers le bas et, quelquefois, à droite et à gauche. «Cela l'amuse et tant mieux», fait remarquer Amor, tout en continuant à parler avec le gardien d'une villa des environs assis sur un tapis de pacotille. Du temps où se dressait un jet d'eau «Cela fatigue surtout Sami et me permet de bien fermer l'il jusqu'à midi, l'heure à laquelle je rentre dans la cuisine pour ne pas ressortir avant 17 heures», souligne son épouse, pour sa part. A côté des filets de sécurité qui accueillent nos trapézistes en herbe, quelques toboggans ont été plantés pour assurer l'animation des lieux. Alya regrette, toutefois, que le grand bassin de quelque 20 centimètres de profondeur, situé en bas de l'esplanade, ne soit plus en état de marche. Vidé de son eau depuis des mois, il offre un spectacle désolant: des becs détruits et des ampoules hors d'usage. «Son absence prive surtout, dit-elle, les visiteurs d'un peu de fraîcheur et du spectacle qu'il comporte». Samira est du même avis. Elle habite un foyer de jeunes filles à quelque 200 mètres de là. Elle estime, donc, que le lieu ressemblait à autre chose lorsque le jet d'eau fonctionnait. «On se réfugiait là par les grandes chaleurs», se souvient-elle. Samira est accompagnée de sa sur qui vient pratiquement tous les soirs du centre de l'Ariana avec ses deux fils, Imed, 8 ans, et Ameur, 12 ans. Ils passent leur temps à courir ou à jouer à un jeu qui ressemble à Colin-maillard. Des cadavres de boites de soda Le lieu connaît une grande affluence lorsqu'il accueille un spectacle de chant. Une grande estrade en béton construite en haut du bassin est là pour accueillir les troupes qui s'y produisent. Idem lorsqu'il y a des spectacles d'animation pour enfants. Jeux et blagues sont alors au rendez-vous. Ameur se souvient encore, à ce propos, d'un spectacle donné par une vedette du petit écran. Il s'est amusé comme un fou. Mais s'il arrive que des personnes restent sur place jusqu'à 2 ou 3 heures du matin, le gros des troupes quitte les lieux vers 1 heure lorsque les boutiques de la cité Jamil commencent à fermer les unes après les autres. Moment crucial qui offre pour Amor un spectacle qu'il ne rate jamais, celui des employés qui se cotisent pour prendre des taxis. Leurs gestes, rires et, quelquefois, leurs cris et «engueulades» excitent sa curiosité. En quittant les lieux, ses différents occupants y laissent, souvent, des cadavres de boîtes de sodas et d'eau minérale, acquises dans une baraque et un camion-boutique, qui ont pris le pli de s'installer sur les lieux. Des ordures que les employés municipaux chargés du nettoyage viendront ramasser demain.