* Ils changent de vocation et installent une culture spécifique : à commencer par la chicha au féminin Tous les soirs, en ce mois de ramadan, les cafés, lieux privilégiés des soirées ramadanesques, sont pris d'assaut par des jeunes et des adultes et même des adolescents qui se précipitent dès 20h du soir, si ce n'est avant pour s'offrir la meilleure table dans l'un des cafés de la ville qui sont pourtant très nombreux; de préférence une table sur la terrasse en quête d'une bouffée d'air frais pour éviter les odeurs et les fumées suffocantes à l'intérieur du café. Ces cafés bourrés de monde à l'excès trouvent le moyen d'augmenter en surface au point d'étaler leurs tables et chaises au-delà de certaines limites spatiales qui leur sont réservées, s'étendant ainsi de part et d'autre des trottoirs sur plusieurs mètres, histoire de recevoir le maximum de clients, sans se soucier des passants qui, la plupart du temps, doivent faire un grand détour pour atteindre leur destination.
Cafés extensibles En effet, les trottoirs sont envahis par les cafés, en ce mois de ramadan, que ce soit en ville, dans les quartiers ou même dans les villages. Ils sont devenus si nombreux qu'on peut compter jusqu'à dix cafés dans la même avenue. On a même remarqué à plusieurs endroits que certains cafés venaient d'ouvrir la veille de ramadan. Si au cours de l'année, les propriétaires de ces cafés se contentent du périmètre qui leur est destiné, ils n'hésitent pas à étendre leurs limites en gagnant du terrain à droite et à gauche souvent au grand dam des riverains qui trouvent des difficultés à accéder à leur foyer ou à garer leur voiture. Ils osent aller jusqu'au trottoir d'en face pour implanter leurs tables de telle sorte que le garçon du café doit traverser la chaussée pour servir ses clients. Pour comble d'incivilité et d'insouciance, nous avons remarqué dans une ville de la banlieue sud un cafetier étaler ses tables et chaises sous un pont à grande circulation de voitures ! Imaginez les risques encourus, en cas d'accident, par ces clients venus siroter un café ou fumer un chicha, sans compter les tracas causés par la fumée et le bruit provenant des voitures ! D'autres propriétaires de cafés ont eu l'ingéniosité de mettre leurs tables et chaises devant les entrées de maisons ou de garages, causant ainsi de l'embarras aux voisins. Comme ce citoyen qui ne cachait pas sa gêne au sujet de l'extension du café voisin : " chaque année, en ce mois de ramadan, c'est toujours la même chanson. Des tables et des chaises sont disposées devant mon garage de manière à empêcher toute sortie et toute entrée de ma voiture ! En cas d'urgence, je dois faire appel au garçon du café pour venir dégager ces tables et ces chaises pour que je puisse sortir ma voiture ! Je me demande pourquoi les autorités tolèrent cette extension qui est d'ailleurs interdite ! "
Des clients hétéroclites Ces cafés sont le lieu de prédilection pour les veilleurs de nuit en ce mois saint : ils sont fréquentés non seulement par les habitués qui à longueur d'année y passent leurs heures libres, ou par les jeunes désoccupés qui ont l'habitude de venir s'y prélasser pour tuer le temps, ou encore des personnes âgées, retraitées en général, qui s'y rendent quotidiennement pour de longues parties de domino. A part ces habitués traditionnels, ces cafés voient s'ajouter à leur clientèle d'autres catégories de gens en ce mois de ramadan. En fait, il y a ceux qui changent de vocation ; ils se ruent sur les cafés en ce mois saint, en attendant de reprendre leurs vieilles habitudes ! Il y a également ces jeunes qui, sortis de la mosquée après la prière de " Tarawih ", viennent en groupes se rassembler pour discuter de sujets religieux avant de rentrer chez eux. Il y a aussi ces adolescents, nouveaux amateurs de cafés, qui viennent occuper les lieux pendant plusieurs heures jouant et rejouant aux cartes, en faisant toutes sortes de paris, quitte à miser sur une somme d'argent, parfois dans la discrétion complète, parfois avec la complicité du garçon du café ! Majdi, un jeune de 18 ans, vient chaque soir dans le même café avec ses copains : " En vérité, c'est la première fois que je viens ici pour jouer au rami avec les copains. L'ambiance est bonne, on boit une boisson fraîche, on mange un gâteau, on plaisante et on rentre à une heure tardive, juste à l'heure du " Shour ", on dort toute la journée, étant en vacances ; et le lendemain, on refait la même chose ! " Nous avons remarqué que certains propriétaires mettent à la disposition de leurs clients un grand écran, sur la terrasse même, pour leur permettre de voir un feuilleton ou regarder un match de foot. Un autre moyen de fidéliser sa clientèle. La gent féminine ne rate pas ces soirées en café ; mais on rencontre des femmes et de jeunes filles surtout dans les cafés mixtes et plus ou moins huppés des banlieues où elles se rendent, en familles ou en compagnie de copains, pour se donner un peu de plaisir en se régalant, en bavardant autour d'une boisson chaude ou froide et pourquoi pas en essayant un narguilé aux arômes de fruits faits spécialement pour les femmes. C'est que la chicha est de plus en plus convoitée par ces femmes qui veulent imiter l'homme en tout. Nous avons abordé une jeune fille en train de partager une chicha avec son fiancé qui nous a annoncé : " Je ne vois pas quelle différence entre une cigarette et une chicha ! D'ailleurs, les femmes orientales, au Liban, en Syrie et dans d'autres pays arabes, usent énormément du narguilé ! Enfin, c'est un moyen pour tuer le temps ! " Ajoutons pour terminer cette liste que certains cafés (appelés aussi salon de thé) ont programmé durant ce mois une animation musicale pour leurs clients formés essentiellement de familles qui viennent s'offrir un rafraîchissement en écoutant de la musique tunisienne et orientale. La fréquentation de l'un ou de l'autre café dépend des intentions et des goûts personnels, de l'humeur et surtout de la bourse de chacun.
Et les cafés culturels ? Ces espaces culturels ne manquent pas chez nous. Plusieurs villes disposent d'au moins un café culturel qui organise durant le mois de ramadan des récitals poétiques, des concerts musicaux et des rencontres artistiques et littéraires. Mais apparemment, ces espaces culturels qui ont au cours de l'année leurs clients fidèles ont l'air de se désemplir en ce mois saint en faveur d'autres espaces plus attrayants. Pourtant, certaines gens, préférant le calme et la tranquillité, se rendent volontiers à ces cafés culturels pour faire une partie d'échecs ou de scrabble, ou assister à une conférence ou à une projection de films ou encore écouter des chansons religieuses dans le cadre du programme de l'animation culturelle de la ville. Nous avons visité l'un de ces cafés culturels dans la banlieue sud et, à notre grande surprise, nous l'avons trouvé presque vide, pourtant il y avait un programme d'animation culturelle ce soir-là ! ces cafés ont certainement besoin d'un programme assez alléchant pour drainer le maximum de gens, surtout parmi les jeunes !