Turquie, Liban et Jordanie sont pour le moment les seules victimes d'une internationalisation de la guerre en Syrie. Voulue par ce dernier pays qui compte «exporter» ses problèmes, cette guerre pourrait toucher plus vite que prévu Israël. Et les Etats-Unis le savent. La guerre syrienne s'internationalise de plus en plus. Turquie, Liban et Jordanie sont pour le moment et seulement pour le moment- les pays affectés par cette guerre. La Turquie, qui est appelée, avec la durée, à recevoir de plus en plus de réfugiés syriens, a vécu lundi 20 août 2012, à l'heure d'un attentat qui a fait neuf morts. Le Liban connaît, à Tripoli, dans le nord du pays, des affrontements entre partisans et adversaires du régime alaouite de Bachar Al Assad qui a fait, depuis leur éclatement, il y a près d'un mois, au moins une dizaine de morts. La Jordanie, qui a déjà reçu des réfugiés de son voisin du nord, reçoit des tirs de l'armée syrienne, qui aurait, selon l'agence Reuters, pénétré sur le territoire jordanien. Cette internalisation était attendue. Les pays voisins de ceux qui connaissent des conflits finissent toujours par être confrontés à ces conflits. Reste à savoir aussi si cette internalisation n'est pas voulue. Théoriquement, elle ne peut que constituer une arme entre les mains de la Syrie pour mieux gérer le conflit. Il est certain que le régime syrien n'a aucun intérêt à se que la guerre que lui livre aujourd'hui une coalition de pays conduits par les Etats-Unis d'Amérique en vue de dessiner une nouvelle carte du Moyen-Orient s'éternise. Elle finira par l'affaiblir. Elle a donc tout intérêt à ce qu'elle finisse au plus vite en sa faveur. Comment faire? Un Talon d'Achille: la communauté kurde en Turquie Un des moyens les plus efficaces est de l'«exporter». D'autant plus que la Syrie en a les moyens. La Turquie, le Liban et la Jordanie et ce n'est pas un hasard ont été touchés les premiers. Commençons par la Turquie, acteur important de la coalition anti-Assad, a un Talon d'Achille que la Syrie ne manque pas d'utiliser: sa communauté kurde. Celle-ci forte de quelque 13 millions de personnes constitue près de 45% des 30 millions de kurdes (21% de la population de la Turquie) qui vivent essentiellement dans quatre pays: Turquie, Iran, Irak et Syrie. Un peuple kurde, qui rêve d'un Etat kurde. La Syrie vient de lâcher la bride à sa communauté kurde (près de 10% de la population) vivant pour l'essentiel au nord-est du pays. De nombreux témoins affirment que cette partie, présentée comme le Kurdistan syrien, est tenue par le PYK, parti proche du PKK turc (Parti des Travailleurs du Kurdistan), qui mène une guerre sans merci contre la Turquie. Le drapeau kurde a été vu dans des villes kurdes syriennes, comme celle de Derik, une cité de 50.000 habitants située à peine à 10 kilomètres des frontières turques et irakiennes. On comprend la suite: le régime syrien souhaite que cette action crée une dynamique qui favorisera une insurrection du côté turc qui peut être encouragée et soutenue par les kurdes syriens et irakiens (qui disposent déjà d'un Etat). 42 milliards d'euros Venons maintenant au Liban où le régime baathiste syrien a beaucoup d'atouts: une profonde connaissance du pays qu'il a pratiquement gouverné entre 1976 et 2005, de solides alliances avec notamment le Hezbollah chiite et pas seulement- et la présence d'une communauté alaouite, vivant pour l'essentiel au nord du pays. Etat multiconfessionnel (le Liban compte quelque 18 communautés), il est une poudrière permanente où les alliances se font et se défont pratiquement tous les jours. Pour un rien, des heurts peuvent être provoqués avec Israël, ennemi juré de nombreuses communautés, dont la communauté chiite. Une communauté qui serait majoritaire au niveau de la population (aucun recensement n'a été réalisé depuis les années quarante dans ce pays) et qui tient les rênes du gouvernement dirigé par Néjib Mikati. Une éventualité qu'Israël, qui pense à tout, n'éloigne pas du tout. Les déclarations de son Premier ministre, Benyamin Netanyahou, le mardi 14 août 2012, sur des attaques contre l'Iran, rentrent dans le cadre de cette tentative de stopper cette internationalisation du conflit syrien. Il s'agit d'isoler les Iraniens qui apportent un réel soutien à l'ami syrien. Pour la Jordanie, l'exportation de ce conflit dans ce pays peut attiser les conflits internes dans ce pays où une bonne partie de la population souhaite un vrai changement. Ces derniers ne toucheraient pas automatiquement le Palais, mais apporteraient des réformes au niveau de l'exercice du pouvoir et de la répartition des richesses. Les Jordaniens de souche auraient exprimé quelquefois «la mainmise» des Jordaniens d'origine palestinienne et des Tcherkesses (fidèles parmi les plus fidèles à la monarchie) sur des pans du pouvoir politique et économique du pays. La présence d'une importante communauté d'origine palestinienne crée du reste un équilibre difficile et instable dans ce pays qui semble faire affaire avec la présence avec Israël dans la région. La Jordanie est liée, depuis 1994, par un accord de paix avec Israël qui apporte des solutions aux conflits, notamment territoriaux, entre la Jordanie et l'Etat hébreu. Quoi qu'il en soit, toucher à ces trois pays ne peut qu'entraîner une réaction des Etats-Unis qui a peur pour l'équilibre qu'ils ont institué dans la région. D'autant plus qu'Israël et les Américains le savent- devra être une des cibles de cette internationalisation. Une étude réalisée par la BDI-COFACE, une filière israélienne de la COFACE, institution spécialisée dans l'assurance du commerce extérieur, affirme qu'un conflit avec l'Iran pourrait coûter 42 milliards d'euros (le double en dinars tunisiens) à l'économie israélienne. Tout le monde sait qu'en cas de conflit avec l'Iran, Israël recevra des coups de la part de l'Iran mais aussi du Hezbollah. L'Iran cherchera, par ailleurs, à internationaliser le conflit. En perturbant le commerce dans une zone des plus sensibles du monde: le détroit d'Ormuz. L'Iran pourrait également être tenté, par désespoir, de frapper des bases américaines dans la région. Notamment celle d'El Oudeid au Qatar. L'internationalisation du conflit syrien aurait alors atteint son paroxysme. Politique fiction? Peut-être pas!