Le marché du conseil et de la formation ne représente guère que quelques dizaines de millions de dinars en Tunisie. C'est un secteur encore immature mais appelé à progresser et jouer un rôle important dans l'économie tunisienne, dans la mesure où la compétitivité des entreprises dépendra de la qualité de l'offre en services intellectuels. A l'exception de certains services, comme la formation professionnelle, ce secteur des services aux entreprises (BtoB), est très peu réglementé. Un opérateur économique tunisien ou étranger peut exercer avec seulement une patente professionnelle délivrée par l'API. Nous constatons, avec inquiétude, l'essor d'une nouvelle force concurrentielle sur le marché tunisien, matérialisée par des services BtoB non conventionnels offerts par des associations étrangères à but non lucratif, faisant appel à des retraités voire des chômeurs longue durée. Ainsi, des associations européennes (dont SES, ECTI, AGIR, etc.) se sont regroupées sous la bannière d'une fédération européenne C.E.S.E.S (www.ceses.net). Cette dernière jouissant d'un réseau d'experts seniors de près de 25.000 personnes et bénéficiant de subventions européennes, dispose d'une représentation permanente dans plusieurs pays, dont la Tunisie. A la lecture des prestations de services proposées par C.E.S.E.S, nous constatons que la valeur ajoutée apportée par ces travailleurs séniors «bénévoles», est à même de participer à des appels d'offres internationaux pour des services de conseils avec des cabinets de renom, sur des pays émergents (Tunisie, Algérie, Egypte, ). Dans son bulletin d'information, CESES avoue qu'elle participe à des appels d'offres internationaux financés par l'UE, par le biais de cabinets européens. Ce qui leur permet de réduire leurs coûts et concurrencer indirectement des prestataires locaux. Chaque mission faisant l'objet d'un contrat BtoB où figure l'objectif de la mission, sa durée, le nom de ou des intervenants,.... ainsi que le montant des frais de mission qui inclut généralement des frais fixe de dossier, les frais de transport et d'hébergement, les primes d'assurances, etc. Or ce contrat pose de nombreux problèmes juridiques, car en contradiction totale avec les textes de lois sur le recrutement et le travail des étrangers en Tunisie, mais aussi produit une concurrence déloyale du fait que ces associations de seniors bénévoles ne sont pas soumises aux mêmes droits et obligations que les prestataires dûment patentés. Voici les faits : 1- Les associations de seniors bénévoles apportent une perturbation sur le marché en proposant des services "subventionnés et gratuits" qui empêchent l'essor des secteurs concernés. Les prestations de C.E.S.E.S n'étant pas assujetties à la T.V.A, ni à la cotisation CNSS ni à l'impôt, constituent, à notre sens, un acte de concurrence déloyale. En effet, C.E.S.E.S est financée par des fonds européens, et ses prestataires bénévoles vivent de leurs primes de retraites ou chômage, peut se permettre de vendre ses prestations à prix coûtant (frais des experts uniquement). De plus, SES profite aussi d'un soutien institutionnel et prospecte le marché grâce au soutien de certaines chambres mixtes pour concurrencer directement les bureaux d'études, conseil et formation tunisiens. 2- Les associations de seniors bénévoles sont des fournisseur de professionnels venant exécuter en Mode 4 (de la nomenclature de l'OMC) des services en Tunisie. Rappelons que le travail des étrangers en Tunisie même temporaire- est strictement réglementé. Ce mode n'étant pas libre, les associations étrangères telles que SES, ECTI, AGIR sont en contradiction avec les accords bilatéraux signés par la Tunisie. Imaginons un seul instant comment seront accueillis des retraités tunisiens en Europe, et qui voudraient appliquer la réciprocité ! 3- Les associations de seniors bénévoles permettent le travail de retraités, interdit dans le droit du travail tunisien. D'après la plaquette de C.E.S.E.S, le nombre total d'intervenants potentiels est de 25.000 aujourd'hui. Vu la pyramide des âges en Europe, ce nombre ne peut que croître. On peut imaginer que dans quelques temps, enchantés par la brèche dans notre dispositif juridique, des centaines d'experts comptables, d'avocats, de formateurs, et d'ingénieurs retraités, touchant leurs primes dans leurs pays d'origine, viendront travailler en Tunisie, tout en faisant acte bénévole de soutien au développement. 4- Les associations de seniors bénévoles étrangères n'ont pas d'existence juridique en Tunisie et ne publient pas de rapports aux autorités tunisiennes, pourtant certaines d'entre elles disposent d'un compte bancaire. Ceci prouve qu'il y a des transferts d'argent qui pourraient permettre d'évaluer en partie le volume des missions traitées. A titre d'exemple, ECTI, dont les experts perçoivent 300 DT environ par mission au titre de frais de dossier, fait valoir sur son site web plus de 1.600 missions en 25 ans, rien qu'en Tunisie. L'argument qui dit que les services des seniors bénévoles, du fait de leur «gratuité», revêtent un caractère d'utilité publique car au service du développement des PME/PMI, montre une inconscience des dangers qui se cachent derrière ces pratiques. Personnellement, je pense que ce n'est pas aux ONG étrangères de se substituer aux autorités pour offrir des encouragements aux PME/PMI. Laisser faire sans cadre juridique clair, sans responsabilité et obligations légales des associations de professionnels bénévoles, revient à encourager le marché parallèle dans les services intellectuels. C'est trivial mais cela mérite d'être rappelé : Le fait de ne pas voir le danger, ne veut pas dire que le danger n'existe pas.
NB: Suite à la réclamation du représentant de l'association SES en Tunisie, l'auteur de l'article, après vérification, confirme qu'une erreur s'est glissée dans le texte initial et que l'association européenne des seniors est la C.E.S.E.S et non S.E.S.
Texte du droit de réponse du représentant de S.E.S en Tunisie, cliquez-ici