L'ordinateur est une sorte de super-machine pouvant résoudre toutes sortes de problèmes n'ayant aucun lien apparent entre eux : du jeu en réseau aux bases de données en passant par le calcul de l'écoulement des fluides. Comment en est-on arrivé là ? Evidemment personne ne s'est réveillé un beau matin en se disant : 'je vais inventer une machine qui pourra résoudre tous (ou presque) les problèmes que je pourrais lui poser''. L'ordinateur est un cas étonnant : il a été "inventé" pour répondre de manière négative à des interrogations d'ordre philosophique. Ce n'est que bien plus tard que ses applications furent trouvées ! Tout commence dans l'antiquité. Les philosophes s'interrogeaient sur des paradoxes dont on ne pouvait dire s'ils étaient vrais ou faux. Le plus simple de ces paradoxes est le suivant : "je mens". Cette petite phrase les mettait dans un embarras incroyable. En effet, de deux choses l'une : soit en disant "je mens", je dis la vérité alors cela signifie que je mens donc que je ne dis pas la vérité ; soit je ne dis pas la vérité mais alors en disant précisément "je mens", je dis la vérité. Dans les deux cas on se retrouve face à des contradictions qui se renvoient l'une l'autre comme les images de deux miroirs face à face. Aux XVIIe siècle Leibniz, un génie universel (philosophe, mathématicien, logicien : aucun domaine du savoir ne lui échappait), marque une étape importante. Il s'interrogeait sur la mécanique des mathématiques et il rêvait d'une langue mathématique universelle où l'on pourrait tout exprimer sans ambiguïtés. Ses travaux de systématisation des syllogismes (datant d'Aristote) ont servi de fondement à la logique moderne. Il fut également le premier à imaginer une machine qui pourrait énoncer des vérités mathématiques. Le véritable tournant eut lieu au congrès de mathématiques de Paris en 1900. David Hilbert, le plus grand mathématicien du XIXe siècle y proposa une liste de 23 problèmes à résoudre pour le futur. Ces problèmes, dont certains ne sont toujours pas résolus, formèrent une vraie carte routière des mathématiques du XXe siècle. Parmi eux s'en trouvait un sur les fondements des mathématiques. On peut le formuler en trois sous-questions : Est-ce que tout ce que l'on peut prouver en mathématique est forcément vrai (on parle de consistance) ? Est-ce que tout ce qui est vrai est aussi prouvable (il s'agit de la complétude) ? Est-ce qu'il existe une méthode infaillible pour décider si un énoncé mathématique est vrai ou faux (c'est la propriété de décidabilité) ? Hilbert pensait que la réponse à ces trois questions était oui. Il avait tort, comme le montra dans les années 30 un logicien autrichien, Kurt Goedel, en prouvant que les mathématiques n'étaient pas complètes (tout ce qui est vrai n'est pas prouvable). La réponse négative à la question de la complétude fut un véritable choc, personne ne s'y attendait. Elle frappa tellement les esprits qu'en tentant de comprendre sa démonstration et en s'interrogeant sur la question de la décidabilité, un jeune mathématicien anglais du nom d'Alan Turing inventa une sorte de machine idéale permettant de faire des calculs élémentaires. Il venait de formaliser la notion de "méthode" énoncée dans le problème d'Hilbert. C'est en étudiant de près cette machine que Turing se rendit compte qu'elle pouvait tout calculer (ou presque) en suivant un certain codage : l'ordinateur et la programmation étaient nés. Il fallut attendre la fin de la Seconde guerre mondiale pour que cette machine idéale se transforme en machine réelle. C'est donc pour répondre négativement (en effet Turing montra que le sous-problème de la décidabilité n'était pas possible à résoudre) à des interrogations sur le fondement des mathématiques, sur la notion de vérité et de prouvabilité que l'ordinateur fut inventé. Au départ il s'agissait d'une simple démonstration mathématique qui finit par déboucher sur une des révolutions industrielles parmi les plus importantes de l'humanité.