Ne venez pas ! Restez chez vous ! Vous y êtes bien installés et c'est mieux que chez nous ! De toute façon, vous n'avez pas où crécher et nous n'avons pas d'emplois à vous donner. Longtemps après avoir dit cela, les différents pays européens ont fini par utiliser un autre moyen pour dissuader «nos» candidats à l'émigration à traverser la Méditerranée. Par nos, j'entends Tunisiens, Maghrébins et Africains. L'autre moyen est celui du bâton : des lois répressives se sont mises en place et les boat people sont désormais accueillis par des forces frontalières de sécurité prêtes à les héberger quelques jours dans des prisons (qu'ils appelleront des centres de transit, comme ils ont appelé les femmes de ménage des techniciennes de surface) avant de les renvoyer illico presto d'où ils sont venus. Cette méthode non plus n'a pas découragé «nos» candidats et ce malgré les gros risques et périls qu'ils prennent, malgré l'exorbitant coût du voyage, malgré les centaines voire milliers de morts que la Méditerranée dévore, malgré l'accueil répressif qu'ils retrouvent, malgré le racisme, malgré la législation qui s'est endurcie dans leurs pays respectifs (dont le nôtre) concernant le passage clandestin des frontières malgré, malgré, malgré. La dernière trouvaille des Européens a été d'aider les pays du Sud à lancer des projets économiques afin de limiter l'émigration. C'est à ce titre qu'une ligne de crédit a été octroyée dernièrement par l'Italie à la Tunisie et destinée au financement de petits projets économiques dans les zones les plus touchées par le chômage dans le pays, en vertu d'un accord conclu entre l'Organisation mondiale de l'immigration (OMI) et la Banque tunisienne de solidarité (BTS). La première tranche s'élève à 250.000 euros. Premier mécanisme du genre au Maghreb, il tend à consolider l'infrastructure économique dans les zones d'intervention, particulièrement touchées par le chômage et l'émigration, afin de limiter le départ des habitants et de fixer la main-d'oeuvre dans sa région d'origine. Voilà de l'argent, mais restez chez vous s'il vous plaît ! Malgré tout cela, les pages de faits divers de nos tabloïds continuent quasiment tous les jours à nous parler de l'échec d'une tentative d'émigration clandestine, de l'arrestation des candidats, de leurs punitions. J'ai quelques questions à mes chers compatriotes et voisins candidats à l'émigration. Avec ces questions, que j'ai posées il y a quelques années à un jeune cousin qui voulait s'exiler en France, j'ai réussi à dissuader, au moins un, à un triste sort. J'espère en faire de même aujourd'hui. - Vous regardez la télé (notamment celles du Golfe) et les batailles entre Israéliens et Palestiniens ou Irakiens et Américains et vous prenez pour de l'argent comptant tout ce qu'on vous dit quand les Arabes sont réprimés. Vous ressentez l'humiliation. Pourquoi ne ressentez-vous pas la même chose quand vous voyez vos frères Tunisiens et Maghrébins, renvoyés chez eux ou avalés par les vagues ? Pourquoi voulez-vous quand même et malgré tout partir à ce soi-disant eldorado européen où on ne veut pas de nous ? - Vous regardez la télé (notamment celle de l'Europe) et vous voyez ces jours-ci ces milliers de SDF dormir à la belle étoile (et je doute qu'il y ait des nuits étoilées en cette saison) sous le froid, sur la chaussée. Pensez-vous que vous n'allez pas subir le même sort peut-être ? - Vous regardez la télé (vous n'êtes certainement pas au courant des taux de chômage en Europe). Pensez-vous que vous allez trouver un travail que des Européens «pure souche» n'avaient pas trouvé ? - Pensez-vous qu'avec votre langue maternelle arabe (ou autre langue africaine) et votre français cassé (ou avec accent) vous pouvez concurrencer un candidat européen à l'emploi ? - Pensez-vous que vous pouvez réussir en Europe, dans une culture qui n'est pas la vôtre, dans un milieu qui n'est pas le vôtre, dans une langue qui n'est pas la vôtre, alors que vous avez échoué dans votre pays, dans votre milieu, votre culture, votre langue avec votre famille ? - Quand vous êtes en panne d'une cigarette, d'un repas ou d'un médicament, il y a toujours chez vous quelqu'un pour vous dépanner, vous secourir, vous guérir. Et là-bas ? - Vous me diriez, oui, mais regardez ceux qui ont réussi et qui sont revenus avec leurs belles bagnoles et belles fringues en deux-trois ans. Je vous dirais, on ne gagne nulle part son argent facilement à moins de sombrer dans l'illégalité et les trafics illicites. Etes-vous prêts à risquer de passer le reste de vos jours dans une prison, soit-elle européenne ? - Vous me diriez, oui mais il y a ceux qui réussissent en gagnant légalement leur vie. Je vous dirais oui, mais ceux-là auraient réussi également chez eux, car ils ont toujours choisi la légalité et le travail et n'ont pas choisi d'aller contre les lois comme vous le projetez actuellement et n'ont pas passé leurs heures de chômage au café à jouer aux cartes. Ils ont accepté de faire des choses là-bas qu'ils refusaient de faire ici (garçon de café, plongeur, etc.). Ils ont travaillé là-bas tous les jours de 6 heures à 22 heures alors qu'ils voulaient chômer ici les après-midi de l'été et du ramadan et ne travaillaient le reste des mois que quelques heures par jour. - Vous me diriez, oui mais là-bas il y a plus d'opportunités. Je vous dirais oui, mais là-bas il y a également plus de candidats pour ces opportunités. Tentez d'abord sérieusement les quelques opportunités d'ici alors que vous avez plus d'atouts ! - Vous me diriez, oui, mais les perspectives là-bas sont meilleures. Je vous dirais, oui, mais les risques que vous prenez sont aussi supérieurs. - Vous me diriez oui, mais le cadre de vie est meilleur. Je vous dirais, il n'y a aucun cadre de vie qui vaut mieux que votre quartier et votre famille. Faites de telle sorte d'améliorer ce cadre de vie plutôt que d'aller trouver un cadre de vie tout prêt ! Les exceptions à tout cela existent certes et ce sont ces exceptions qui confirment tout ce que je viens d'avancer. L'émigration est belle, j'en conviens, et on peut réussir. Faut-il que l'on soit d'abord bien armé. Et ce n'est nullement le cas de ces candidats à l'émigration clandestine vers qui mon discours était destiné. R.B.H.