- Les blogs, l'explosion du 'moi-je'' - La naissance de la famille virtuelle - La rencontre, pour garder le goût du corps
Plus de 50 millions d'inscrits sur Facebook. Autant de bloggeurs dans le monde entier. Aujourd'hui, on est tous connectés. Et on fait tout sur le Net : on discute, on tombe amoureux, on joue, on vend, on achète... Bref, les nouvelles technologies ont bouleversé notre quotidien.
C'est tout l'objet de Virtuel, mon amour, le dernier ouvrage de Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste. Il décrypte pour nous ces nouveaux comportements.
"Virtuel, mon amour - Penser, aimer, souffrir à l'ère des nouvelles technologies", de Serge Tisseron, éditions Albin Michel
50 millions de blogs ont été créés depuis 2004. La France se situe même parmi les premiers pays de la blogosphère. Comment expliquez-vous qu'autant d'individus aient envie d'étaler leur vie au grand jour ?
C'est une évolution logique du désir d'intimité apparu dans les années 1940-1950. C'est l'époque de la publication d'Une Chambre à soi de Virginia Woolf, de l'apparition des salles de bains qui ferment à clef, des armoires personnelles pour les patients dans les hôpitaux... Le problème, c'est que l'intimité devient vite ennuyeuse lorsqu'elle n'est pas partagée. Après un demi-siècle de repli sur soi, on a eu envie se raconter. Alors on a cherché les bons interlocuteurs. Ceux qui nous comprennent. Et on les a trouvés dans les forums, sur les chats, et bien sûr, en créant son propre blog.
C'est une démarche un peu narcissique ?
En effet, mais l'égocentrisme, c'est la nature humaine. Même avant Internet, ma grand-mère me disait "Parlez-moi de moi, y a que ça qui m'intéresse". La préoccupation de soi s'exprimait alors dans les rapports avec ses proches. Aujourd'hui, ce désir de reconnaissance et de valorisation passe par la Planète toute entière. Sur son blog ou sa page perso, on se survend, on se présente de la manière la plus séduisante possible.
Et Facebook, qu'en pensez-vous ?
Je ne peux que déconseiller de s'inscrire sur Facebook. Pour moi, c'est le lieu du mensonge et de la frime, de l'accumulation. C'est à celui qui aura le plus grand nombre d'amis. Et tous les moyens sont bons pour y parvenir. Du coup, on ne sait jamais si l'identité d'un membre est authentique. On ment sur son âge, son physique, son métier. Certains utilisateurs se font même passer pour des stars.
Comment analysez-vous l'engouement massif pour ce genre de réseau ?
On est en train de changer d'ère. Les espaces sociaux marquent la fin du "moi-je" sur le Net et vont progressivement supplanter les blogs. Et c'est ainsi qu'on assiste à la formation de petites communautés basées sur des centres d'intérêt communs. La mode va donc être au cocooning Internet, c'est-à-dire que chaque soir, on retrouvera sa petite famille virtuelle pour échanger et communiquer.
Famille réelle et famille virtuelle vont donc devoir coexister...
Oui, mais la famille réelle n'est pas pour autant menacée, dans la mesure où l'on adapte ses comportements. Il va falloir garder du temps pour sa famille physique, et s'efforcer de partager dans la réalité. En instaurant des rituels de retrouvailles quotidiennes. Le repas du soir est un moment à sauvegarder absolument, en préparant par exemple de bons petits plats qui feront plaisir à tout le monde.
Ce développement du virtuel vous inquiète ?
Ma seule crainte, c'est que l'on perde le goût du corps, l'envie de se sentir, de se toucher. Quand on chatte régulièrement sur des forums ou sur Msn, on éprouve de moins en moins le besoin de se rencontrer pour de vrai. La preuve : autrefois, quand on rencontrait quelqu'un dans un dîner, on lui demandait son numéro de téléphone pour le revoir plus tard. Aujourd'hui, on lui demande son mail et on se contente d'échanger virtuellement. Pourtant, nous avons fondamentalement besoin que le corps soit présent. Alors on essaye de compenser, c'est pour cette raison que le marché des massages s'est tant développé. Mais le problème, c'est que dans les massages, on ne rencontre que son propre corps !
Alors que conseillez-vous ?
Considérons et utilisons le virtuel comme une porte d'entrée vers le réel. Il faut rapidement faire l'effort de se soumettre à l'épreuve de réalité en rencontrant ses interlocuteurs, pour les voir, les toucher. Je trouve formidable par exemple que des bloggeuses culinaires organisent régulièrement des repas entre elles. Mais pour en arriver là, la démarche première sur Internet doit être de privilégier des sites dont la véritable finalité est la rencontre réelle.
Quels sites par exemple ?
Peuplade.fr, qui permet de rencontrer sur la toile des voisins, des habitants de son quartier avec lesquels on peut échanger des bons plans, ou des services dans la vraie vie. Copains d'avant également. On y renoue avec ses amis d'enfance. Dans ce genre de cas, Internet a un pouvoir extraordinaire !