M. Hechemi Ghachem est directeur artistique de l'Espace Bouâbana des Arts Plastiques. Lui-même artiste-peintre et journaliste (quand la plume lui manque), il nous parle ici de l'Espace et du secteur en général.
Comment définir cet espace ?
L'Espace Bouabana ne saurait être assimilé aux autres galeries. Il présente une spécificité déterminée parce qu'il a été fondé selon le cahier de charges de 2001 qui encourage les cafés et les restaurants à s'ouvrir sur les arts plastiques. C'était donc un appel aux investisseurs privés à s'ouvrir sur les arts. Il se trouve que ce cahier de charges n'a pas été respecté par l'autorité de tutelle. Par exemple, la Commission d'achat est passée une fois ici et a demandé la raison de ce mélange entre restaurant et galerie. Nous avons dû expliquer que nous fonctionnons dans la légalité et sur la base d'un document officiel. Du coup, la Commission n'est plus jamais revenue.
Justement, comment fonctionne l'Espace ?
Derrière l'Espace il y a un homme d'affaires qui se trouve être un grand amateur d'arts plastiques et l'un des principaux collectionneurs d'uvres d'art de Tunis. Il a donc ouvert cet espace avec priorité à la création : on a donc un atelier qui répond aux normes du cahier de charges. Oui, il y a aussi un restaurant fréquenté par les intellectuels, les artistes et les amateurs d'art, mais un restaurant bien équipé de cimaises. Faut-il rappeler que depuis le 18èmle siècle, ce sont, de tout temps, les endroits publics, notamment les cafés, qui ont abrité les arts plastiques tout comme d'ailleurs les hommes de lettres.
Combien d'artistes peintres sont passés ici ?
A l'ouverture, on a rassemblé à peu près une petite vingtaine d'artistes confirmés. Bientôt, on va fêter la 2ème session des Journées de beaux Arts de Bouâbana (le 22 mars), ce sera notre 4ème année.
D'après vous, quels sont aujourd'hui les grands noms de la peinture tunisienne ?
Difficile à dire. Des grands par rapport à qui, à quoi ?... L'Etat a été jusqu'ici le seul acquéreur des arts plastiques en Tunisie. Mais que va retenir l'Histoire par-delà le choix de l'Etat ?... Aujourd'hui, on en appelle au secteur privé, car on n'est plus capable de faire face au pouvoir des collectionneurs privés. La seule expérience des privés s'est passée ici même ; nous présentons une possibilité et un espace privé où on concède une avance sur recettes que l'Etat ne fait pas. Ici, le peintre qui prépare une exposition n'a pas à se soucier de son quotidien ; pour chaque uvre agréée par la direction, est consentie une certaine somme d'argent.
Laquelle est déduite par la suite
Non, cet espace n'est pas créé pour faire de l'argent, mais pour donner de la valeur aux artistes et à l'art tunisien. Que l'espace vende ou non, peu importe. Si on ne vend pas, l'espace achète même la totalité. Malgré les risques, on achète nous-mêmes si on pense qu'il y a de la valeur.
Que représentent les jeunes en termes de vente ?
Pas beaucoup. On ne construit pas sa valeur au bout d'un an, mais sur 25-30 ans. Il faudrait que les médias suivent, que l'artiste lui-même prouve qu'il est capable de faire ses preuves. Le marché lui-même est en train de progresser : il s'agit simplement de savoir intéresser les couches sociales moyennes pour l'acquisition d'uvres d'art pas trop chères. Vendre à 300-400 dinars, oui, c'est possible, mais pas toujours à 3000-4000 mille dinars. Il faut se dire qu'il n'y aura plus de grands noms de la peinture ni en Tunisie ni ailleurs sauf quelques réelles exceptions. Car tout a été dit, tout a été fait. Le grand handicap de la peinture tunisienne c'est la télévision et les journaux : ceux qui parlent de la peinture ne savent absolument rien de la peinture, et encore moins comment faire promouvoir l'art pictural tunisien. Il faut savoir créer la valeur de nos artistes.
Parlons chiffres. L'Espace gagne combien sur une exposition ?
Pas grand-chose. On a gagné sur quelques noms, mais nous ne rêvons pas. La plupart des galeries vivent de l'apport de l'Etat : si la Commission ne passe pas, il n'y a pas de vente. En ce qui nous concerne, oui, il nous est arrivé de tout vendre sur tel ou tel nom d'artiste. Mais je dois dire que nous affichons des prix raisonnables : cela va de 600 à 1 400 dinars pour un nom confirmé, les autres c'est jusqu'à 450 dinars, peut-être aussi jusqu'à 700 dinars.
Desquels vous retenez ?
30 % ; mais c'est nous qui finançons les frais de la peinture, des toiles, l'avance et tout le reste. Ici, on se dit qu'on prépare une équipe qui va demain gagner.
Comment a été 2007 ?
En termes de valeur, nous en avons créé quelque chose autour de 50 mille dinars. Je parle des uvres créées, non de la vente. On en a vendu une partie, on en a acheté l'autre. Une uvre d'art se fait de la valeur sur le long terme. Nous, on est en train d'investir.
En somme, comment va le secteur ?
Très bien. Les Tunisiens commencent à acheter. Par exemple, cette année, je pense que je vais beaucoup vendre en misant sur les grandes surfaces et sur une production picturale à la portée des citoyens moyens, c'est-à-dire de 300 dinars à 400 dinars la pièce, et même à 100 ou 50 dinars s'il le faut. Or, ce qu'il faudrait maintenant, c'est former un comité chargé de la création d'un musée d'art moderne en Tunisie. C'est le musée qui représente l'Etat qui va créer la valeur de l'artiste. Notre valeur doit être une responsabilité de l'Etat prise par l'Etat, en fondant un comité qui conseillerait l'Etat et qui suivrait à la lettre le marché.
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