Propos recueillis par Imed Eddine Boulaâba en marge du forum International de «Réalités» : l'Union pour la Méditerranée : Enjeux et Perspectives. «Si l'ambition actuelle pour développer la Méditerranée est comparable à celle des années cinquante pour construire l'Europe, il va de soi que la méthode diffère puisque le contexte a profondément changé. Pour que cette entreprise soit féconde, il faut à l'évidence qu'elle constitue, aujourd'hui, pour tous les riverains, une valeur ajoutée et non un obstacle supplémentaire venant renforcer encore la complexité des cadres multiples qui s'enchevêtrent dans cette zone», déclare M. Jean Dufourcq, stratégiste et chercheur pour le compte du ministère de la Défense en France, qui a répondu aimablement à nos interrogations concernant la portée d'un projet désormais européanisé, les structures en gestation dans la perspective du sommet du 13 juillet prochain en France et les professions de foi des uns et des autres, porteuses de polémiques et d'appréhensions. Webmanagercenter : Voudriez-vous présenter les objectifs de l'Ecole Militaire de Paris à nos lecteurs ? L'Amiral Jean Dufourcq : Il s'agit d'un Centre d'Etudes et de Recherches, rattaché au Ministère de la Défense, chargé de réfléchir sur les conflits, les crises et les questions sécuritaires dans le monde tout en priorisant, et c'est notre destin qui le commande, le pourtour méditerranée- carrefour et passerelle d'un ordre marchand millénaire- à notre sens, indispensable à la stabilité politique et économique du continent, à une nouvelle croissance fondée, à l'instar des façades pacifiques, sur la recherche et l'innovation et à la mise en place d'une réponse collective aux enjeux colossaux d'un 21eme siècle, confronté déjà aux défis des émiettements étatiques, aux dures réalités écologiques et aux rudes questions de la redistribution économique. Que pensez-vous des desiderata des uns et des autres concernant le projet d'Union pour la Méditerranée ? La faille est de l'intérieur. Il existe, tout d'abord, un déficit de compréhension entre les pays riverains qui doivent, il y va de leur survie au sein d'un monde globalisé, se regrouper pour défendre leurs intérêts, dissiper les éventuels quiproquos et identifier, dans un esprit de partenariat solidaire, leurs besoins spécifiques. En tant qu'expert, je considère les litiges et les blocages de voisinage sud-sud, à l'image du différend algéro-marocain, comme une lacune stratégique, totalement illisible pour le nord et nuisible aux velléités de regroupement économique en cours dans la région. Finalement, si les réticences, vis-à-vis de l'initiative française, sont nombreuses -statut d'Israël, les réserves de la Turquie, les questions d'immigration -, il faudra les surmonter grâce, à mon avis, à de nouvelles structures de dialogue à l'instar du futur secrétariat du projet de l'UPM- à même de dépasser les anciens blocages, d'offrir une bonne compréhension de l'autre et d'ouvrir des perspectives d'intégration, de modernisation et de partenariat «gagnant-gagnant» aux peuples de la Méditerranée. Quelles sont les principales cibles du projet d'Union pour la Méditerranée ? Toute l'ambition du projet est de faire du codéveloppement une priorité se substituant au commerce, afin que les pays du sud de la Méditerranée ne soient pas de simples lieux de délocalisations, reproche souvent adressé à l'encontre d'Euromed. Je pense que Nicolas Sarkozy, en lançant cette idée de rassemblement des deux rives au meeting de Toulon en février 2007, souhaitait un cadre de partage des technologies, l'émergence de pôles de compétitivités et la floraison des compétences, des connaissances et des laboratoires grâce à une étroite coopération dans le domaine de l'éducation et de la recherche. Vous savez, je suis fondamentalement optimiste car sur le plan humain et culturel, le bénéfice à récolter est immédiat en raison d'un processus endogène, volontaire, fonctionnant, et les résolutions du prochain sommet vont le confirmer, sur le mode de la codécision. Après les derniers réajustements du projet, la France est-elle encore en position de force ? Je pense plutôt que le bloc latin et le regroupement maghrébin seront le véritable embryon du projet d'Union pour la Méditerranée car ils sont, depuis des décennies, dans une logique de compromis, de négociation et d'espérance pour réguler les flux des biens et des personnes et triompher des écueils politiques, reflet d'une proximité géographique et historique passionnelle.
*Jean Dufourcq- Contre-amiral, Directeur de recherche à l'Ecole Militaire de Paris