Voyage à l'intérieur d'une entreprise qui a démarré en 1967 avec un poulailler dans la banlieue sud de Tunis, qui s'est développée et diversifiée jusqu'à se hisser en tête des groupes industriels privés en Tunisie, à devenir le plus maghrébin des groupes privés maghrébins, qui s'internationalise. Le groupe Poulina s'est transformée en Holding à l'occasion de son introduction en bourse actuellement en cours. L'ouvrage décrit ce cas d'école en matière de croissance comme en matière de management. Il «décortique» cette expérience et nous livre les secrets de son étonnant succès. A chaque page, le livre se fait didactique, tient en haleine, glisse des anecdotes, met en exergue des «recettes» fort bienvenues pour le lecteur et, avec le concours fort opportun et artistique d'une abondante illustration, transporte le lecteur dans un monde qu'il était loin d'imaginer. Le concept éditorial et graphique est l'uvre de l'Agence THCOM qui a réunit autour de ce projet la plume d'Abdelaziz Barrouhi(*) et le regard photographique de Hammadi Regaieg, Ghassen Khemakhem et Anis Mili. Le ton est donné dans la préface de Abdelwahab Ben Ayed, fondateur et Président de Poulina à propos de cette accélération de l'histoire. «Je dois le reconnaître, écrit-il, autant ardente a toujours été ma volonté, autant je n'avais cru, sans jamais désespérer, voir Poulina se convertir en ce Holding en si peu de temps». La première phrase de l'introduction de l'ouvrage rapporte ce qu'il disait en 1984 : «il y a des domaines où l'on est porté par le vent, il n'y a qu'à déployer ses ailes». C'est vrai. Il a fallu pour cela, nous explique l'ouvrage, une vision, des valeurs, un sens de l'anticipation, de l'opportunisme dans le sens noble du terme, de l'innovation, un esprit pionnier dans l'adaptation eux nouvelles technologies, un management moderne, et aussi grâce au sens de la rigueur et de ses ressources humaines triées sur le volet. Bref, il fallait une «culture Poulina». Et c'est à la force du poignet et de la matière grise que le groupe Poulina a rejoint, à tire d'aile, les entreprises performantes des pays développés. Dès le départ, Poulina avait une stratégie visionnaire doublée d'un sens permanent du défi. «J'ai des idées simples à ras du sol et le sens du concret, mais aussi une ambition : je veux apporter la preuve que nous pouvons faire aussi bien que les Européens», explique Ben Ayed. Pourquoi faire ? «J'ai fait de la résistance pour libérer la Tunisie, maintenant, il s'agit de la développer, disait alors le premier manager de Poulina alors que le groupe en était encore à la phase avicole. Avant, le Tunisien mangeait la viande au mieux une fois par semaine, sinon uniquement à l'occasion des festivités. Nous voulons qu'il puisse en manger tous les jours, et on aura ainsi développé la Tunisie». Et en effet, l'ouvrage nous rappelle fort opportunément que c'est à l'esprit d'initiative des fondateurs de Poulina, alors entreprise privée dans un système socialiste, que l'on doit l'introduction en Tunisie de l'élevage industriel du poulet et le démarrage d'une industrie agro-alimentaire. C'est aussi avec l'assistance de Poulina qu'une première génération de petits éleveurs avicoles a vu le jour. Le successeur est désigné Bien qu'il ne porte pas à proprement parler sur l'histoire du Groupe Poulina, l'ouvrage retrace, dans un premier chapitre, cette «épopée du poulet», puis celle de l'intégration, puis celle de l'extension et de la diversification. A chaque étape, les exemples abondent où les dirigeants de Poulina font preuve d'une grande ingéniosité et s'avèrent être de vrais «développeurs». La poule a pondu des ufs d'or et les bénéfices engendrés ont été réinvestis en un cycle vertueux qui a donné naissance à un groupe multisectoriel dans lequel les industries manufacturières ont fini par supplanter l'aviculture. L'ouvrage consacre un deuxième chapitre au management de Poulina, parce qu'il est devenu un cas d'école, non seulement aux yeux de nombreux cadres tunisiens, mais aussi parmi les chercheurs étrangers spécialisés en la matière comme ceux du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en France. L'ouvrage identifie cinq grands atouts dans le management de Poulina. Le premier est que Poulina s'est dotée d'une organisation apprenante (les anglo-saxons l'appellent Learning Organization) qui permet la détection et la correction des erreurs pour modifier et améliorer normes, procédures, politiques et objectifs. Poulina s'est dotée d'un système de gouvernance qui évite les dérapages des entreprises familiales où les actionnaires ne sont pas les gestionnaires et les associés et fondateurs sont à cheval sur le principe qu'ils ne doivent pas s'ingérer dans la gestion ni bénéficier d'avantages personnels. L'ouvrage nous apprend, à cette occasion, que le fondateur et PDG du groupe, en accord avec les actionnaires, a nommé, il y a sept ans déjà, son future remplaçant choisi parmi les hauts cadres de Poulina, afin qu'il s'habitue à la gestion du groupe et assure sa relève. Le troisième atout est que le groupe Poulina a construit des systèmes de gestion et d'information performants où il a été un pionnier en Tunisie. Le quatrième atout est sa structure d'organisation fondée sur la «double hiérarchie», ce qui permet d'assister, d'encadrer et de superviser les filiales et de développer les synergies entre elles. Dans ce cadre, les directeurs bénéficient d'une autonomie, mais sont condamnés à réussir. «Vous voulez développer un produit ?, leur dit la direction générale, trouvez un projet, montrez moi que c'est rentable, formez les gens, et foncez». Last but not least, Poulina fonctionne selon des formules de management participatif, impliquant les ressources humaines à tous les niveaux. On lira à cet égard avec intérêt le passage consacré à l'exemple de gestion participative appelé «Comité du mercredi». Depuis plus de 36 ans, dirigeants et cadres de Poulina s'y retrouvent chaque semaine pour discuter de tel ou tel aspect de la gestion, et dont l'un des principaux mérites est l'enrichissement de la «culture Poulina». L'importance du management des ressources humaines chez Poulina a fait que l'ouvrage y a consacré un chapitre à part intitulé «les hommes, moteur du développement». Le groupe a la réputation de recruter et former des cadres accomplis qui comptent parmi les plus compétents et les plus convoités dans le pays. C'est qu'ils ont acquis un plus, qui est ce qu'on appelle communément la «culture Poulina» dont l'ouvrage décrit quelques aspects. On y apprend que les dirigeants de Poulina comme le personnel, quel que soit leur rang, y compris le PDG, sont tenus de pointer, de ne pas fumer à l'intérieur des locaux, d'éteindre la lumière lorsqu'on est le dernier à sortit du bureau, veiller à ne pas gaspiller l'énergie, l'eau, les consommables. Ils doivent avoir la capacité de se remettre en cause, s'auto-former, lire, principalement en dehors des heures de travail. Conformément à la règle d'or de Poulina qui est que «n'est gérable que ce qui est mesurable», les performances de chacun sont mesurées par des systèmes de la façon la plus objective possible : pour tout travail demandé, les objectifs et résultats attendus sont fixés par écrit, et mis en uvre selon un cahier de procédures. La rémunération se fait selon un système qui se veut motivant et qui permet d'éviter la subjectivité et les préjugés. Jusqu'en Chine L'ouvrage nous apprend encore que Poulina est un pionnier en matière d'essaimage, avant qu'il soit de mode. Le groupe estime à 3000 le nombre des entreprises essaimées et créées à sa périphérie et qui font de la sous-traitance pour lui. Où va désormais Poulina ? Dans sa conclusion, l'ouvrage met l'accent sur le fait que le groupe Poulina a maintenant atteint une taille et a accumulé un capital d'expérience tels que réfléchir marché local en ces temps de mondialisation relèverait de l'hérésie. Le groupe a certes une grande expérience d'exportateur de produits agro-alimentaires et industriels depuis plus de 30 ans vers des marchés du Maghreb, d'Afrique, d'Europe et d'Asie. Il faut maintenant qu'il se positionne à un stade suprême pour toute grande entreprise moderne : l'internationalisation. C'est ce qu'il a entamé avec l'accélération de ses implantations d'usines à l'étranger. Il en compte une quinzaine actuellement, principalement dans les pays du Maghreb. Et désormais, le mot d'ordre est de passer à la vitesse supérieure, sur le plan quantitatif, comme sur le plan qualitatif. Il va en Chine dans des créneaux qu'il maîtrise, là où les grandes multinationales se bousculent. «Cette fois-ci, en Chine, on va être au milieu des géants», lance Abdelwaheb Ben Ayed, avec le ton à la fois de défi et de sérénité qu'on lui connait. L'ouvrage ne pouvait pas trouver une meilleure «chute». (*) Le texte de «Made in Poulina» a été écrit par le journaliste-écrivain Abdelaziz Barrouhi, spécialisé en économie. Diplômé du département de Sciences politiques de l'Université de Paris-Sorbonne, ancien chercheur en politiques de la communication au département de Sciences Politique de la célèbre université américaine Massachusetts Institute of Technology (MIT), fondateur et premier directeur du Centre africain de perfectionnement des journalistes et communicateurs (CAPJC), Barrouhi a été un «senior-correspondant» de l'agence internationale Reuters où il a travaillé pendant une douzaine d'années avant de prendre sa retraite. Il collabore actuellement à Jeune Afrique en tant que Collaborateur Indépendant. Il est notamment l'auteur d'un livre intitulé «Demain la Démocratie» tiré d'une recherche à MIT.