Le sujet des centres d'appels fait couler beaucoup d'encre en Tunisie. Mais pour mieux comprendre un peu plus ce qu'il en est au juste, et après avoir visité l'un des centres opérations de SELLBYTEL, nous avons rencontré M. Guillaume DEUDON, son directeur. Ce centre n'est certes pas représentatif compte tenu du nombre important de politiques que suscitent les call centers tunisiens ou installés en Tunisie-, mais à la lecture de l'entretien ci-dessous, vous aurez peut-être une autre idée du phénomène, car M. DEUDON apporte des éclairages à même de permettre une meilleure compréhension de la question. En tout cas, il permet de faire la distinction entre les centres d'appels.
Mais sans doute le plus important à savoir à travers cette interview, ce que la Tunisie constitue un jugement de compétences indéniables, parfois dans les domaines le plus pointus . Entretien !
Webmanagercenter : Pour commencer, présentez-nous SELLBYTEL Tunisie ?
Guillaume DEUDON : SELLBYTEL a fait un choix stratégique de venir démarrer ses activités en Tunisie, depuis maintenant trois ans. Tunis est pour nous une plateforme importante parce que c'est le centre à partir duquel on sert tous les clients francophones de SELLBYTEL. Ce qui est intéressant à signaler, c'est qu'on est passé des clients qui étaient essentiellement basés en France à d'autres pays limitrophes (Suisse et Luxembourg), puis à des clients qui sont installés en Algérie, au Maroc voire en Afrique noire francophone. Donc, on est en train de consolider tous les marchés francophones à partir de Tunis.
Nous démarrons également des services en anglais, c'est-à-dire que Tunis n'est plus uniquement un centre francophone mais devient, progressivement, une plateforme internationale.
Est-ce que Tunis se distingue par rapport aux autres centres de SELLBYTEL?
Oui, en fait, la première particularité de Tunis, c'est d'être principalement orienté autour des métiers informatique, parce que nous avons des clients qui sont largement demandeurs de ce type de prestations. Nos interlocuteurs/clients en Tunisie sont généralement des clients professionnels, des petites aux très grandes entreprises, ce qui fait que le niveau d'exigence est assez élevé par rapport aux clients particuliers. Par exemple, les clients qui appellent utilisent nos services à Tunis, peuvent-être une grande compagnie aérienne française, dont le serveur qui sert à gérer les transactions de réservations est en panne, et qui a souscrit un contrat d'assistance avec intervention en 4 heures. Nous pilotons tout à partir de Tunis, diagnostic technique jusqu'au déclenchement de l'intervention, avec la contrainte de temps de 4 heures.
Donc, le niveau d'exigence des clients entreprise se traduit par un niveau de professionnalisation et de compétence très élevé avec une contrainte de temps elle aussi très importante. De ce fait, si une intervention se passe mal, on est en très vite en situation de crise.
Un autre exemple similaire: un client, constructeur automobile, a rencontré un jour un problème sur l'une des imprimantes qui imprime les numéros des séries sur les châssis, du coup c'est toute la production de l'usine qui être stoppée. Et si la résolution du problème se passait mal, on serait en situation de crise.
C'est donc bien une particularité de nos opérations qui est celle d'un environnement professionnel et technologique exigeant.
La 2ème particularité, c'est la stratégie du moyen et long terme. En effet, compte tenu de la nature de nos activités, on est toujours dans une logique de moyen terme et de long terme, de construire de relation dans la durée avec nos collaborateurs, parce qu'on va investir en formation et ce, parce que notre relation avec nos clients c'est principalement du moyen et long terme également. Nous ne travaillons pas sur des campagnes, ou des actions ponctuelles, mais nous déployons des projets sur des durées de 3 à 5 ans, souvent renouvelables. Ce qui veut dire qu'on est sur une logique de construire quelque chose de durable.
La 3ème particularité, c'est le partenariat fort qu'on a aujourd'hui avec Hewlett Packard dont nous sommes l'un des partenaires privilégiés ou sélectionnés pour assurer tout le support, la maintenance et la garantie de ses produits professionnels (par exemple : serveurs, systèmes de stockage, solutions réseau).
Pour moi, il est certain que nous avons réussi à faire de Tunis un centre d'expertise et d'excellence par rapport à ces critères-là, avec bien entendu la mise en place de toutes ses activités, ce qui nous permet d'avoir un niveau de qualité et un niveau de satisfaction très élevés. Et malgré la distance et parfois malgré la différence culturelle, on est capable de délivrer un service professionnel à des entreprises françaises.
Vous disiez à l'instant que vous avez réussi à faire de Tunis un centre d'excellence et d'expertise, arrivez-vous à trouver les compétences nécessaires en Tunisie ?
Pour répondre à votre question, je dirais qu'en Tunisie on trouve des gens qui ont acquis des connaissances théoriques sur différents sujets (gestion, comptabilité, informatique, etc.), autrement dit des gens ayant des parcours académiques avec des solides connaissances théoriques. Maintenant là où il y a le challenge aujourd'hui, c'est de transformer ces connaissances théoriques en connaissances pratiques. Il est vrai que ce gap entre la théorie et la pratique constitue un handicap, mais à mon avis, il n'est pas insurmontable, en tout cas on peut arriver à le combler, notamment au travers des programmes de formation, de coaching et des travaux pratiques afin d'accélérer l'acquisition de cette expérience pratique.
Cependant, je suis souvent surpris de la méconnaissance qu'ont certains étudiants du monde de l'entreprise.
Ne serait-il pas un legs de l'enseignement français ?
Je suis entièrement d'accord avec vous, on a eu le même problème en France, et il est parfois encore visible. Mais pour revenir en Tunisie, souvent quand on demande à un étudiant qu'est-ce qu'une une carrière, on se rend compte qu'il l'ignore complètement ; vous lui demandez, 'qu'est-ce que tu veux faire, quel est ton projet ?'', la seule réponse que vous entendez, 'je cherche un emploi stable''.
Tout ceci pour dire qu'il y a un vrai travail à faire pour rapprocher le monde de l'entreprise et l'université pour que la formation s'adapte à la pratique sur le terrain, pour que les gens connaissent le monde l'entreprise. Je prends un exemple tout simple : est-ce qu'on a expliqué à quelqu'un ce qu'est une journée de travail dans l'entreprise, qu'est-ce qu'une carrière, c'est-à-dire est-ce que les gens savent quel métier ils vont faire, etc. ? Voilà entre quelques questions qui paraissent simplistes, mais qui sont pourtant très importantes.
Si je suis particulièrement sensible à ces questions, c'est parce que je me rends compte que la qualité de la relation que je vais avoir avec mes futurs collaborateurs dépend de la compréhension qu'ils ont du monde de l'entreprise. J'ai eu des collaborateurs qui, au bout de deux mois, sont venus me dire, ' non, je ne vais pas continuer avec votre société ''. C'est tout simplement parce qu'ils ne savent pas ce qu'ils voulaient dès le départ, parce qu'ils ne sont pas préparés
Revenons à votre idée de rapprocher l'entreprise et l'université. Concrètement, qu'est-ce qu'il faudrait faire ?
Ecoutez, moi je suis partisan de choses simples. Tout à l'heure, j'ai donné trois dimensions, je vais les reprendre tout en donnant des exemples éléments concrets.
Le premier élément, c'est de faire accéder la connaissance théorique à la connaissance pratique. On peut par exemple introduire dans l'enseignement des notions de cas pratiques ou des notions d'atelier avec des entreprises, c'est-à-dire que moi chef d'une entreprise X, je travaille avec un enseignant et je prépare un cas pratique : par exemple, j'ai eu une commande de la part d'une entreprise à traiter dans dix jours Comment, à travers toutes les notions que vous avez eues en planification, gestion de la chaîne industrielle, logistique, traiteriez-vous cette question ? On peut multiplier à l'infini ce genre d'exemple.
La deuxième chose, c'est la connaissance du monde de l'entreprise. Sur ce point, je dirais que je crois beaucoup à l'efficacité des témoignages. Là, il s'agit de demander à chaque université d'inviter ses anciens étudiants à venir témoigner de leur expérience dans le monde de l'entreprise...
Le dernier point, c'est les carrières, et là on peut faire beaucoup de choses simples au travers des entreprises qui recrutent ; vous savez, aujourd'hui beaucoup d'universités en Europe ont des forums de recrutement, c'est-à-dire ils invitent des chefs d'entreprise durant deux-trois jours à venir présenter les carrières, les opportunités et ainsi permettre aux étudiants de se projeter sur l'avenir, de voir plus clair ce qu'ils veulent faire et dans quel domaine ils ont la possibilité d'évoluer.
Je voudrais qu'on revienne un peu sur votre idée de positionner la Tunisie en tant que site d'expertise et d'excellence pour SELLBYTEL. Qu'est-ce que cela signifie et que comptez-vous faire à l'avenir ?
Nous faisons partie d'un groupe international, et depuis que nous avons démarré nos activités en Tunisie, j'applique le principe que, à terme, on ne doit pas seulement importer des choses de l'Europe et les mettre en Tunisie, mais qu'on doit développer un savoir-faire et une expertise sur le plan local.
Je ne suis pas à long terme dans un modèle dans lequel on est en permanence en train d'importer des choses (écoles, outils, processus, etc.) ; il faut trouver un mode de fonctionnement de l'organisation qui soit capable de développer sa méthode travail, à développer son expertise propre, ses savoir-faire, et du coup à s'inscrire dans du long terme, en assurant un niveau d'autonomie propre. Ceci est lié au fait que, dans la stratégie SELLBYTEL, la présence d'expatriés n'est pas une fin en soi. Je pense que, à un moment donné, on a le désir de laisser la place parce que l'entreprise a une maturité, une expertise locale qui s'est développée.
Par ailleurs, quand je parlais d'expertise et d'excellence, c'est parce que, aujourd'hui, à partir de Tunis, on est capable d'être force de proposition de tester des méthodes de travail dans une organisation. Et les compétences qu'on a Tunis sont reconnues dans le groupe SELLBYTEL. S'il en a été ainsi, c'est parce qu'on a mis en place un centre d'expertise et des modules de formation qui sont avérés aujourd'hui extrêmement efficaces. Sans oublier notre mécanisme de recrutement qui permis de soutenir une phase de croissance importante ; cela est dû au fait qu'à SELLBYTEL Tunisie, ce n'est pas quelqu'un qui est venu d'Allemagne ou de France pour dire 'recrutez comme ci, recrutez comme ça, faites ceci ou faites cela'' ; on l'a fait localement en fonction de nos besoins, en adaptant si nécessaire les meilleures pratiques à nos spécificités.
En gros, nous ne croyons pas trop à un modèle copié et importé de France, d'Allemagne, parce que nous avons choisi de nous inscrire sur le développement d'un savoir-faire propre à long terme.
Alors, on a compris que vous ne croyez pas en l'importation tous azimuts de modèles et de méthodes de travail. Dans ce cas, combien de temps vous donnez-vous pour faire de SELLBYTEL Tunisie une filiale autonome ?
Encore douze à vingt-quatre mois. Ceci étant, il faut quand même savoir qu'on est déjà largement autonome, et ce grâce à l'organisation que nous avons mise en place qui nous permet de décider et d'agir de façon plus autonome. C'est très important vis-à-vis des clients, je constate que nos clients et nos prospects sont toujours satisfaits du fait que le fonctionnement de SELLBYTEL n'est pas le fait exclusif d'expatriés.
Il faut d'ailleurs souligner que la grande peur du client étranger quand il travaille avec des professionnels en Tunisie, c'est la stabilité, la fiabilité, la maîtrise, etc.
Dans ce cas, comment et combien se compose l'administration de SELLBYTEL Tunisie ?
Nos opérations sont organisées par projet, et aujourd'hui on compte cinq projets principaux qui sont encadrés par autant de managers, et chaque manager a la responsabilité entière de son projet en termes de décisions. En plus de ces managers, on a des équipes de support qui travaillent de manière transverse sur ces sujets comme la qualité, la formation, les process.
Il n'y a pas de direction générale au sens classique du terme, avec son collège de directeurs qui décident. Oui, nous avons un directeur de site, un directeur des opérations, et des responsables de domaines : administration et finance, ressources humaines, recrutement, communication. Pour résumer, je dirais qu'en termes de personnel administratif, il y a une dizaine de personnes. Nos 380 autres collaborateurs sont affectés aux opérations et à leur support.
Quant à moi, j'ai un rôle d'accompagnement, de support, de conseil et de contrôle, mais au final, j'encourage les managers à décider eux-mêmes que ce soit pour le recrutement, la formation, de changement d'organisation. Chez SELLBYTEL, nous poussons nos managers à s'approprier les décisions, car au quotidien, ce sont tous nos managers qui sont au poste de pilotage avec les équipes, au contact des clients. Ce n'est pas la direction générale.