Il faudrait tout de même reconnaître que depuis quelques petites années, et particulièrement cette année 1429, le calendrier hégirien ne fait guère bien les choses. Faire tomber le mois saint tout juste après la plage et la mer, et l'accoler, de surcroît, à la rentrée scolaire, ne relève point de la clémence. C'est même une épreuve de force à laquelle il soumet la classe moyenne en Tunisie. Mais bon !, c'est le hasard du calendrier. Bon gré mal gré, tout le monde s'y conforme. Sauf que, évidente et inextinguible, l'exaspération est sur tous les visages. Tous : ce sont les parents aux appointements assez moyens, pour ne pas dire assez modestes*. *Dans notre enquête, nous avons tenté d'équilibrer les données autant que faire se peut et même de les réduire à leur plus simple expression pour ne pas dramatiser les choses. Par exemple, nous avons choisi de petits ménages à seulement deux enfants à charge. Soit, aussi, des ménages qui n'ont aucune prétention, ou la moindre propension, aux luxes alimentaire et encore moins vestimentaire. D'ailleurs, le côté vestimentaire ne figure même pas dans ce travail qui, lui aussi, ne prétend guère à l'exhaustivité. Nous nous sommes limités à dire : l'être humain a nécessairement besoin de manger et d'étudier. Par conséquent, combien lui coûteront le mois saint et la rentrée scolaire imbriqués l'un dans l'autre. Le tout, sans excès de table, sans fioritures, sans l'ombre d'un luxe.
Etat des lieux Il va sans dire que les présidents directeurs généraux, les DGA, les professeurs universitaires, les médecins et spécialistes, les chefs d'entreprise et, pour faire bref, tous les salariés plus ou moins bien carrés dans l'aisance ne concernent en aucun cas notre propos. Une autre catégorie a été volontairement exclue de notre enquête pour ne pas crier au paupérisme : les éboueurs de municipalité, les cireurs, les revendeurs de bric-à-brac dans les rues, les masseurs de bains maures et tous les autres. Nous nous sommes limités aux salariés moyens du secteur public qui sont, supposons-nous, légion, en tout cas la frange la plus importante. Dans ces salaires, l'on va faire fi de toutes sortes de primes bien que nous sachions qu'elles sont perçues par maints fonctionnaires comme étant des gilets de sauvetage en de pareilles situations. On fera également fi des salaires de début de carrière en nous disant qu'un père de famille ne l'est pas dès sa première année dans la fonction publique. L'un dans l'autre, on prendra pour exemples des salaires servis au bout d'une petite dizaine d'années de service. Du commis d'administration qui perçoit à peu près 395 dinars jusqu'à l'administrateur qui en gagne environ 670, en passant par le secrétaire d'administration (dans les 450 dinars) et l'attaché d'administration (quelque 550 dinars), on va dire que la moyenne de ces salaires moyens se situe aux alentours de 500 dinars juste pour arrondir et approcher du mieux qu'on peut à la réalité des uns et des autres. Qu'on nous excuse d'insister un peu, mais l'on aura remarqué que les uns perçoivent plus de 500 dinars, et que les autres, un peu moins. On va donc se prononcer sur le milieu. Fonctionnaire, cadre moyen et père de deux enfants Notre « specimen » ? Un fonctionnaire moyen dans les parages d'un attaché d'administration au salaire de 500 dinars, mais père de deux enfants, l'un au collège (la 7ème année, par exemple) l'autre au secondaire (disons le bac). C'est donc une petite famille de quatre personnes. Bien sûr qu'il existe des ménages à plus de deux enfants, comme il peut exister d'autres à seulement un enfant à charge. On se situera toujours au milieu. Pour subsister, rares sont les familles tunisiennes, si modestes soit-elles, qui vivent, au mois du Ramadan, seulement de couscous, de macaroni et de brik à l'uf. Dans la consommation mensuelle que nous avons élaborée (Voir article : «Prix du marché »), nous avons négligé : les épices de toutes sortes, les tajines, la soupe quotidienne, le plat principal de chaque rupture de jeûne, la petite salade, les fruits, la boisson gazeuse, le thé, l'eau, le café, les cigarettes de monsieur (pas de chicha, SVP !). Si nos lecteurs sont d'accord, on va mettre toutes ces consommations dans un même sac et les facturer à 100 dinars le mois (ce qui est toujours loin de la réalité). Par conséquent, la table de notre famille à quatre coûtera : 307 dinars. (Remarque : le commis d'administration touche 389 dinars le mois : cela veut tout dire). Mais ces chiffres sont très loin de la réalité. Nous avons omis volontairement les petites fournitures scolaires (Lire article : les stylos, les crayons, la gomme, la règle plate, etc. ; nous avons omis le plus important : le tablier (pas moins de 8 dinars) et le cartable (pas moins de 8 dinars). Et nous avons omis l'essentiel : les deux abonnements scolaires (bus, métro ou train). Si cela peut nous être accordé, on va chiffrer ces omissions'' à seulement 50 dinars. Le tout totalisera : 179, 435 dinars. « J'ai failli le gifler ! » Ainsi donc, l'ardoise du chef de famille, Ramadan et rentrée scolaire réunis, sera portée à : 486, 435 dinars. Si l'on ajoute forcément ! ses propres frais de déplacement (bus, métro ou train), il va avaler tout son salaire dès la première dizaine de jours du mois saint. Oui, évidemment, la majorité des femmes travaillent de nos jours : eh bien, c'est elles qui paieront le loyer, la facture de la SONEDE, la facture de l'électricité (deux augmentations en une seule année), et les cartes des téléphones portables. Les vêtements ?... Pas de vêtements cette année. A la question de savoir comment il va s'en sortir, un père de famille nous a dit : « Il voit bien que je suis dans la m jusqu'au cou, et le voyou de me demander des espadrilles de marque Nike. J'ai failli le gifler !! ». Du calme, voyons !, la h'chicha de ramadan n'a pas encore démarré « C'est toi l'Etat ? » D'habitude, le Tunisien est réputé un as de la débrouillardise. Plus maintenant. Ou très peu. Sur certains visages se lit déjà une espèce de défaitisme, de ras-le-bol, sinon d'abandon. En effet, notre question centrale était : comment allez-vous vous en sortir ?... Les réponses ont parfois été agressives, du genre : « Va écrire sur le foot au lieu de foutre ton nez dans notre misère pour l'étaler sur ton journal !! », ou du genre : « Et pourquoi donc ?!, c'est toi l'Etat ?, tu as une solution pour nous ?!, la paix, s'il te plaît !! ». Il ne sert à rien de maquiller les choses : oui, certains Tunisiens sont très inquiets, et le plus inquiétant c'est que d'aucuns risquent de se retourner contre leurs propres familles comme si c'était elles qui ont fabriqué le calendrier de cette année. Mais il y a les plus sages, ceux qui attendent patiemment leurs primes de rendement et qui donc semblent très résignés. D'autres ont déjà fait leurs calculs. Ils ont soumis des demandes de petits crédits, qui à la CNSS, qui à la CNRPS, qui aux banques, qui à leurs propres administrations : « Normal : sans un petit crédit à la consommation, il n'y aura tout simplement pas de consommation ». Sauf qu'il y a sur toutes les bouches cette décision amère : « C'est simple, cette année, ni baqlawa ni gh'raïba, qu'ils se contentent d'un kg de maqroudh ou qu'ils aillent au diable, je ne peux rien pour eux ». Et alors ?... Les soucis du Tunisien sont-ils fondés ?... Jugez-en vous-mêmes
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