La Nouvelle mérite qu'on s'y attarde. Un récent Conseil de ministres a été l'occasion de « recadrer » le fonctionnement de l'école primaire. Un des débats majeurs dans les familles, et donc dans la société, est le fonctionnement de ce premier échelon scolaire. Cela va de l'approbation de certaines pratiques liées au fonctionnement actuel à la désapprobation totale de la multiplication des réformes auxquelles la plupart ne comprenaient plus grand-chose. En particulier, la logique selon laquelle devait, ou pouvait progresser un élève durant sa scolarité devenait opaque. On savait seulement que le cher petit allait n'importe comment gravir les échelons et qu'on n'avait qu'à s'en remettre à des automatismes parmi lesquels la pratique des heures « d'étude » constituait une règle incontournable mais non écrite de la fréquentation des classes. Comme par ailleurs on avait imaginé que les examens nationaux n'avaient plus de raison d'être (la sixième en particulier), il n'y avait quasiment plus de compétition, et encore moins d'émulation, entre les élèves. Tout le monde était apparemment content, sauf bien entendu les bons élèves considérés finalement par le plus grand nombre comme des espèces de « fayots » qu'on prenait à partie au cours des récréations. De ce point de vue, même ces derniers étaient appelés à suivre les suppléments « d'étude », au moins pour se prémunir des affres de quelques éducateurs en mal de « compléments de salaire ». La réforme des prérogatives données aux inspecteurs, désormais pour l'essentiel témoins légalement passifs des dérives, a fait le reste. Les dérives et la marginalisation Les examens dits nationaux avaient toujours fonctionné comme des repères pour le positionnement social de tout un chacun. Et comme au départ des années glorieuses le statut social avait quelque chose à voir avec le niveau de diplôme, la machine tournait tant bien que mal au mérite scolaire d'abord, professionnel par la suite. Mais l'école a aussi fait les frais des transformations sociales et surtout économiques, comme partout dans le monde. Les diplômes nationaux, sixième et baccalauréat en particulier, ont perdu leur aura en raison du nombre de titulaires, mais aussi pour la dépréciation continue de leur valeur marchande. Comme en plus tous les moyens de repêchage et de dérogation ont été systématiquement utilisés, le divorce entre l'école et la société est devenu patent. Au point que l'urgence des urgences est devenue le casse tête de l'emploi des diplômés. Il ne se passe pratiquement pas une semaine sans que des initiatives soient prises en ce sens. Avec des résultats très inégaux au niveau de l'insertion dans le monde du travail. La pratique la plus courante est, depuis plusieurs années, d'offrir des « formations » complémentaires aux diplômés, régulation d'un système qui ne signifie rien d'autre que l'incapacité de l'école à répondre aux besoins de la société. Cela signifie aussi que les incitations « généreuses » à la réussite assistée ont amélioré les chiffres mais pas l'employabilité qualitativement observable. Des efforts ont été consentis pour réduire un tant soit peu, la faille. Mais tout se passe comme si deux mondes cohabitaient, chacun se renvoyant la balle des blocages. Ceci étant, tout le monde s'accorde à dire que les niveaux ont baissé et que, finalement, on peut toujours reculer les échéances, les meilleurs se dégageront soit par leur travail soit par leur sérieux soit par des aptitudes propres. La philosophie de l'histoire consistait à dire qu'il vaut mieux éviter les traumatismes des échecs pour les petits. Tout le monde il est bon, tout le monde il est intelligent, en quelque sorte. Les résultats obtenus se passent de commentaires. Plus tard, quand les mêmes petits doivent affronter les réalités, il n'aura pas servi à grand-chose d'avoir entretenu l'illusion des réussites « boostées ». De quoi on parle ? Le recadrage dans le sens du mérite ne va pas sans un ciblage conséquent des compétences à développer. Le projet actuel met en avant l'enseignement des langues au primaire. Ce qui est absolument nouveau c'est l'avancement du premier contact avec le français et l'anglais, en plus bien entendu de l'acquisition de l'arabe. Ainsi, La Tunisie maintient le cap de l'ouverture sur le monde et la prise en compte des réalités de terrain. En gros, il est entendu que tous les jeunes auront eu l'occasion d'accéder aux sources du savoir et de la communication dans les autres langues. Il est en effet de plus en plus évident que la compétence se joue dans la meilleure connaissance de l'autre, muni des moyens intellectuels nécessaires. De ce point de vue aussi, il n'est pas inutile de rappeler que seule l'émulation par le mérite et les compétences acquises peut « rentabiliser » un tant soit peu les sacrifices consentis par la nation pour la « chose » éducative. Finalement, il n'aura pas servi à grand-chose de laisser croire que tout le monde pouvait avancer à l'école au même rythme en gommant la valeur ajoutée que la compétition offre. Par ailleurs, il est de moins en moins évident que la reconnaissance par l'école, à travers ses diplômes de toutes sortes, de la valeur professionnelle des individus soit suffisante. Ces diplômes peuvent s'avérer nécessaires, mais rarement suffisants. A moins justement de distinguer les plus méritants et les plus compétents. L'actuelle mise à jour des contenus de formation, langues et technologie à côté des sciences, confirme l'orientation de l'enseignement tunisien et son ouverture sur la modernité. Toutefois, il ne va pas être aisé d'expliquer, en particulier aux parents qu'on a habitués à la progression « mécanique » le retour aux pratiques de la rigueur liée au travail. La braderie par laquelle il est nécessaire de passer, celle qui concerne et les modes d'évaluation et les tableaux d'encouragement et d'excellence, peut ne pas plaire à tout le monde. Mais pourra-t-on faire l'économie d'un tel retour aux réalités ?