"La grande distribution a récemment fait l'objet de plusieurs articles de presse, et le moins qu'on puisse dire, peu élogieux. Nous pensons que ces articles ne sont pas basés sur des données objectives, ce qui amène à se poser la question s'ils ne sont pas, d'une certaine manière, le reflet de l'influence de l'image dégradée et fortement médiatisée de la grande distribution française. Celle-ci est régulièrement mise en cause par des attaques vigoureuses de différentes corporations ou même des pouvoirs publics : importations abusives de fruits et légumes, marges excessives, clauses abusives dans les relations avec les fournisseurs, etc. Il est important de bien noter que le secteur de la grande distribution tunisien présente très peu de similitudes avec son homologue français. On peut même dire qu'aujourd'hui, le seul point commun entre les deux est celui des standards en matière d'équipement des magasins et des conditions de confort et d'hygiène. En effet, depuis le début de la décennie, les chaînes tunisiennes ont clairement pris le cap de la modernité et ont successivement adopté le standard européen dans ces domaines : nos supermarchés et hypermarchés sont dotés exactement des mêmes équipements de climatisation, rayonnages, vitrines de froid, équipements informatiques et procurent ainsi le même confort d'achat et conditions d'hygiène que leurs homologues français, nouveaux ou rénovés selon les derniers concepts de chaque chaîne. Cette évolution spectaculaire réalisée durant cette décennie par nos opérateurs doit être mise à leur actif mais ne doit pas faire assimiler notre grande distribution à celle de la France. En effet, à part l'aspect évoqué ci-dessus, les deux secteurs n'ont rien de commun : l'un a une histoire de plus de 50 ans d'évolution, l'autre en est encore aux premiers pas de son vrai développement. Les différences entre les deux secteurs sont manifestées dans tous les domaines : - Le poids du secteur en France représente plus de 70% du marché et les opérateurs, grâce à un développement national soutenu, ont atteint une expertise et une dimension qui les ont amenés à se déployer à l'international et à occuper des positions importantes dans beaucoup de régions du monde (Europe de l'EST, Amérique du Sud, Asie ). En Tunisie, jusqu'à la fin des années 90, le secteur était dans un état de profonde léthargie avec quelques enseignes vieillissantes et quelques tentatives non concluantes d'éclosion de nouvelles enseignes. Malgré le sursaut relatif qu'a connu le secteur à partir des années 2000, il représente aujourd'hui moins de 15% de part de marché, ce qui n'a rien de comparable avec le poids que représente la grande distribution en France ou en Europe en général. Cette différence fondamentale ne doit jamais être perdue de vue dans toutes les évaluations et analyses effectuées. - En France, le secteur exploite au maximum l'ouverture de l'économie et pratique des taux d'importation très importants dans beaucoup de domaines dont certains très sensibles, comme les fruits et légumes, le textile, le mobilier et l'équipement de la maison. Cette politique d'ouverture extrême provoque de profonds malaises de la part des producteurs nationaux qui ne manquent pas, régulièrement, de recourir à des manifestations spectaculaires et fortement médiatisées contre la grande distribution. En Tunisie, la situation est toute différente : notre secteur opère avec près de 95% de produits locaux, et les quelques importations significatives effectuées sont cantonnées dans des domaines peu sensibles pour l'économie nationale : articles de ménage et de bazar. Le secteur reste exclusivement orienté vers la promotion de l'industrie locale en particulier dans le domaine de l'agroalimentaire où les produits importés directement par la grande distribution sont réellement peu significatifs. - Le secteur français opère dans le cadre d'une économie libérale où l'intervention de l'Administration en matière de réglementation des prix ou des marges à totalement disparu depuis longtemps. Ceci amène le secteur à pratiquer des marges nettement plus élevées qu'en Tunisie, où la situation reste marquée par la prédominance d'une réglementation des prix dans beaucoup de domaines, ce qui limite la marge moyenne du secteur à un niveau nettement plus bas : plus de 10 points de moins en moyenne. Dans le domaine des fruits et légumes, où la grande distribution française a été attaquée pour les marges abusives qu'elle semble pratiquer, les prix de vente en Tunisie sont réglementés par un arrêté datant de 1974 qui aboutit à une marge nette de moins de 10% ! - Dans le domaine des relations avec les fournisseurs, le secteur français, fort de son poids énorme dans le marché, a su élaborer avec les années des outils et argumentaires très élaborés : c'est ainsi que le niveau des marges arrières tellement décrié en France dépasse les 30%. En Tunisie, du fait de notre poids très faible dans le marché, les relations avec les fournisseurs n'ont rien de comparable, et le législateur a très tôt imposé des garde-fous contre tout abus éventuel. Ainsi, à part des services de communication et de mise en avant des produits régies par des conventions écrites basées sur une tarification claire, l'essentiel des discussions porte sur quelques points de remises (souvent inférieures à 5 points) représentant la contrepartie des volumes d'achat importants que représentent le secteur. Il est important à ce propos de noter que la distribution moderne représente pour les industriels le meilleur vecteur de communication disponible : les tirages réguliers des catalogues des différentes enseignes dépassent de très loin l'ensemble des tirages de toute la presse écrite, et les opérations d'animation et de mise en avant des produits dans les supermarchés et hypermarchés constituent une exposition unique à un public extrêmement nombreux que les services marketing des industriels savent bien évaluer à leur juste valeur. Nous pensons qu'il est fondamental d'être conscient de ces écarts, car les ignorer peut facilement conduire à l'amalgame. Cela peut aussi, par la diffusion systématique d'arguments non applicables au secteur tunisien, mener à des mesures administratives ou réglementaires qui risquent de freiner le développement du secteur. Or, les multiples avantages socioéconomiques liés à la modernisation de la grande distribution et le besoin de développer l'activité à un rythme plus soutenu que celui des 10 dernières années font l'unanimité de toutes les analyses et évaluations. Ces avantages se situent au niveau du consommateur qui profite d'un confort d'achat exceptionnel et des prix les plus avantageux découlant d'une concurrence effrénée à laquelle se livrent les opérateurs, à l'industriel qui est tiré vers la qualité et la performance et dispose d'une plateforme de communication unique pour ses produits, aux employés par la création conséquente d'emplois générés et le fort taux d'encadrement de l'activité, et à l'Etat qui est assuré d'une transparence fiscale totale et d'un allié constant pour la défense du pouvoir d'achat du citoyen. L'étude stratégique sur le secteur du commerce de détail initiée par le ministère du Commerce a confirmé toutes ces données et a recommandé une croissance plus soutenue du secteur. Nous craignons qu'avec les campagnes de dénigrement qui semblent se développer contre lui, et les mesures restrictives récemment prises par l'Administration, le secteur de la grande distribution tunisien ne soit pas en mesure d'atteindre les objectifs de croissance qui lui ont été assignés et que la structure du commerce de détail dans notre pays restera en net retrait par rapport au développement général du pays". La Chambre Syndicale Nationale des Grandes Surfaces