Epaulés, cette année, par la Banque africaine de développement (BAD), les chasseurs tunisiens de prix Nobel sont parvenus à faire le bon choix, celui du double prix Nobel Joseph Stiglitz, invité à donner, à Tunis, une conférence sur «les options de sortie de crise pour l'Afrique». Le prix Nobel d'économie de 2001 et de la paix en 2007 s'est distingué par ses critiques virulentes contre le diktat des marchés, contre les institutions de Brettons Wood et contre le calcul conventionnel de la richesse et du bonheur. Concernant le premier volet, il propose deux grandes réformes. La première concerne la création d'une Banque centrale mondiale et d'une monnaie de réserve internationale qui pourrait remplacer le dollar, monnaie de réserve de facto. L'objectif est de faire en sorte que la nouvelle monnaie ne soit plus soumise à ce qu'il appelle «les accidents de conjoncture» d'un pays ou d'un groupe de pays. In fine, cette monnaie serait bien plus stable. S'agissant de la seconde réforme, elle consiste en l'institution d'«un nouveau système de gestion des faillites transfrontalières, y compris les défauts de paiement des Etats souverains». En plus clair, M. Joseph Stiglitz plaide pour une stabilisation, normalisation et cohérence des produits financiers. Selon lui, les normes et les règles communes favorisent l'amélioration de la transparence souhaitée par tout le monde. S'agissant de la remise en cause des systèmes statistiques actuels et des mécanismes de mesure de la richesse, M. Stiglitz estime que ces instruments n'ont pas permis de prévoir ni la crise ni la toxicité des produits écoulés. En 2008-2009, Joseph E. Stiglitz a co-animé avec le français Jean Paul Fitoussi, président de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), une commission composée d'une vingtaine d'experts mondiaux et chargée par le chef d'Etat français Nicolas Sarkozy de réfléchir sur les moyens d'améliorer la visibilité et l'acceptabilité de la donne statistique. Globalement, la commission a recommandé l'élargissement des indicateurs à des activités non marchandes : garde d'enfants, conditions environnementales, bricolage, santé, illettrisme Elle préconise d'intégrer dans le calcul de la richesse les facteurs qui favorisent «la soutenabilité» de l'économie, c'est-à-dire sa capacité à inscrire, dans la durée, le bien-être des gens. L'accent doit être mis beaucoup plus sur la mesure du degré de la qualité de vie que sur celle de la production économique marchande. Concrètement, elle préconise de substituer au Produit Intérieur Brut (PIB) le Produit national net (PNN). Ce nouvel indicateur qualitatif donne de meilleurs éclairages sur l'évolution du revenu réel, de la consommation des ménages et du bien-être matériel en général. Elle invite les statisticiens à être davantage à l'écoute des ménages et à tout ce qui les touche de près (impôts, prestations sociales, intérêts des prêts, accès aux soins, à l'éducation ). Il s'agit également de prêter plus d'attention à la répartition des revenus et à instituer ce qu'elle appelle «le revenu médian», une sorte de barre entre ceux qui ne l'atteignent pas (-50%) et ceux qui le dépassent (+50%). Et pour ne rien oublier, la commission recommande, au chapitre de la méthodologie à suivre, de donner la priorité à l'enquête et aux sondages. Ces techniques favorisent, selon ses membres, une meilleure connaissance de la vie des gens, des inégalités, des expériences, des priorités des uns et des autres.