Cela fait maintenant 21 ans que nous avons ce rêve à la Martin Luther King, le sien s'est concrétisé, les USA ont aujourd'hui un président black et les Afro-américains ne sont plus réduits à vivre dans des ghettos. Le nôtre tarde à se réaliser, pourquoi ? Est-ce, ce bon vieux conflit appelé Polisario très embêtant pour nous citoyens, un bon prétexte «très convaincant» que nos gouvernants nous servent dès que la question de l'Union maghrébine commence à se poser avec insistance ? Il est vrai qu'il existe des raisons d'ordre politique mais les causes derrière cette impuissance à finaliser l'édification de ce grand Maghreb économique sont beaucoup plus profondes, affirme Azzam Mahjoub. «Nous ne sommes tout simplement pas dans la bonne direction, pire nous sommes en train de reculer et si nous ne prenons pas les mesures adéquates, nous allons certainement en souffrir». Et pour preuve, explique-t-il : une enquête menée en Algérie en 2006 dans le cadre du réseau EuroMesCo souligne que le blocage de la région n'est pas dû au conflit du Sahara Occidental mais à l'incapacité des dirigeants maghrébins à s'entendre. Le conflit du Sahara serait un prétexte pour l'immobilisme. L'intégration régionale est pourtant perçue par les populations comme nécessaire pour le développement politique et économique de la région. Comment sinon espérer récolter des avantages significatifs dans nos relations avec les regroupements régionaux latino-américains, européens ou asiatiques si nous sommes incapables de réaliser notre propre intégration ? Comment prétendre à des négociations équilibrées et d'égal à égal ? Pour pouvoir avancer sur la route de Marrakech, celle de l'union, il faudrait oser s'attaquer à de grands chantiers appelés bonne gouvernance, institutions fortes, indépendance des pouvoirs judiciaires, une participation plus efficace et plus efficiente de la société civile et bien sûr accepter de se défaire d'une part de souveraineté. Cet acte s'exprimerait par des stratégies et des politiques unifiées et harmonieuses et concertées entre les ministères économiques, les instances financières, les organismes d'appuis et de promotion à l'instar de ce qui se passe à la communauté européenne où tout se décide à Bruxelles sauf lorsqu'il s'agit de ministères de souveraineté tels la Défense ou de l'Intérieur, et encore. Pas de Bruxelles pour le Maghreb Aurons-nous notre Bruxelles ? Aucun indice ne permet de le supposer. Tout d'abord, explique M. Mahjoub, sur le plan interne, les cadres institutionnels restent encore fragiles et incomplets pour établir des économies de marché ouvertes (lois sur la concurrence, efficacité et transparence de l'administration, compétence et indépendance des juges). Ces faiblesses institutionnelles internes rejailliraient selon lui sur la gestion des relations commerciales et interétatiques. Ensuite, l'absence d'institutions solides qui assurent la transparence et la précision des réglementations, réglementations qui, à des degrés divers, sont vagues et imprécises d'où des marges pour l'arbitraire ou la discrimination volontaire. Et gâteau sur la cerise, les structures et mécanismes juridico-institutionnels de résolution des litiges sont soit inexistants soit peu efficaces. Les politiques commerciales sont protectionnistes avec des difficultés au niveau des échanges commerciaux et les politiques économiques manquent de convergence tant au niveau global que sectoriel. Combien d'organisations maghrébines professionnelles réellement actives et efficientes avons-nous si nous excluons l'Union maghrébine des Employeurs assez récente et l'Union maghrébine des travailleurs sans poids réel? Amusons-nous donc à en compter le nombre. Combien d'accords maghrébins fonctionnent ? La multiplicité des accords d'intégration sont un véritable puzzle avec des problèmes de cohérence, de compatibilité, de complémentarité et parfois d'opposition, répond M. Mahjoub, d'où une gestion complexe handicapant le processus d'intégration sans oublier l'absence ou la faible volonté politique, la prééminence forte d'un nationalisme radical avec le refus d'abandon d'une partie de la souveraineté, le non dépassement de la politique de puissance dans la gestion des relations interétatiques. Un autre facteur important, la conflictivité latente avec des relations de confiances mutuelles fragiles et l'absence d'un rôle efficient des sociétés civiles en termes de voix susceptible de peser d'une manière significative sur le cours des événements. Sur le terrain pourtant, les choses évoluent et selon une enquête menée en France par le cabinet d'études marketing Solis, citée par le magazine Jeune Afrique, la diaspora des trois pays du Maghreb central est largement unioniste. Et pour preuve, la dernière Coupe d'Afrique des Nations où «on a vu tout le Maghreb du foot se tenir derrière l'Algérie». Les frontières sont tombées mais pas uniquement en France, en Tunisie et au Maroc, on a vu les drapeaux algériens brandis par des fans unis non seulement par le foot mais par une appartenance à une entité appelée Maghreb. Loin de se replier sur elles-mêmes, les populations maghrébines commencent à scruter du regard vers leurs voisins de l'Est et de l'Ouest. Les jeunes, particulièrement, qui souffrent de chômage et d'exclusion et n'arrivent pas à s'expliquer la réticence de leurs gouvernements respectifs à leur offrir ces 2% de croissance qui leur donnerait du travail, du pain et de la dignité. Les temps ne sont plus à la réflexion mais plutôt à l'action Au-delà des réformes et de la volonté politique indispensable à la construction d'un Grand Maghreb, il paraît évident d'engager des mesures sérieuses sur le plan économique, visant à pousser sérieusement vers une unité économique. Il faudrait s'entendre, précise Azzam Mahjoub, et l'Union européenne aurait un rôle à jouer dans le soutien de l'édifice maghrébin, quant à l'amélioration et au renforcement effectif du cadre d'incitations à l'intégration régionale du Maghreb (discrimination positive en faveur des projets allant dans le sens de l'intégration). Il est aussi important de mettre en place des mécanismes pour financer des projets régionaux d'infrastructures et de facilités aux échanges (énergies, transports, NTIC) en impliquant les opérateurs privés. Précisons à ce propos que la Banque maghrébine, qui devrait ouvrir ses portes d'ici la fin de l'année à Tunis, pourrait et devrait répondre à cet impératif. Il serait également souhaitable de créer des mécanismes de soutien au développement des échanges et promouvoir (en vue d'une mise à niveau) la coopération institutionnelle régionale et les programmes orientés vers la société civile pour encourager les milieux favorables à l'intégration. Les programmes et les plans économiques maghrébins stratégiques, loin de se concurrencer, devraient s'accorder sur certains projets globaux dans une vision de complémentarité et non de mimétisme aveugle et bête en engageant de grands projets similaires qui se concurrencent entre eux au lieu de se partager les bénéfices d'un seul pour le compte de toute la région (trois ports en eaux profondes dans trois pays voisins). A la question pourquoi la zone arabe de libre-échange ne fonctionnait pas, un expert égyptien répondait, parce que tout simplement, nous tendons à fabriquer les mêmes produits pour nous les échanger C'est caricatural, peut-être, mais le fait est qu'il est temps pour des pays qui «ambitionnent» de s'unir de se positionner différemment selon les secteurs afin d'orienter leurs efforts dans une activité dans laquelle chacun peut devenir leader. La diversification des exportations est indispensable pour que les échanges intra-régionaux soient réussis. C'est donc un plan d'action qui doit engager tous les pays maghrébins dans un processus unioniste auquel appellent experts et opérateurs économiques. Un plan d'action qui prévoit le passage d'une économie co-administrée à une économie gérée par les mécanismes de marché et régulée et contrôlée par les Etats dans le respect des bonnes pratiques et d'une saine gouvernance. La mondialisation, la libéralisation des marchés, les politiques économiques ouvertes et libérales poussent à la composition de coalitions régionales dotées de force de négociation. Pourquoi pas le Maghreb ? Habib Ben Yahia, secrétaire général de l'Union du Maghreb arabe déclarait dans une récente interview en direction des sceptiques qu'il s'agissait tout juste de la perception de la cadence pour sa construction, le bilatéral prend de la vitesse mais l'horizontal se fait lentement. Il est tout aussi vrai que pendant que les Maghrébins planchent sur le oui ou le non du Maghreb depuis 21 ans, le Conseil économique des pays du Golfe est en train de créer sa propre monnaie, passant à une vitesse supérieure dans son intégration économique, le Mercosur, l'alliance bolivarienne en Amérique latine, la CEDEAO, la COMESA, l'ASEAN avancent rapidement sur les voies de l'intégration totale. Dans ce contexte, le monde pourrait-il s'accommoder d'un groupement qui titube alors que lui avance à la vitesse de la lumière ?