C'est indéniable, le projet de loi de finances 2021 est loin de faire l'unanimité. Il provoque même de vives réactions de tous bords. Acteurs politiques, économiques ou sociaux sont très virulents et n'épargnent pas le chef du gouvernement. Alors que la plénière consacrée à l'examen du PLF est prévue ce samedi 28 novembre, Hichem Mechichi multiplie les rencontres « pour dialoguer » et « enrichir le contenu du projet » selon laïus officiel, pour se garantir un minimum de chance afin que le texte passe, essentiellement. A son premier grand test, celui qui a été désigné, puis désavoué dans la foulée par le président de la République, est en train d'en prendre pour son grade et pas qu'un peu. Entre les difficultés à boucler le budget de l'Etat pour 2020, les bisbilles avec la Banque centrale, les foyers de colère partout dans le pays suite à une malencontreuse gestion des revendications, le Covid qui continue à se propager allégrement et sa gestion tout aussi malencontreuse, une opposition qui l'attend au tournant et des pseudo-alliés tout autant, Mechichi est le moins qu'on puisse dire dans de très sales draps. S'y ajoute donc ce projet de loi de finances qualifié de surréaliste par la majorité des experts.
On ne parlera pas chiffres et hypothèses barbantes, mais d'une théorie qui trouve un grand écho chez les fans du président de la République. Une théorie, portée en premier par son frère très actif sur les réseaux sociaux, autour d'un complot de la classe politique qui, étant consciente de son échec, balancera la patate chaude du PLF au chef de l'Etat. Selon cette théorie, ceux qui ourdissent ce plan visent à faire d'une pierre deux coups. Naoufel Saied ne nomme pas le chef du gouvernement et ses pseudo-alliés, mais c'est tout comme. Donc d'un côté, ils se délestent d'un dossier qui les dépasse, d'un autre ils tendent un piège au président de la République qui devra assumer politiquement les travers de cette loi de finances boiteuse.
Concrètement, cela revient au recours à certains alinéas de l'article 66 de la constitution qui prévoient les mesures à prendre si le projet de la loi de finances n'est pas adopté dans les délais. Faisons un peu de politique-fiction qui rejoint, d'ailleurs, cette théorie en vogue chez les amis du président. Le PLF doit être adopté au plus tard le 10 décembre et le président de la République peut renvoyer le projet pour une deuxième lecture (selon ses fans il sera amené à le faire tellement le PLF est catastrophique). Le Parlement se réunit pour un deuxième débat dans les trois jours suivant le renvoi. La loi est adoptée en deuxième lecture. Le chef du gouvernement ou un groupe de trente députés peuvent intenter un recours pour inconstitutionnalité des dispositions de la loi de finances devant la Cour constitutionnelle qui statue dans un délai ne dépassant pas les cinq jours. En l'absence de cette cour, c'est l'Instance provisoire du contrôle de la constitutionnalité des projets de lois qui s'en charge. Donc, si l'inconstitutionnalité est déclarée, la balle est renvoyée au président de la République, s'en suit alors une série de dispositions qui aboutissent à la conclusion que la promulgation de la loi doit se faire au plus tard le 31 décembre. C'est le dernier alinéa qui fait dire à Naoufel Saied and Co qu'on cherche à tendre un piège au président. Parce que si le projet de loi de finances n'est pas adopté le 31 décembre, « il peut être exécuté, en ce qui concerne les dépenses, par tranches trimestrielles renouvelables et ce, par décret présidentiel. Quant aux recettes, elles sont perçues conformément aux lois en vigueur ». Ainsi, dans cette situation de crise économique et sociale le président de la République aura la charge des dépenses, sans intervenir sur les recettes. Par conséquent à chaque revendication, à chaque protestation, ses adversaires s'en laveraient les mains et diraient, « allez voir le président, c'est lui qui réglera la facture ». On comploterait donc pour que Kaïs Saïed soit le « fusible » de la farce, celui qui sera désigné responsable des bévues des autres. Mais, selon son frère, le président de la République a démasqué ce plan machiavélique et est déterminé à assumer pleinement ses responsabilités.
Dans cette morosité ambiante, où les spectres de la mort, de la faillite et de la révolte rodent, notre classe politique ne fait pas grand-chose pour rassurer les Tunisiens, au contraire. S'agissant de cette théorie du complot, rien ne dit qu'elle ne se réalisera pas, tant on a vu des vertes et des pas mures ces dernières années.