Aucun pays au monde n'a connu les déboires vécus par la Tunisie durant les dix dernières années, et particulièrement depuis les élections législatives et présidentielles de 2019. Ni l'Allemagne en 1946, ni les pays de l'Europe de l'ouest dévastés par les armées nazis, ni plus récemment les pays du printemps arabe, n'ont connu des situations de blocage total. Même la Syrie a préservé son pouvoir central alors que la Libye s'achemine vers une sortie de crise. Chez nous, nous avons opté pour un pouvoir tricéphale pour couper avec toute velléité autoritaire. Seulement ce système n'est efficace que si les trois présidences sont dotées d'un sens aigu de l'Etat et qu'en cas de discordance, il y a toujours la cour constitutionnelle pour trancher. Malheureusement, les principaux acteurs politiques ne semblent pas pressés de mettre en place cette institution d'arbitrage essentielle dans un système démocratique. Pire encore, nous avons réussi l'exploit de réunir, au même moment, les trois pires présidents, très différents les uns des autres, mais tous imbus de leurs personnes et qui ajoutent à leur incompétence, une grande dose d'entêtement et d'égoïsme. La crise actuelle qui met carrément le pays à l'arrêt n'est en définitive qu'une querelle de prérogatives et d'égos démesurés entre le président de la République Kaïs Saïed, le président du parlement Rached Ghannouchi et le président du conseil des ministres Hichem Mechichi. D'un ton grave et solennel, Hichem Mechichi a annoncé samedi qu'il ne démissionnera pas. Seuls les plus naïfs auraient pensé qu'il était capable d'un pareil acte de grandeur qui met l'intérêt de l'Etat et du pays en priorité. Voilà un gratte-papier qui a toujours vécu dans l'anonymat, qui ne s'est jamais illustré par une compétence particulière, qui n'a jamais rêvé d'être là où il est aujourd'hui et qui se retrouve soudainement, par le pur des hasards, sur la plus haute marche du pouvoir exécutif et sous les feux de la rampe. Pour lui, il n'est pas question de retourner dans l'anonymat et démissionner signifierait pour lui la mort. Pourtant le bilan de Mechichi est le plus désastreux de tous les chefs de gouvernements qui se sont succédés depuis la révolution. Sur le plan économique, il n'y a eu aucune amélioration et tous les paramètres se trouvent au rouge. Pire encore, la notation de la Tunisie s'est dégradée avec des perspectives négatives. Sur le plan social, Mechichi donne l'impression de vouloir contenter tout le monde et son Dieu. Sa recette à la Kamour et sa facilité à signer des accords qu'il est incapable de respecter et de mettre en pratique n'ont fait qu'exacerber les tensions. Enfin sur le plan sanitaire, c'est le fiasco total. Nous sommes l'un des derniers pays qui n'ont pas commencé encore une campagne de vaccination. L'allégement annoncé des mesures de confinement ne répond pas à une réalité sanitaire mais aux exigences et des pressions des différents lobbys face à l'incapacité du gouvernement à avancer des aides aux secteurs les plus touchés par la pandémie du Covid-19. Si Mechiche arrive à garder encore son poste, c'est grâce au soutien du chef des islamistes et président de l'Assemblée des représentants du peuple Rached Ghannouchi. Ce dernier fait partie des personnalités publiques les plus détestées par les Tunisiens. Tous ceux qui se sont approchés de lui ont laissé des poils s'ils ne se sont pas totalement désintégrés comme les partis politiques d'Ettakatol, le CPR, le Nidaa ou des hommes politiques tels que Mustapha Ben Jaâfar, Moncef Marzouki, Slim Riahi et Youssef Chahed. Ghannouchi est aujourd'hui, sans conteste, l'un des hommes forts du pays. Mais il est aussi l'un des facteurs essentiels du blocage politique aussi bien dans le pays qu'au sein même de sa propre formation politique. Reste le président de la République Kaïs Saïed qui est l'unique responsable de la nomination de Hichem Mechichi. Durant un an et demi, Kaïs Saïed n'a rien démontré sauf qu'il était incapable d'agir ou de fournir autre chose que des discours pompeux, évasifs et parsemés de références littéraires ou religieuses. On l'aura compris : Kaïs Saïed est un homme intègre, droit dans ses bottes, mais il n'a rien à apporter aux Tunisiens et à l'Etat. Selon le principe de Peter, il aurait dépassé de loin les limites de sa compétence et s'est élevé depuis longtemps à son niveau d'incompétence. Il ne serait pas surprenant s'il échoue à se faire réélire lors des prochaines élections présidentielles.