On dit que la police nous protège, mais qui nous protège de la police ? C'est la question désespérée, angoissée que l'ensemble du peuple tunisien se pose une fois de plus. Une fois de plus, le système policier tunisien démontre tout ce qu'il contient d'obscène et d'obsolète. Les images d'un jeune de quinze ans, enfant de la révolution, agressé et humilié ne relèvent pas de la bavure, elles symbolisent un système qui fonctionne par la peur et l'abus.
En Tunisie, l'Etat est le détenteur de la violence illégitime
En théorie, l'Etat détient le « monopole de la violence légitime ». Pour préserver l'ordre, la paix sociale, pour lutter contre la délinquance, l'Etat peut user de la force nécessaire.
Dans notre pays, la théorie est évincée par la pratique d'une police agissant comme une milice crasse et crapuleuse formée de gardiens de la pègre, plus que de la paix.
Chez nous, la police inspire plus méfiance que confiance.
La femme violée refuse de porter plainte de peur de vivre des agressions supplémentaires.
Un groupe de jeunes fera tous les détours pour éviter de rencontrer des flics qui pourraient les harceler, les dépouiller simplement par envie, par chmeta.
Quand de jeunes artistes font vibrer leurs instruments dans la rue, lorsqu'ils osent animer la place publique, ils sont virés par des agents fossoyeurs de la créativité.
La garde à vue, banalité administrative, se transforme en torture, en meurtre parfois.
Et le jeune supporter préfère se jeter à l'eau et se noyer plutôt que de subir la violence policière.
Cette réalité est systémique. C'est une norme où l'humiliation gratuite s'ajoute à la violence.
Son objectif : Réduire au silence, couper le souffle, noyer les ambitions.
Le résultat : Des citoyens orphelins qui n'attendent rien de leur patrie, n'espèrent rien de leur Etat et vivotent car leur pays les empêche de rêver.
Une réalité inégalitaire
Les bourgeois gentilshommes se plaisent à vilipender les jeunes, leur nihilisme, leurs folles tentatives pour traverser la Méditerranée, leurs morts futiles, leur « manque de civisme ».
Ils grognent contre le désordre sans reconnaître ses causes profondes.
Car l'injustice policière n'est pas une réalité diffusée de manière égale dans la société tunisienne. Elle atteint plus les enfants des quartiers populaires, ceux qui vivent dans la rue et la font vivre, ceux qui n'ont ni réseau, ni argent, ni statut autre que celui de citoyen, d'enfant du peuple.
Et ce statut est nul et non avenu lorsqu'il est piétiné par les représentants de l'Etat.
Quand la Loi ne les respecte pas, peut-on leur demander de respecter la Loi ? Peut-on demander à des citoyens orphelins de ne pas se jeter à la mer ?
À bas la flicaille, vive la police !
Il y a la police qui protège, sécurise, maintient la paix et la cohésion sociales. Et il y a la flicaille qui agresse, harcèle et corrompt la société.
La police est indispensable. Et il doit y avoir sans doute parmi les officiers tunisiens un grand nombre de policiers honorables, qui zigzaguent entre la corruption et la violence du système, en essayant tant bien que mal de soutenir les citoyens.
Mais chez nous, c'est la flicaille qui commande. Et c'est elle qu'il faut éradiquer pour que triomphent la police, l'ordre et la paix.
Toute initiative politique qui n'intègre pas cela est vouée à la faillite.
Et le moment est propice au changement. Pour qu'il se concrétise, les policiers vertueux doivent se manifester, s'allier à la mobilisation populaire et à la colère d'un président tout aussi populaire.
Car tant que la flicaille reste au gouvernail, la Tunisie poursuivra son naufrage.
* Saoud Maherzi : Conseiller en stratégie et transformation organisationnelle.