Le Parlement est appelé à donner son feu vert pour emprunter des devises afin d'importer du phosphate et autres matières premières, violences policières abjectes, interdiction de manifester, un président de la République qui reçoit, derrière son bureau, le chef du gouvernement et la ministre de la Justice, ingérence dans le travail judiciaire, une opposante qui pleurniche sur la déliquescence de l'Etat, un chef de parti que la justice refuse de libérer malgré le dépassement des délais légaux de détention, un maire qui envoie ses sbires encercler le siège d'une radio et intimider ses journalistes. Les événements de la semaine, comme ceux des semaines et des mois précédents, ont été hauts en couleurs et fort significatifs pour montrer que l'Etat tunisien vit ses derniers jours. Bientôt, la Tunisie sera dans un état similaire au Liban ou la Syrie. Bientôt, le Tunisien sera comparable au Grec, au Vénézuélien ou au Cubain. Dans ces pays, et au vu de l'inflation et des pénuries, la classe moyenne n'a plus les moyens de manger à sa faim. Un enseignant universitaire libanais témoigne, il y a quelques semaines, qu'il n'a plus les moyens d'acheter, pour sa famille, les petites pâtisseries ramadanesques qu'on déguste après la rupture du jeûne. Tunisiens, vous êtes prévenus, on va tout droit dans cette direction. C'est juste une question de temps.
Revenons aux événements de la semaine qui démontrent comment notre Etat est en déliquescence. La police « républicaine » tabasse à Sidi Hassine un enfant de quinze ans (à quinze ans, on est encore enfant, on n'est pas seulement mineur) et le dénude pour le laisser à poil en plein jour, en pleine rue. Si c'était un soldat israélien qui s'est comporté ainsi avec un enfant palestinien, on aurait eu à Tunis des manifestations durant des jours, on aura versé nos larmes de crocodile habituelles et on aurait sorti le sempiternel projet de loi contre la normalisation avec Israël. Mais lorsque la victime et le bourreau sont tous les deux Tunisiens, on se voile la face et on joue à l'autruche pour dire que c'est un acte isolé et passer à autre chose. Le président de la République qui criait à qui veut bien l'entendre, il y a à peine quelques semaines, qu'il était le chef suprême des forces armées, civiles et militaires, s'est soudain désolidarisé de la mission qu'il s'est lui-même arrogé. Monsieur le président, quand on est chef, on assume ! Quand on est chef, on sort présenter des excuses à tous les Tunisiens humiliés par la photo de l'enfant dénudé ! Quand on est chef, on propose des solutions concrètes pour qu'un tel scandale n'ait plus jamais lieu. Au lieu de tout cela, le président de la République a convoqué le chef du gouvernement, ministre de l'Intérieur par intérim, et la ministre de la Justice. A-t-il proposé des solutions concrètes ? Non ! Il a beuglé ! Oui, le président de la République a beuglé ce vendredi 11 juin. Il a sermonné le chef du gouvernement et la ministre de la Justice en zappant toutes les crises par lesquelles passe le pays pour se concentrer sur ses propres batailles personnelles. Il a parlé du silence du parquet face aux délits et crimes supposés commis par les députés, il a parlé de l'immunité et de l'impunité et il a rappelé que c'était lui le Chef. Kaïs Saïed a ensuite reçu le secrétaire général de l'UGTT pour lui rappeler qu'il y a un seul président dans le pays et ce président c'est lui.
Ce qui dérange le plus dans cette rencontre du vendredi 11 juin, c'est le fait que le président de la République reçoive le chef du gouvernement et la ministre de la Justice derrière son bureau. Cette photo, qui ne donne pas l'air, est une gifle à la Constitution et aux Tunisiens. Le président de la République se met dans la posture du supérieur hiérarchique et place le chef du gouvernement et la ministre de la Justice dans la posture des subordonnés et ceci est contraire au protocole et à la Constitution. La même Constitution que le président jure, sur tous les toits, de respecter. Monsieur le président, vous n'êtes pas le supérieur de Hasna Ben Slimane, vous n'êtes pas le supérieur de Hichem Mechichi ! Monsieur le président, vous n'avez pas à élever la voix et à sermonner ainsi deux hautes personnalités de l'Etat, encore moins devant les caméras ! Monsieur le président, par votre comportement, et en vous plaçant derrière un bureau et non au salon habituel, vous n'avez pas humilié deux ministres, vous avez humilié tous les Tunisiens et enfreint la Constitution ! Vous avez humilié le protocole, vous avez humilié l'Etat ! Monsieur le président, vous n'êtes pas le seul président du pays, vous êtes un des trois présidents du pays, que vous le vouliez ou pas, car c'est la Constitution qui le dit. Changez la Constitution ou suspendez la et après on discutera ! En attendant, monsieur le président, vous vous devez de respecter à la lettre cette Constitution, on ne vous donne pas le choix ! Vous vous devez de respecter les hauts représentants de l'Etat, que vous le vouliez ou pas, c'est une question de protocole, c'est une question de savoir-vivre ! Un mot pour Hichem Mechichi pour clore cet épisode, Si vous étiez respectueux de votre personne et de votre poste, vous vous deviez de refuser, ainsi que votre ministre de la Justice, de rester dans cette posture du subordonné humilié et sermonné devant le bureau. C'est une question de respect des institutions, c'est une question de dignité. Kaïs Saïed n'est pas votre supérieur hiérarchique, Kaïs Saïed a, tout comme vous, des prérogatives dictées par la Constitution et, l'ingérence dans votre travail, tout comme l'ingérence dans le travail judiciaire, ne figure pas parmi les prérogatives présidentielles.
Jeudi 10 juin, au Parlement, la députée d'Attayar Samia Abbou crie au bord des larmes : « Nous devons proclamer la fin de l'Etat et faire son deuil ! ». Elle réagit à la vidéo choc de la barbarie qu'a subie l'enfant de quinze ans par des policiers sans foi ni loi et au banditisme de certains de ses collègues qui échappent à la justice grâce à l'immunité parlementaire. Madame Abbou a une mémoire de poisson et oublie sa responsabilité, ainsi que celle de son camp politique, dans ce qui arrive maintenant. Car cela fait dix ou onze ans que nous avertissons sur la déliquescence de l'Etat et les dangers du populisme, une des spécialités du couple Abbou. Madame Abbou, vous avez oublié vos photos avec Seïf Eddine Makhlouf et Imed Deghij ? Vous avez oublié les photos de votre époux avec les salafistes et les niqabées ? Vous avez oublié comment votre époux a tué l'administration en décrétant le samedi comme jour chômé ? Vous avez oublié comment votre cher président, aux dix-sept mille voix, recevait les extrémistes au palais de Carthage et décorait, dans ce même palais, les niqabées ? Vous avez oublié vos ignominies, et celle de votre Ghazi Chaouachi, à l'encontre des membres de la famille Ben Ali que vous accusiez sans preuves de corruption ? Vous avez oublié comment vous citiez Kamel Letaïef et les Emiratis à toutes les sauces ? Vous avez oublié comment vous cherchiez le pétrole ? Vous avez oublié quand vous disiez que le terrorisme est une invention médiatique ? Vous avez oublié quand vous vouliez passer une loi pour incriminer ceux qui critiquent la révolution ? Vous avez oublié quand vous vouliez écarter vos opposants politiques par une loi taillée sur mesure contre vos compatriotes que vous traitiez d'azlem ? Vous avez oublié vos cabales et vos chasses aux sorcières ? Vous avez oublié comment vous cautionniez le recrutement de milliers de personnes dans la fonction publique en guise de dédommagement à leur militantisme passé, alors que l'écrasante majorité d'entre eux n'ont jamais milité ou n'ont milité que pour leur religion et que pour l'islam politique ? Vous avez oublié quand vous justifiez la corruption de vos amis ministres et que vous montiez en épingle celle de vos adversaires ? Vous avez oublié les photos de votre ancienne camarade Sihem Badi avec les chaussures de Leïla Ben Ali ? Vous avez oublié que le premier crédit de l'Etat au FMI a été souscrit par votre gouvernement et signé par votre Moncef Marzouki ? Vous avez oublié que vous avez été la première à échapper à la justice en vous cachant derrière votre immunité parlementaire, suite à la plainte déposée contre vous par feu Béji Caïd Essebsi ? Vous avez oublié comment vous souteniez des avocats corrompus, juste parce qu'ils sont du même bord que vous ? Vous avez oublié vos soutiens à Sihem Ben Sedrine et à sa justice sélective et transactionnelle ?
Madame Abbou, il m'est agréable de constater que vous avez changé votre fusil d'épaule et que vous mettiez de l'eau dans votre vin. Il m'est agréable de constater que vous vous souciez enfin de l'Etat et que vous constatiez enfin qu'il est en déliquescence. Sauf qu'il est trop tard et que le mal est fait. Et ce mal, vous en êtes en partie responsable, ainsi que votre famille politique. Madame Abbou, vous avez fait du mal à ce pays. Votre camarade Ghazi Chaouachi a fait du mal à ce pays. Votre époux Mohamed Abbou a fait beaucoup de mal à ce pays. Votre ami Moncef Marzouki a fait énormément de mal à ce pays. Venir aujourd'hui pleurnicher sur l'état de l'Etat ne résout en rien le problème. Vous vous devez de trouver des solutions concrètes à ce pays. Or vous êtes incapables d'en trouver et encore moins de représenter une solution à ce pays. Vous savez pourquoi ? Parce que vous faites partie du problème, parce que vous ne vous regardez pas en face, parce que vous cherchez le mal chez les autres en occultant celui qui est en vous, parce que vous cherchez tout le temps des boucs émissaires, parce que vous ne faites jamais d'autocritique, parce que vous refusez de retenir les leçons de vos erreurs passées pour construire l'avenir. Vous n'êtes hélas pas la seule à blâmer, loin de là. Vous, au moins, vous commencez à voir les choses en clair, comme nous les voyions et le criions depuis dix ans. C'est toute la classe politique actuelle qui est à blâmer. Le parti premier Ennahdha est empêtré dans la corruption et le népotisme. L'opposition libérale et de gauche patauge au dessous de 2% et ne convainc personne Le PDL, premier parti d'opposition, patauge dans le populisme et les raccourcis. Le gouvernement fait la fuite en avant en endettant nos générations futures. Le président de la République fait du sur-place et des ronds dans l'eau. Les magistrats sont noyés par les dossiers, intimidés par la classe politique et handicapés par le corporatisme. Vous tous, vous représentez les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire et vous tous, vous représentez l'Etat. Or vous êtes tous les trois malades et c'est pour cela que l'Etat est malade, que l'Etat est en déliquescence.