A J-4 du délai de trente jours fixé par le président de la République le 25 juillet dernier, après avoir annoncé une série de décisions et formulé un certain nombre de promesses, Business News revient sur ce fameux discours et le décortique point par point pour voir où en est Kaïs Saïed de ses promesses. Dans un discours de dix minutes, vidéo à la fin de cet article, le président de la République a annoncé une série de décisions en cette fameuse et inoubliable soirée du 25 juillet 2021.
- 1ère promesse : Gel des travaux de l'Assemblée des représentants du peuple : promesse tenue, le soir même, avec l'envoi de véhicules de l'armée nationale pour occuper les lieux et empêcher les députés d'y accéder. Malgré les dénonciations du président du parlement et d'un nombre de ses députés et malgré les réactions d'un certain nombre de pays, le président n'a pas reculé sur ce point.
- 2ème promesse : Levée de l'immunité des parlementaires et suivi personnel de ceux qui ont des affaires pendantes devant la justice et ce en présidant le ministère public. Promesse non tenue. Le président de la République a annoncé ce jour là que le ministère public doit bouger dans le cadre de la loi pour poursuivre ceux qui commettent des crimes à l'endroit de la Tunisie et étouffer un nombre de dossiers dans les tiroirs du ministère de la Justice ou ceux du parlement. 26 jours après, on constate, avec regret, que le ministère public près du tribunal civil de première instance de Tunis, n'a quasiment pas bougé pour réactiver les anciens dossiers ou pour en activer d'autres. Concrètement, ceux qui ont « souffert » de la levée de leur immunité sont Yassine Ayari et Fayçal Tebbini, mis en prison pour l'exécution d'une ancienne peine pour le premier, et en détention préventive pour le second. Aucun député islamiste et aucun député d'Al Karama n'est recherché par la justice civile, malgré les multiples casseroles qu'ils trainent. Le député islamiste Saïd Jaziri, fondateur d'une radio pirate, a été arrêté pour moins de 24 heures, puis relâché. Aucune instruction n'a été ouverte à l'endroit de Sahbi Smara ou Seïf Eddine Makhlouf qui ont physiquement agressé la députée Abir Moussi. La liste des griefs frappant les députés est longue, mais le ministère public est étrangement muet. Quant au président de la République qui a affirmé, le 25 juillet, qu'il allait présider le parquet, il n'en est rien 26 jours après. Il y a bien eu des décisions supra-judiciaires, avec des assignations à résidence, contre un député (Yosri Daly d'Al Karama), mais ça s'arrête là. Rien de concret devant la justice civile. Il y a bien eu une assignation à résidence contre Belhassen Ben Amor, ancien conseiller juridique de Youssef Chahed, mais il n'y a rien eu contre le député d'Ennahdha, Noureddine Bhiri, ancien ministre de la Justice coupable pourtant de bien des malheurs dans le corps judiciaire, d'après plusieurs avocats et magistrats. Il y a bien eu des arrestations de personnalités dans l'affaire des phosphates, mais celles-ci ont pu être libérées quelques jours après, vu que les dossiers étaient vides. Face à la passivité de la justice civile et son incapacité à présider le parquet, Kaïs Saïed s'est tourné vers la justice militaire, malgré les gros risques qu'il prend en la saisissant. Il a même changé son directeur pour pouvoir assurer que ses directives soient exécutées. Sauf que voilà, concrètement, il n'y a rien de palpable, le parquet militaire n'a arrêté aucun député, jusque là, ce qui fait que cette deuxième promesse présidentielle n'a pu être honorée.
3ème promesse : Le président de la République prend le pouvoir exécutif avec l'aide d'un gouvernement présidé par un chef du gouvernement désigné par le président de la République. Promesse non tenue. 26 jours après le 25 juillet, on n'a toujours pas de chef du gouvernement et l'essentiel des ministres exerçant aujourd'hui sont ceux qui l'étaient sous l'ancien chef du gouvernement Hichem Mechichi. Kaïs Saïed a bel et bien limogé quelques ministres, mais il n'a pas désigné d'autres ministres à la place. Il a nommé des chargés de portefeuilles (la différence est grande sur le plan formel) et ce pour quelques postes seulement (Intérieur, Finances). De grands ministères, d'une importance capitale, comme celui de la Justice ou encore celui de l'Agriculture, restent sans responsable à ce jour.
4ème promesse : limogeage du chef du gouvernement et convocation d'une autre personne pour le remplacer durant cette période exceptionnelle. Promesse non tenue. Le président a bien limogé Hichem Mechichi, mais contrairement à ce qu'il a dit le 25 juillet, il n'a pas nommé un successeur pour cette période. On est quasiment à la fin de cette période d'un mois et il n'y a toujours pas de chef du gouvernement. Il a clairement dit, pourtant, que ce chef du gouvernement allait présider le gouvernement et allait rendre des comptes au président de la République. Il a également dit qu'il allait nommer les ministres sur proposition du chef du gouvernement. Enfin, Kaïs Saïed a dit la chose et son contraire dans cette quatrième promesse. Il a ainsi annoncé que le chef du gouvernement allait présider le conseil des ministres, lequel doit se réunir sur proposition du président de la République qui va présider le conseil des ministres (6ème minute de la vidéo). Allez comprendre maintenant qui va présider ce conseil ! Toujours est-il que 26 jours après, on n'a ni de chef du gouvernement, ni de conseil de ministres.
5ème promesse : Ne pas se taire devant ceux qui s'en prennent à l'Etat et à ses symboles. Promesse non tenue. Les islamistes radicaux et certains islamistes s'en prennent quotidiennement au président de la République et ce dès le premier jour, sans qu'il n'y ait aucune réaction concrète de la part de la présidence ou du parquet. Seïf Eddine Makhlouf lui a bel et bien dit : « ton discours, mouille le et bois son eau ». On a bien cru, le 25 juillet, que Kaïs Saïed allait faire un tour de vis contre ceux qui l'injurient au quotidien, il ne s'est quasiment rien passé depuis et on continue toujours à le dénigrer dans les médias et les pages Facebook des islamistes. On a même vu le lobbyiste islamiste Radwan Masmoudi organiser une conférence pour inviter les Américains à s'immiscer dans les affaires intérieures tunisiennes. Sous d'autres cieux, cet acte serait considéré comme de la haute trahison envers la patrie. Pourtant, et contrairement à ce qu'a promis le président de la République, on continue encore en toute impunité à s'en prendre à l'Etat et à ses symboles. Même si une telle chasse aux sorcières peut donner lieu à des dérives condamnables, il s'agit tout de même d'une promesse du président.
6ème promesse : affronter avec des armes et des balles tous ceux qui pensent utiliser les armes. Promesse tenue. Dès le soir du 25 juillet, Kaïs Saïed a mobilisé l'armée dans l'enceinte du parlement et la police a été présente, en force, à ses alentours. Cette mobilisation spectaculaire a eu pour effet d'intimider des dizaines de milliers d'islamistes appelés à rejoindre les dirigeants d'Ennahdha et d'Al Karama au Bardo. Malgré les appels multiples des dirigeants, les bases ne se sont pas déplacées et il n'y a eu aucun coup de feu en 26 jours, malgré l'argent distribué dans certains quartiers, selon le président de la République.
7ème promesse : tous égaux devant la loi. Promesse non tenue. Plusieurs décisions prises depuis le 25 juillet montrent que tous les Tunisiens ne sont pas égaux devant la loi. Ainsi donc, on enregistre avec regret que les forces de sécurité sont encore incapables de mettre la main sur les députés recherchés par la justice militaire. On enregistre également avec regret que certaines personnalités sont assignées à résidence sans qu'elles ne sachent de quoi elles sont accusées. Idem concernant les déplacements à l'étranger. Des députés et des hommes d'affaires sont interdits de voyage alors que d'autres ne le sont pas. Une politique de deux poids deux mesures affligeante qu'on aurait pu comprendre et accepter si jamais on annonce, clairement, aux « suspects » de quoi ils sont suspectés !
8ème promesse : être à la hauteur des aspirations du peuple. Promesse tenue. Le président de la République l'a répété plus d'une fois lors de son intervention du 25 juillet, il tient à répondre et à être à la hauteur des aspirations du peuple. 26 jours après, on constate qu'il a bien réussi cette promesse avec un taux de popularité digne des scores soviétiques.
En dépit de ce que peuvent penser les aficionados de Kaïs Saïed, avec toutes ces promesses tenues et non tenues, les faits sont têtus. Le président de la République s'est engagé sur certaines choses le 25 juillet et il est impératif, 26 jours après, de faire le point sur ces engagements. Force est de reconnaitre que la majorité des promesses n'ont pas été tenues pour différentes raisons. Ainsi pour le cas des arrestations des personnes recherchées, on sait que la police n'a pas voulu être coopérative, ce qui explique d'ailleurs le vaste mouvement opéré hier au ministère de l'Intérieur. On sait aussi que les magistrats ont refusé catégoriquement que le président de la République préside le parquet. Pourquoi donc s'être engagé sur un point sans s'être assuré, au préalable, de son exécution, est-on en droit de nous interroger ? La question reste entière cependant quant à la nomination d'un gouvernement et d'un chef du gouvernement. Kaïs Saïed a été très clair le soir du 25 juillet en évoquant ce sujet, il paraissait être sûr de lui et laissait clairement entendre qu'il a déjà fait le casting du chef d'équipe et de ses ministres. On constate avec regret qu'il n'en est rien 26 jours après et le coût de ces 26 jours est énorme sur le plan économique. Kaïs Saïed a beau dire que la machine est en train de tourner normalement, grâce aux commis de l'Etat patriotes, ceci est faux. Ce climat d'incertitude est pire qu'un mauvais climat. Quoi qu'il en soit, et au vu de la situation actuelle et du gros retard pris dans la concrétisation des promesses du 25 juillet, il est fort à parier que Kaïs Saïed va prolonger cette période exceptionnelle de deux mois supplémentaires pour la ramener à 90 jours.