Le président de la République, Kaïs Saïed, fais preuve d'une étonnante constance quand il s'agit de nous surprendre et de prendre tout le monde à contrepied, tant il fait la part belle à l'improvisation et au gribouillage. Son discours de Sidi Bouzid, le 21 septembre, qui fera sans doute date dans l'art subtil du cafouillage, est totalement dénué de concret, de palpable. On y apprend seulement que des mesures transitoires vont être instaurées. Transiter de quoi vers quoi ? Par quel moyen ? Qui est en train de les mettre en place ? Nul ne le sait. De toute façon, il vaut mieux ne pas s'aventurer à poser ces questions puisque l'on risque d'être catalogué par le président comme traitres ou ivrognes, tout dépend de l'heure de la journée où l'on s'aventurerait à l'interroger. Sa diatribe du 21 septembre rappelle les discours fleuves, pétris de populisme et de haine, de présidents comme le colonel Kadhafi ou de Fidel Castro.
Il est clair qu'il s'agissait d'un discours adressé à ses soutiens et ses sympathisants dans ce qu'il considère comme fief acquis. Il n'a pas été question de stratégie ni de feuille de route, il nous avait dit de les chercher dans les livres de géographie. Il n'a même pas été question des problèmes des Tunisiens relatifs à l'éducation de leurs enfants, leur pouvoir d'achat, l'endettement du pays où encore les prix qui ont vertigineusement augmenté. Tout cela est évidemment orchestré et organisé par « les autres » pour porter atteinte au président de la République. « Les autres » ont meublé presque toutes les interventions présidentielles pour désigner les ennemis, les traitres, les parasites et les mauvais. Mais ils ne sont jamais nommés ou clairement déterminés. Il faut garder grand ouvert l'éventail de qualificatifs, comme ça il est possible d'y mettre un maximum de personnes. Même les personnes que Kaïs Saïed a consultées pour des postes ministériels et qui n'ont pas été retenues ont été mises dans ce sac et se retrouvent insultées dans le discours prononcé à Sidi Bouzid. C'est que le président de la République était en train de prendre son temps pour faire le tri parmi les « patriotes sincères » et « les autres », encore une fois. Et puis, il n'y a pas d'urgence. Le président dit que les rouages de l'Etat fonctionnent normalement, ils fonctionnent même mieux que lorsque le gouvernement était en place. On ne s'arrêtera pas sur le détail selon lequel l'application de l'article 80 de la constitution évoque un danger imminent qui entraverait le fonctionnement normal des rouages de l'Etat. Mais nous ne sommes plus dans ce formalisme là puisque le président propose une pirouette qui permettrait de sortir de cette constitution vers un autre système, en passant par d'obscures dispositions transitoires et un petit code électoral tout neuf pour la route !
Ce que les Tunisiens ont vu n'était pas un discours, mais plutôt une réaction, assez puérile par ailleurs. Rien ne justifiait une telle sortie, avec un tel contenu, sauf pour répondre à la toute petite manifestation du samedi 18 septembre contre ses décisions qualifiées de coup d'Etat. Il n'est sorti que pour en remettre une couche et tenter de damer le pion à ses opposants. Dans cette réaction, c'est la présidence de la République tunisienne, l'honneur de certaines personnes, la Télévision nationale et d'autres encore qui ont été trainés dans la boue. Il s'agissait de la réaction d'un enfant qu'on menacerait de lui enlever son jouet. En réalité, Kaïs Saïed fait exactement ce qu'il reproche, avec raison, à l'ensemble de la classe politique tunisienne : le fait d'être totalement déconnecté de la réalité des Tunisiens. Les cris et les hurlements des dizaines de personnes massées devant lui à Sidi Bouzid ne cacheront pas le fait qu'il ne connait pas les problèmes de la Tunisie. Il ne fait que régler ses comptes avec les politiciens, avec les institutions, avec les nantis et les riches, avec ses concurrents et professeurs de la faculté de droit, avec la constitution qui ne lui plait pas. En prenant un peu de distance, on peut voir qu'il ne s'agit que de politiciens qui se battent pour le pouvoir. Les uns enveloppent cela en évoquant la légitimité des élections de 2019 et le cheminement démocratique qui doit se poursuivre, et le président évoque une autre légitimité tirée du slogan « le peuple veut » et des sondages favorables et de manifestants bien choisis. On pourra toujours philosopher pendant des heures sur les légitimités, mais ils ont le même objectif : s'accaparer le pouvoir.
Au final, c'est un président brouillon, énervé et vindicatif que nous avons vu à Sidi Bouzid. Cette image plait à beaucoup de Tunisiens qui y voient de la force et de la conviction. Les mêmes Tunisiens qui étaient convaincus qu'Ennahdha allait réformer le pays, que Nabil Karoui allait contrer le projet islamiste et qu'Al Karama les inonderait de pétrole. Toutefois, il serait temps de se rendre compte que Kaïs Saïed est juste un politicien comme les autres, il se bat pour avoir le pouvoir et le garder. Dans cet amas de doute et d'incertitude, c'est la seule certitude.