Les mesures annoncées par le président de la République, Kaïs Saïed, avaient bénéficié du soutien d'une grande partie des Tunisiens. Ils avaient, à la date du 25 juillet, exprimé leur joie quant à l'isolation du mouvement Ennahdha, symbole de l'Islam politique. Les Tunisiens en avaient assez de l'exploitation de la religion et de son usage comme argument pour convaincre ou même pour donner un semblant de légitimité à un acte ou à une décision douteuse. D'un autre côté, le chef de l'Etat a multiplié à l'occasion de ses derniers discours les références religieuses. Le président de la République a de plus en plus tendance à faire référence à des versets coraniques. Les photos publiées par la présidence de la République à la date du 18 avril 2022 ont renforcé le lien entre le président et l'Islam dans la politique. Le palais de Carthage avait été le théâtre d'une cérémonie de remise de prix aux lauréats du concours national de l'apprentissage du Coran. Le chef de l'Etat était aux côtés de petites fillettes voilées. Ces dernières étaient âgées de pas plus de douze ou treize ans. Est-ce à la présidence de la République de tenir ce genre de cérémonie ? Le fait est que ce genre de cérémonie n'avait pas eu lieu au sein du palais de Carthage avant la révolution du 14 janvier 2011. La tenue d'événement à caractère religieux avait commencé à avoir lieu à partir de 2011, en temps de Moncef Marzouki, et en raison de la mainmise d'Ennahdha sur l'Etat et sur ses institutions. En plus de cela, le président de la République n'avait jamais cessé de nous rappeler qu'il était habité par une mission divine et qu'il était le plus préoccupé par le jour du jugement que par l'opinion des humains. Il avait même usé de cet argument à l'occasion de l'annonce des mesures exceptionnelles du 25 juillet 2022. Il avait affirmé qu'il se devait de procéder à une telle annonce afin d'éviter d'être tenu responsable par le seigneur de la dégradation de la situation en Tunisie. C'est ce qui semblerait motiver notre président et le pousser encore plus à forcer l'application de sa feuille de route et de son programme politique personnel. Le recours du président de la République à un discours mixant politique et religion ne s'était pas limité à ce niveau-là. Evoquant ses opposants, Kaïs Saïed avait utilisé le mot « ivrogne » et avait insinué qu'il s'agissait de personnes infréquentables passant la majorité de leur journée dans des bars. Après ce jugement de valeur, il a commencé à les considérer comme des traîtres et des complotistes. N'étant pas satisfait de la chose ou cherchant à légitimer encore plus son passage en force, le chef de l'Etat est passé au niveau supérieur : les accusations d'apostasie. Bien-évidemment, Kaïs Saïed ne s'est pas mis à lancer publiquement et directement ses accusations. Il a opté pour un procédé plus subtil. Le président de la République a choisi de se référer à des versets coraniques dans ses discours transmettant indirectement ce message. C'est ainsi que nous avons été étonnés d'entendre le chef de l'Etat, lors du discours donné à l'occasion de la commémoration du décès du président Habib Bourguiba, user de l'expression : « Comment osent-ils promulguer une loi ? Qui a scellé cette loi alors que Dieu a scellé leurs cœurs !». Il s'était clairement inspiré du verset sept de la sourat d'Al baquara. Ce verset parle des infidèles et de païens. Ils sont incapables de croire au message de Dieu. C'est ainsi que le chef de l'Etat a assimilé ses opposants à des mécréants incapables de croire en sa mission divine. Le discours donné le 18 avril 2022 à l'occasion de la fête nationale des forces de l'intérieur s'est, également, construit autour de la même logique. Le chef de l'Etat a, cette fois-ci, opté pour le terme maladies ayant atteint leurs cœurs. Ce terme nous vient du dixième verset de la même sourat. Il fait référence à ceux qui ont douté du prophète Mohamed et de sa mission. Le président s'adresse donc à ceux qui doutent de lui en se présentant comme étant un prophète ! Enfin, le chef de l'Etat s'est complètement lâché lors du la rupture du jeûne en présence des membres du gouvernement et d'ambassadeurs de pays arabes et musulmans. Micro à la main et avec toute l'assurance du monde, Kaïs Saïed a parlé de schisme et de valeurs musulmanes. Il a mis en garde contre la désintégration de l'identité musulmane et arabe. Il a appelé à se méfier des mécréants et de ceux qui s'étaient écartés de la voie divine. Il est même allé jusqu'à dire que le mouvement révolutionnaire en Tunisie résultait des menaces guettant l'identité et la pensée musulmane et arabe. Le président de la République continue à écrire l'histoire à sa façon. Après avoir désintégré une grande partie des institutions de l'Etat, modifié par décret la date de la Révolution, présumé qu'un million 800 mille tunisiens avaient manifesté leur soutien en octobre 2021, le voici déformant encore une fois la réalité en affirmant que les Tunisiens se sont révolté non-pas contre l'oppression ou la marginalisation, mais afin de préserver l'identité musulmane. Tout au long du processus de mise en place de son projet politique personnel, le président de la République s'est appuyé sur un discours religieux légitimant une quête divine et noble.