Par Habib CHAGHAL Selon un Hadith, notoirement connu, le Prophète avait prédit la division de la nation musulmane (la Oumma ) en 73 entités (firqa) dont une seule sera sur le droit chemin, celui d'Allah. Comment devrions nous expliquer la division de la Oumma en plusieurs sectes alors que, contrairement à la Torah et à l'Evangile, le contenu du Coran n'a jamais subi de modification ? L'explication ne pourrait résider que dans les différentes interprétations du texte coranique par ceux-là même qui sont censés expliquer ses significations au commun des mortels : les oulémas. L'histoire de la philosophie musulmane montre que certains des plus illustres parmi ces derniers avaient été à l'origine de cette division en raison d'une lecture particulière, donc nécessairement subjective, du Coran et de la Sunna. Ainsi, la division de la Oumma a été provoquée, à travers l'Histoire, par les Oulémas qui avaient concentré leurs recherches interprétatives uniquement sur la théologie (El fikh) alors que, dans le même temps, juifs et chrétiens sont allés à la découverte des lois physiques qui régissent la matière, soit pour les mettre à la disposition du bien être de l'humanité, soit pour dominer matériellement et culturellement les autres peuples dont le monde musulman. Pourtant, contrairement à la Torah et à l'Evangile, seul le Coran énumère dans plusieurs sourates les références à ces lois divines immuables concernant l'organisation de la matière dans l'univers, et ce n'est nullement pour justifier l'existence du Créateur, Allah n'en a pas besoin. Au 12e siècle, Al-Shahrastani, le célèbre philosophe et théologien musulman, avait consacré une partie de son livre «Les sectes et les croyances» pour déterminer les raisons (lois) qui avaient engendré la division de la Oumma en différentes entités (firaq) dès le premier siècle de l'Hégire. Il en concluait que cette division s'était perpétuée à travers les siècles du fait de la persistance des disciples de chaque courant religieux (secte) à détenir la vérité absolue. Il n'est pas besoin d'aller chercher dans l'histoire de la nation musulmane les effets dévastateurs des conflits entre les disciples de chacune de ces entités, il suffit d'observer ce qui se passe aujourd'hui dans le Moyen-Orient arabe, et notamment en Syrie, pour prendre la mesure de ces effets sur la population musulmane de cette région et le degré d'implication des oulémas dans la crise syrienne. Prenons l'exemple de deux célèbres imams de nos jours : Karadhaoui, l'Egyptien, et Al Bouti le Syrien.Tous deux sont une référence certaine dans le monde musulman; et pourtant, le premier a prononcé une fatwa justifiant le meurtre du second en raison de leur opposition, versets du Coran à l'appui, au sujet du djihad en Syrie. L'assemblée des oulémas, réunie récemment au Caire sous la présidence de Karadhaoui, n'a émis aucun regret après l'assassinat de l'Imam sunnite Al Bouti par des insurgés syriens à l'intérieur d'une mosquée. La position de l'organisation des Frères musulmans sur la question syrienne est complètement alignée sur la position de l'Union mondiale des Oulémas du cheïkh Karadhaoui et dont fait partie le cheïkh Rached Ghannouchi. La rupture des relations diplomatiques décidée par le président Morsi en est la conséquence directe. Ainsi, tous ceux qui militent au sein de l'organisation des Frères musulmans prennent le risque de faire partie d'une entité musulmane dont le contenu et les objectifs ne seraient pas nécessairement ceux du 73e groupe cité par le Prophète. Ce risque est encore plus grand quand on sait que les Israéliens et les occidentaux utilisent tous les moyens de la guerre contre la Syrie avec la complicité de certains oulémas provoquant, à ce jour, la mort de prés de cent mille syriens. Pourtant, cette alliance est pour le commun des croyants des plus surprenantes par référence à l'avertissement du verset n°51 de la sourate Al Ma'idah : «O croyants ! Ne prenez point pour alliés les juifs et les chrétiens (quand) ils sont alliés les uns des autres. Et celui qui les prend pour alliés, devient un des leurs. Allah ne saurait guider les pervers». En me référant à un verset du Coran, mon propos n'est nullement destiné à m'impliquer dans la controverse entre les oulémas au sujet d'un conflit essentiellement politique; il est cependant nécessaire, à la veille de l'adoption de la Constitution, de prévenir les militants d'Ennahdha membres de la Constituante des graves conséquences sur l'unité du peuple tunisien d'une quelconque référence, à partir de leur propre lecture, aux textes fondamentaux de l'Islam. Nous avons un pressant besoin de séparer le religieux du politique dans le cadre de l'organisation des institutions de l'Etat. Le consensus autour du préambule élaboré selon la Constitution de 1959 demeure pour tous les Tunisiens un texte fondamental définissant au mieux l'authenticité religieuse et culturelle de la Nation.