Les malchanceux piqués à la chose publique n'ont pas pu rater la superbe prestation théâtrale du président de la République, Kaïs Saïed, lorsqu'il a reçu le préposé au ministère des Affaires étrangères. Le chef de l'Etat a mobilisé toute son énergie pour empêcher l'envahissement imminent de la Tunisie par l'avis d'une commission consultative dépendante du conseil de l'Europe (et non de l'Union européenne). Le chef suprême des forces armées civiles et militaires s'est saisi de son vocabulaire et de ses connaissances historiques pour remettre à leur place ces envahisseurs d'un nouveau genre. Il est vrai que ce sont les mêmes qui avaient été reçus en avril par le président et par Othman Jerandi. Mais les choses changent très vite dans ce monde, à tel point que la Tunisie, en tant qu'Etat, change de veste plus vite que son ombre. Le 1er avril, le site du ministère des Affaires étrangères titrait : La commission de Venise met son expertise au service de la Tunisie lors de la réception de la présidente de la commission. Cette même Claire Bazy Malaurie est devenue aujourd'hui persona non grata en Tunisie (une pensée sincère pour les chroniqueurs et les fidèles de Kaïs Saïed qui ont découvert cette expression hier). L'avis publié par la commission de Venise n'a pas du tout plu au chef de l'Etat. Il faut saluer le fait qu'il ait pu montrer autant de colère en répondant à ce document. C'est à se demander à quel point il était en colère quand il a pris connaissance de l'existence de cet avis. C'est-à-dire au moins deux jours avant la vidéo d'hier. On peut également se demander si tous les arguments historiques présentés par le président ont été utilisés lorsque la diplomatie tunisienne tentait de mobiliser tous ses réseaux pour atténuer la teneur de l'avis qu'allait prononcer la commission de Venise. Mais tout cela, ce ne sont que des détails. Le plus important est que le lion Kaïs Saïed a remis ces européens à leur place, alors qu'ils tentaient de s'ingérer dans nos affaires. Après tout, c'est notre problème si l'on veut changer de constitution ou changer la composition de l'instance des élections. Le « on » veut dire « Il », c'est-à-dire Kaïs Saïed. Et puis, ce n'est pas important non plus que le décret sur la composition de l'Isie soit en contradiction avec la constitution, et même avec le décret 117 par lequel le chef de l'Etat a assis son pouvoir indiscutable. Ils veulent nous faire croire que le président Kaïs Saïed n'est même pas capable d'écrire un décret qui tient la route, mais nous n'allons pas les croire. Mais il est quand même intéressant d'examiner les affaires sur lesquelles le présidentissime Kaïs Saïed s'arrête. Par exemple, les mots prononcés par le président algérien Abdelmajid Tebboune selon lesquels il travaillerait avec l'Italie à sortir la Tunisie du pétrin n'ont suscité aucune réaction officielle de la part du président, ne parlons même pas des Affaires étrangères, ce n'est plus la peine. Est-ce parce que Kaïs Saïed reste quand même conscient de certains équilibres et qu'il sait très bien qu'il a participé à placer la Tunisie sous la botte algérienne ? Espérons que ce soit le cas, car cela voudrait dire qu'il y a des restes de bon sens quelque part. Le président de notre République, Kaïs Saïed, se montre allergique quand la critique étrangère le vise personnellement. Il se met en colère lorsque l'avis ou le communiqué publié critique ou même se montre circonspect sur sa démarche politique, sur le fait qu'il accumule les pouvoirs ou si on l'invite à revenir sur le cheminement démocratique. Ce sont uniquement ces questions qui excitent en lui une fibre nationaliste et il ne voit l'ingérence que par la critique de ce lui, son altesse sérénissime, fait. Par contre, il n'éprouve aucune gêne à recevoir l'argent de ces mêmes européens qui se sont subitement transformés en envahisseurs. Il y a moins d'une semaine l'Union européenne versait 300 millions d'euros d'assistance macro-financière à la Tunisie. Une formule savante pour dire que l'UE nous a donné l'aumône. Quelle classe cela aurait été de renvoyer la commission de Venise avec l'argent de l'Union européenne ! Cette fibre nationaliste ne s'est pas manifestée non plus quand il s'est agi des graines tunisiennes et du fait que nos agriculteurs soient obligés d'acheter chaque année les semences à l'étranger, à un prix qui leur est imposé. Il suffit ensuite d'une crise mondiale comme la guerre russo-ukrainienne pour que l'on découvre qu'on ne peut pas assurer notre indépendance alimentaire. On se retrouve obligés de mendier à manger auprès des autres nations. Ces questions-là ne dérangent pas non plus le président. Au contraire, il peut en profiter pour accuser les « autres », les méchants et les malfaiteurs qu'il n'a de cesse de combattre depuis qu'il est au pouvoir. Aujourd'hui, le cancer fait des ravages en Tunisie, plus que d'habitude. Des dizaines de personnes meurent de cette maladie car la Tunisie n'arrive plus à les soigner ni à leur fournir les médicaments nécessaires. Les demandes de prise en charge sont systématiquement rejetées par les caisses nationales car nous n'avons plus les moyens d'acheter les traitements de chimiothérapie et autres. Donc ceux qui le peuvent s'endettent pour se faire soigner à l'étranger, et ceux qui n'en ont pas les moyens meurent tout simplement. Cette forme là de souveraineté ne dérange pas du tout le président de la République. Il a juste assez de courage pour s'en prendre à une simple commission consultative.