L'annonce des mesures exceptionnelles à la date du 25 juillet 2021 sifflera bientôt sa première bougie. Depuis cette date, les décisions du président de la République, Kaïs Saïed, ont frappé en plein cœur du pouvoir exécutif. Après s'être débarrassé du chef du gouvernement Hichem Mechichi et de son équipe, le chef de l'Etat s'est tourné vers le corps des gouverneurs. Il s'est empressé d'en limoger plusieurs, tels que celui de Tunis. C'est ainsi que Kamel Fekih avait succédé à Chedly Bouallègue à la date du 30 décembre 2021. Le nouveau gouverneur s'est, bien évidemment, retrouvé sous le feu des projecteurs et ceci pour des raisons plus surprenantes les unes que les autres. En premier lieu, les Tunisiens ont été surpris par le style vestimentaire et par le physique du gouverneur. Un activiste de gauche avec une moustache bien épaisse. Le lien avec Joseph Staline a été directement souligné. Il y a eu, également, le discours de ce dernier. Kamel Fekih avait interdit la tenue de manifestations de l'opposition mais s'est, tout de même, rendu à celle organisée en soutient du président de la République. Certains ont, aussi, évoqué un possible clash avec celle qui avait réussi, en 2018, à être la première femme à la tête de la municipalité de Tunis : la figure du mouvement Ennahdha, Souad Abderrahim. Souad Abderrahim avait été élue, en octobre 2011, dans la circonscription de Tunis 2, comme membre de l'Assemblée nationale constituante, en tant que députée du mouvement Ennahdha. Elle a occupé le poste de présidente de la commission des droits de l'homme et des libertés. En 2017, Souad Abderrahim intègre le bureau politique du parti islamiste. Elle s'était toujours présentée comme indépendante. Néanmoins, son parcours politique, ses fonctions et ses liens étroits avec le mouvement Ennahdha ne peuvent que nier cela. Etant la seule figure du parti à encore occuper ses fonctions, Souad Abderrahim est souvent considérée comme étant le dernier bastion d'Ennahdha au sein de l'Etat. Le clash entre les deux semblait inévitable ! Kamel Staline contre Souad Truman ! Force révolutionnaire du 25 juillet contre pro-monarchie ghannouchienne ! Monsieur Tunis contre Madame Tunis ! Qui serait le souverain légitime de Tunis ? Pendant plusieurs mois, Abderrahim et Fekih ne se feront pas face. Il n'y aura ni clash ni même petite querelle. Néanmoins, il ne s'agit évidemment d'un calme avant la tempête.
Le début des hostilités a été marqué par l'affaire des cabanes d'El Menzah 9. La municipalité de Tunis avait entamé un chantier, à la grande surprise des citoyens du quartier, pour la construction d'une série de cabanes en dur au niveau de la rue Abdelaziz Thaalbi. Il s'est avéré que la municipalité avait prévu de louer ses cabanes et d'en faire une source de revenu. Néanmoins, elle a refusé de communiquer l'identité des locataires ou les types de commerces envisagés. Les habitants du quartier ont multiplié les recours et les demandes, mais en vain : silence total du côté de la municipalité. La chose a duré près de deux mois et a, au final, nécessité l'intervention du gouverneur de Tunis. Kamel Fekih a décidé de suspendre les travaux d'aménagement des cabanes et avait même ordonné à la municipalité de remettre le terrain à son état initial. Il s'agissait là de la première confrontation directe entre les deux institutions. La mairesse de Tunis, Souad Abderrahim n'a pas réagi à cette petite pique. Une première victoire pour Kamel Fekih !
Cherchant sûrement à ridiculiser Souad Abderrahim encore une fois, Kamel Fekih s'est empressé de remuer le couteau dans la plaie en décidant encore une fois d'annuler l'une des décisions de la municipalité de Tunis. L'affaire a porté cette fois-ci sur un dispensaire se trouvant dans la délégation de Sidi El Béchir. La mairesse de Tunis avait décidé de démolir cet établissement. Kamel Fekih a, même, ordonné à la municipalité de le consulter avant toute décision de démolition. Il est clair que Kamel Fekih cherche à soumettre la municipalité à ses ordres. Il a, aussi, accusé la municipalité de Tunis d'entrave à l'intérêt public et de vandalisme. Il a estimé que la municipalité de Tunis était devenue un obstacle aux autorités régionales et centrales. Cherche-t-il à dire qu'il nous faut nous débarrasser de la municipalité de Tunis ? Considère-t-il cette structure comme étant inutile et improductive ? D'ailleurs, le gouverneur pourrait même procéder à la dissolution du Conseil municipal, conformément aux dispositions de l'article 204 du code des collectivités locales. Il lui suffit de soumettre un rapport au ministère de l'Intérieur, également chargé des collectivités locales. Il peut même suspendre l'activité de la municipalité et se substituer à cette institution pour l'exécution d'une tâche donnée en cas de refus de la municipalité conformément à l'article 268 du même code.
De son côté, la mairesse de Tunis, Souad Abderrahim a assuré qu'elle manœuvrait dans le cadre de la loi et qu'elle était dans l'obligation d'agir de la sorte. Elle précisait qu'il s'agissait d'une décision de démolition émanant du conseil régional sur demande du ministère de la Santé et que le gouverneur, Kamel Fekih, était dans l'obligation de respecter voire même de l'appliquer. Elle a même précisé lors d'une déclaration accordée à Mosaïque Fm, que le ministère de la Santé avait déposé une demande de démolition du dispensaire pour le reconstruire par la suite. Le gouverneur de Tunis, certain d'être le seul à connaître les intérêts des citoyens et à pouvoir s'exprimer au nom du pouvoir exécutif, ne semble pas avoir connaissance de la chose. Kamel Fekih s'est, donc, jeté sur la première occasion lui permettant d'étaler son sens des responsabilités et son dévouement au bien-être des citoyens, mais sans avoir véritablement connaissance des faits. De son côté, Souad Abderrahim a bien joué le jeu. Elle l'a laissé monter au créneau et se donner en spectacle rien que pour le plaisir de le narguer en dévoilant par la suite que la décision de démolition n'était pas la sienne, mais celle du ministère de la Santé, à savoir l'autorité de tutelle du dispensaire.
La querelle entre Kamel Fekih et Souad Abderrahim est à l'image du conflit entre les deux entités politiques occupant la majorité de l'espace politique tunisien : le mouvement Ennahdha (y compris ses pare-chocs) et le chef de l'Etat, Kaïs Saïed et ses partisans. La principale motivation de chacun d'eux n'est autre que de chercher continuellement à porter atteinte à l'image de l'autre et à en faire une source de railleries ou à faire une démonstration de force et un roulement de mécaniques. Dans leurs manœuvres, aucun d'eux ne vise principalement à réformer ou à améliorer. Il ne s'agit que d'une guerre sainte, d'épuration visant à éradiquer l'ennemi. Ainsi, nous aurons sûrement droit à d'autres scènes ridicules du genre que ce soit au sein du gouvernorat de Tunis ou même dans d'autres régions. Désormais, chaque gouverneur a la possibilité de s'en prendre quand il le veut et comme il le veut aux conseils municipaux puisque ces derniers ne sont que le fruit de la dernière décennie dont nous aurions, selon eux, hâte de nous débarrasser.