Après quelques semaines de travail qui s'est avéré inutile, la commission consultative créée par le président de la République Kaïs Saïed a remis à celui-ci une proposition de constitution. Celle-ci n'a jamais quitté le tiroir dans lequel on l'a glissée un 20 juin 2022. C'est une autre – échafaudée on ne sait comment – que le chef de l'Etat nous incite à embrasser en plaçant un petit « oui » dans les urnes le 25 juillet. Publié le 30 juin dans le Journal officiel de la République tunisienne, le projet de constitution que Kaïs Saïed a taillé a mis fin à toutes les illusions, laissant place à un tollé de critiques y compris de la part de ceux et celles qui pensaient contribuer à ériger un futur meilleur pour les Tunisiens sur les quarante ans à venir. Rétrograde est le leitmotiv que nous avons entendu de ceux qui se sont clairement opposés à ce projet, notamment les organisations nationales et composantes de la société civile. La Centrale syndicale a vu en ce projet un retour à l'autoritarisme. Dans son communiqué sur sa position de la constitution et du référendum prévu, le comité directeur de l'Union générale tunisienne du travail (UGTT) a relevé une accumulation de pouvoirs et une annihilation du rôle des gardes fou du pouvoir. L'UGTT a, également, épinglé un risque de « mauvaise interprétation » et « un danger liberticide » de par l'absence de toute mention de la civilité de l'Etat et de la notion de l'universalité des droits et libertés dans le projet de Kaïs Saïed. Selon l'organisation, la formulation pourrait donner lieu à de nombreuses violations. Et pourtant, l'UGTT n'a pas apposé de « non » catégorique sur le projet de constitution. N'ayant pas tranché sur la question du vote au référendum, la Centrale syndicale s'est, d'ailleurs, retirée de la campagne. Officiellement, l'organisation a indiqué avoir laissé, à ses adhérents, la liberté de voter « non » ou « oui ». Dans les coulisses, c'est cependant une tendance au « non » qui prévaut.
Le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) a, lui, dénoncé plusieurs dérives ; la suppression de la notion de civilité de l'Etat, l'absence de garanties pour la séparation entre les pouvoirs, et les risques que présente ce texte pour la liberté de la presse. Selon le SNJT, par de vagues références à la « morale commune » et « la sûreté et santé nationales », le président de la République a laissé une brèche qui menace la liberté de la presse. Laminer le rôle des instances constitutionnelles telles que la Haute autorité de la communication audiovisuelle (Haica), ouvre, lui, la porte à l'exécutif pour s'immiscer directement dans l'octroi et le retrait des licences aux médias. De quoi dire à dieu à l'indépendance de la presse, selon le SNJT. Le SNJT a confirmé sa position en rejoignant d'autres organisations – la Ligue tunisienne des droits de l'Homme (LTDH), l'Organisation tunisienne contre la torture, le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux, la Coalition tunisienne pour l'abolition de la peine de mort et l'organisation Al Bawsala, entre autes – qui ont publié un communiqué conjoint pour dire « non » à une « constitution du pouvoir dictatorial ». Le projet de constitution de Kaïs Saïed reflète, selon elles, dans une approche unilatérale par laquelle le chef de l'Etat a confisqué le droit des Tunisiens de débattre de leur sort et de leur avenir en imposant ses propres choix. Le projet a, aussi, été qualifié d'atteinte à la notion de citoyenneté unissant les Tunisiens sans discrimination fondée sur la croyance, la couleur ou le genre, en référence à l'exigence que le chef de l'Etat soit homme et musulman.
Cette exclusion de la femme de la magistrature suprême et l'atteinte à l'égalité entre hommes et femmes ont été, également, soulevées par un autre collectif d'associations tunisiennes : la dynamique féministe. L'ATFD, Calam, Beity et autres organisations ont exprimé de grandes préoccupations face aux dangers que présente le projet de Kaïs Saïed pour la démocratie, les libertés, la citoyenneté et la véritable équité. Selon elles, la nouvelle constitution sape le principe de l'égalité effective entre hommes et femmes par une vision religieuse où l'égalité n'a aucune place. Pour l'Association tunisienne de droit constitutionnel, il n'y a point de doute. Les références à l'islam et ses objectifs dans le projet de constitution de Kaïs Saïed pave la voie pour la mise en place d'un Etat religieux. La suppression de l'article premier de la référence à la religion de l'Etat dans la constitution de 2014 n'aura servi à rien ! Durant une journée d'étude organisée par ladite association, le professeur de droit Slim Laghmani a évoqué l'article 5 dans le projet de Kaïs Saïed expliquant : « Il y a une énorme différence entre un Etat religieux et la religion officielle d'un Etat... Plusieurs Etats démocratiques ont une religion officielle... Une constitution est un texte comportant une vision de l'Etat, de son identité, de ses choix stratégiques, instaurant un système politique et garantissant des droits et des libertés ». Selon M. Laghmani, sur certains aspects la constitution de 2014 que le président de la République a démoli par son projet actuel était plus claire et plus précise. Ce qui en fait un texte plus moderne en comparaison avec le projet de Kaïs Saïed.
Par ailleurs, plus d'une trentaine d'organisations et d'associations se sont réunies et ont publié jeudi 7 juillet un communiqué commun pour dire « non » à une « constitution qui consacre un pouvoir dictatorial ». Elles affirment que le projet de constitution reflète dans son élaboration, sa formulation et sa présentation une approche unilatérale du président de la République par laquelle il a confisqué le droit des Tunisiens de débattre de leur sort et de leur avenir et dans laquelle il impose ses propres choix. Les signataires ont soulevé aussi que le projet en question porte atteinte à la notion de citoyenneté unissant les Tunisiens sans discrimination fondée sur la croyance, la couleur ou le genre, en maintenant l'exigence que le chef de l'Etat soit homme et musulman. Ces associations se disent mobilisées pour entreprendre toutes les démarches légitimes en vue d'aboutir à des réformes constitutionnelles respectueuses de la dignité des femmes et des hommes tunisiens et répondant à leurs aspirations à la dignité, la liberté et à l'égalité.
Le projet de constitution du président de la République sera, rappelons-le, soumis au vote du peuple tunisien le 25 juillet. Son entrée en vigueur est prévue au lendemain de la proclamation des résultats finaux par l'Instance supérieure indépendante pour les élections.