La constitution qui a fait l'objet d'un référendum le 25 juillet a été publiée la semaine dernière dans le Journal officiel de la République tunisienne (Jort). La première mouture de cette constitution, diffusée le 30 juin, a comporté quelque 46 fautes de différents types. En dépit de la polémique et de la révision, la dernière mouture n'a pas échappé aux fautes et aux coquilles, mais aussi à ces formules alambiquées qui offrent une multiplicité de lectures. On ne parle pas d'un mémoire, d'un rapport ou d'un article journalistique. Ici, on parle d'un texte de loi, la plus élevée des lois, c'est-à-dire la constitution ! Comme si les fautes ne suffisaient pas dans cette constitution, le Jort a décidé de se surpasser en matière de bêtise. Très probablement sur instigation du président de la République, la constitution diffusée a été publiée avec de la fantaisie, comme pour se démarquer des autres numéros du Jort. On a ajouté des couleurs et le texte a été publié avec une police similaire à celles utilisée par les grands calligraphes arabes. Comme si c'était du manuscrit. On ne parle pas d'un post Facebook, d'un CV ou d'une lettre d'amour. Ici, on parle d'un texte de loi, la plus élevée des lois, c'est-à-dire la constitution ! On a ajouté de la fantaisie à deux balles dans un texte de loi, dans la constitution ! Le Jort, c'est-à-dire ce qu'il y a de plus officiel dans le pays, est en train de céder aux caprices du président ! Le revers de la médaille de cette lubie présidentielle est que le texte est publié sous forme d'image. Techniquement, le PDF n'offre pas la possibilité de faire des recherches à partir de mots-clés, puisqu'il ne le considère pas comme un texte. Au diable les étudiants, les chercheurs et les journalistes. Les lubies présidentielles sont plus importantes que vos recherches ! Vous, les 2,83 millions qui avez voté « oui » pour la constitution, vous êtes complice de ce crime commis contre la Tunisie. Avec autant de fautes dans notre constitution, nous sommes devenus la risée des peuples. Avec autant de fautes dans notre constitution, nous sommes officiellement médiocres. Nous sommes un peuple qui adopte, officiellement l'approximatif, l'à-peu-près, la médiocrité, le bâclage, la fantaisie, l'artifice.
Cette constitution est l'œuvre d'un seul homme : Kaïs Saïed. Il y a mis l'essence de ses réflexions et de ses fantasmes. Il a imposé sa lecture et sa vision propre de la Tunisie. C'est tout à fait donc normal que l'œuvre d'un seul homme comporte des erreurs et des fautes. Sous d'autres cieux, il y a des comités qui suivent à la loupe la moindre virgule publiée par la royauté ou la présidence pour que le texte officiel soit parfait et ne fasse pas l'objet de critiques de forme. Il y va de la réputation du département le plus haut de l'Etat. Il est totalement inacceptable (et inimaginable à vrai dire) que le cabinet royal ou la présidence commettent des fautes. La présidence de la République, sous Kaïs Saïed, ne s'embarrasse pas de ces détails. Des fautes ? Et alors ! Du coup, il est de notre droit de conclure que la parole présidentielle n'a plus de grande valeur. Qu'il commette des fautes dans ses discours oraux, c'est déjà inacceptable, que dire alors quand ces fautes touchent l'écrit avec les communiqués officiels, les décrets et la constitution !
A vrai dire, nous n'avons pas attendu la publication de la constitution pour conclure que la parole présidentielle n'a pas beaucoup de valeur. Cela fait un bail que Kaïs Saïed a prouvé à la planète entière qu'il n'accorde pas beaucoup d'importance à sa propre parole. Il a promis et juré de respecter la constitution de 2014, grâce à laquelle il a été élu, avant de la jeter à la poubelle. Le 25 juillet 2021, il a promis un retour à la normale dans un délai de trente jours, avant de se rétracter plus tard pour décider un changement de la constitution et la fixation de nouvelles élections après un an et demi. Il a épinglé, devant les caméras, Chawki Tabib et Ghazi Chaouachi, poussant ces derniers à le défier publiquement de prouver ses propos. Il a fini par morfler. Il a avoué, lui-même, qu'il ne distingue pas entre les millions et les milliards. Il a fait des descentes spectaculaires dans les entrepôts et les boulangeries pour lutter contre la spéculation et l'inflation, mais il n'a fait que des ricochets. Il a joué la victime en parlant de projets d'attentats le ciblant ou ciblant la résidence de l'ambassadeur de France, mais il s'est avéré qu'il n'en était rien. Il a parlé devant la caméra de 13500 milliards dérobés, sans préciser s'il parle en dinars (monnaie officielle du pays) ou en millimes (langage populiste). Mais quelle que soit la devise, ce montant n'a jamais été restitué et il n'existe que dans sa tête. Il a avoué, lui-même, qu'il ne comprend rien à l'internet et aux réseaux sociaux. Il a déclaré, devant les caméras, qu'il existe des rapports accablants qui ne souffrent d'aucun doute à l'encontre des 57 magistrats révoqués. La suite a montré qu'il n'en est rien et que l'écrasante majorité des magistrats n'a fait que subir des règlements de compte de la part du pouvoir exécutif. Il a juré, à maintes reprises, de respecter l'indépendance de la justice. Il s'est dédit lui-même en avouant être en contact avec des procureurs et il a été démenti par plusieurs magistrats. Les comptes-rendus de la présidence à propos d'entretiens téléphoniques avec des dirigeants étrangers sont souvent différents de ceux publiés par les départements de ces derniers.
Kaïs Saïed n'a pas besoin de contradicteurs ou d'opposants, il s'enfonce tout seul. Il est son propre ennemi. Il rabaisse lui-même sa propre personne. En ne respectant pas sa parole, en acceptant la publication de textes non corrigés et approximatifs, en disant la chose et son contraire, en parjurant, en prononçant des accusations infondées, en donnant des informations non vérifiées, il se discrédite. Et quelqu'un de discrédité n'est plus respecté. Dans nos contrées méditerranéennes, on dit que la valeur d'un homme (avec h minuscule) se mesure à sa parole. Pas besoin de rajouter davantage.