« Surréaliste » est le qualificatif le plus approprié pour décrire le communiqué de la présidence de la République du vendredi 9 septembre 2022. Qu'est-ce que le chef de l'Etat a tenté de prouver lors de ses visites à Aousaja et Kalâat el-Andalous ? Que le prix des marchés des producteurs à consommateurs sont moins chers ? Ceci est de notoriété publique. Voulait-il peut-être que les divers intermédiaires ne soient pas rémunérés et qu'ils offrent leurs prestations et services gratuitement ? Ou voulait-il prouver que la production des quelques agriculteurs qu'il a visité sont capables de couvrir les besoins de l'ensemble de la Tunisie ? Hier, vendredi 9 septembre 2022, le président de la République Kaïs Saïed s'est rendu à la ville de Aousaja (gouvernorat de Bizerte) où il a rencontré quelques agriculteurs « qui vendaient leur production au coût de production ». Dans le communiqué de la présidence de la République, on lit que les prix pratiqués ne sont pas comparables à ceux dans certains marchés. « Ce qui prouverait, toujours selon le même document, que la rareté de la production est le résultat des pratiques des spéculateurs et de ce qu'on nomme "canaux de distribution" ». La relation de cause à effet établie par la présidence n'est pas aussi évidente. Car la disponibilité dans une zone donnée ne prouve pas que la production puisse suffire à la couverture des besoins de l'ensemble du pays. En outre, a-t-on pris en compte les coûts de transport ? A-t-on comptabilisé que pour acheminer les denrées produites à Bizerte jusqu'au sud à Tataouine ou Médenine, cela a forcément un surcoût ? Non seulement du carburant, mais aussi l'amortissement des véhicules, les frais du chargement et déchargement des véhicules, parfois de stockage ainsi que la préservation des chaines de froid outre les diverses taxes à payer. Bien sûr sans compter les salaires des chauffeurs et les personnes qui chargent et déchargent et les commissions des différents intermédiaires sur la chaine du marché du gros. A-t-on pris en compte l'acheminement de la marchandise jusqu'au panier du citoyen, en passant aussi par le commerçant final et le stockage pour préserver les cultures et les consommer tout au long de l'année comme c'est le cas des pommes de terre, du piment ou des tomates... des frais supplémentaires qui s'ajoutent à ceux de la production ? Tous ces prestataires devraient fournir des services gratuits, selon la présidence de la République !
Idem, le chef de l'Etat a fait une escale à Kalâat el-Andalous (gouvernorat de Bizerte) où il aurait écouté les préoccupations des agriculteurs notamment en ce qui concerne l'élevage de vaches laitières et la production de lait. Toujours selon le communiqué de la présidence de la République, « Kaïs Saïed aurait constaté que les agriculteurs vendaient leurs productions à des prix raisonnables par rapport à d'autres endroits contrôlés par ceux qui cherchent uniquement le profit et la création de crises ». La présidence de la République a-t-elle conscience que le climat de la Tunisie n'est pas uniforme et qu'il est plus aride dans certains endroits que d'autres et donc qu'il est plus facile de trouver de l'herbe fraiche comme nourriture ou de l'eau que pour ceux d'autres régions qui sont obligés d'acheter le fourrage dont les prix se sont envolés et de payer des frais supplémentaires pour l'eau. A titre d'exemple, les éleveurs de Bizerte auront moins de recours au fourrage que ceux de Sidi Bouzid. En outre, l'élevage d'une ou deux vaches n'est pas le même pour un troupeau. Il y a un surcoût à prendre en considération, notamment en ce qui concerne la main-d'œuvre sollicitée. Mieux, a-t-on pris en considération les frais de collecte, de traitement (pasteurisation), de stockage, et de livraison ? Tous les frais précités ne devraient pas être répercutés sur le prix de vente, selon la présidence.
La vérité est que le chef de l'Etat s'entête à désigner les spéculateurs et les comploteurs comme coupables de la situation actuelle du pays. Alors que le monde entier traverse une crise inédite, avec une inflation record partout. Les cours de la matière premières, des denrées alimentaires et du pétrole se sont envolés, ce qui s'est répercuté sur les prix en Tunisie. Une partie de l'inflation de la Tunisie est importée. Pire, les experts s'attendent à ce que la situation empire. Sans parler de la crise des finances publiques, car rappelons-le la Loi de finances 2022 a était bâtie sur l'hypothèse de la conclusion d'un accord avec le Fonds monétaire international (FMI). Chose qui traine toujours. Résultat des courses, l'Etat n'est plus capable de faire face à ses dépenses. Le gouvernement fait la politique de l'autruche et ne paye pas ses fournisseurs. Ainsi, à fin juin dernier, les résultats provisoires de l'exécution du budget de l'Etat font état d'une baisse du déficit. Des chiffres édulcorés qui ne reflètent pas la réalité de la situation économique du pays.
La gravité de la situation est telle que les fournisseurs étrangers refusent de nous livrer avant paiement. Les fournisseurs tunisiens, quant à eux, subissent de gros problèmes financiers à cause des retards des paiements et certains sont en péril, au bord de la faillite ou ont carrément déposé le bilan. C'est le cas de plusieurs entreprises de bâtiments et travaux publics. Comment, la présidence de la République explique-t-elle le fait que les pénuries et problèmes d'approvisionnement touchent, presque uniquement des produits importés par l'Etat (les autres, même si les prix ont nettement augmenté, demeurent disponibles) ? Comment explique-t-elle le fait que plusieurs usines aient dû fermer leurs portes en raison de la pénurie de sucre et qu'elles aient demandés des autorisations spéciales d'importation de sucre face à l'incapacité de l'Office du commerce de garantir la disponibilité du produit ? Comment justifie-t-elle que « les pétroliers en rade aux ports de Tunis, Bizerte et Skhira qui ont refusé de livrer tant que la Stir ne paie pas » ? Comment explique-t-elle le renvoi en juillet dernier de la cargaison d'huile de soja, expliqué par un manque des ressources de l'Etat par l'association Alert ?
Comment explique-t-elle que les secteurs en péril sont ceux qui souffrent du non-paiement de la compensation ou du non ajustement des prix administrés ? Le cas du secteur laitier, où l'Etat n'a pas payé la compensation aux industriels depuis treize mois, quatorze en comptabilisant le mois de juillet 2022 et qui leur doit 260 millions de dinars jusqu'à fin juin 2022. Le cas aussi des boulangers qui n'ont pas reçu leur dus de la Caisse de compensation depuis plus de douze mois. Et le cas des stations-service, dont le gouvernement n'a pas augmenté leur marge bénéficiaire alors que cinq augmentations successives du prix du carburant ont été opérées depuis 2021 et que leur marge est passée de 4,5% à 3,3%, soit un manque à gagner de 21 millimes par litre.
Des questions qui restent sans réponse. Mais la vérité est un secret de polichinelle ! Jusqu'à quand, les autorités vont continuer à servir au peuple des contrevérités, à des Tunisiens qui sont loin d'être dupes ? C'est toute la question !