Mercredi 28 septembre 2022, un décret présidentiel est paru dans le Journal officiel, portant sur un prêt de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement à l'Office des céréales pour la contribution au financement du projet de la réponse à la résilience de la sécurité alimentaire. Le prêt est d'un montant de 150,5 millions d'euros. Jeudi 29 septembre, la cheffe du gouvernement sollicite quatre ambassadeurs de grandes puissances (France, Allemagne, Royaume-Uni et Japon) pour le lobbying auprès du FMI. Ce dernier est en négociations avec la Tunisie pour un prêt entre deux et quatre milliards de dollars. Ce prêt aurait dû être versé depuis le premier trimestre 2022.
La politique du gouvernement Bouden est évidente. Elle s'articule autour de la mendicité et cherche à résoudre les problèmes conjoncturels et non structurels. Elle engage les générations futures dans des crédits qui ne vont pas leur servir. Ces crédits sont sollicités pour la consommation quotidienne et pour résorber le déficit abyssal des finances publiques. Précédemment, et notamment depuis le début de l'année, le gouvernement a souscrit un bon nombre de crédits auprès des banques et du public, toujours pour faire face aux dépenses courantes, jamais pour l'investissement.
Cette politique de Najla Bouden, aussi critiquable soit-elle, a le mérite d'être claire. Elle est identique à celle adoptée depuis la révolution et la sinistre troïka par les différents gouvernements. Le premier à avoir engagé la Tunisie dans cette voie, c'est l'ancien président Moncef Marzouki qui fut le premier à signer un accord de « prêt de consommation » avec le FMI. Plutôt que de privatiser les entreprises publiques, d'alléger drastiquement le poids de la masse salariale de son administration, d'aider les entreprises pour les pousser à créer de l'emploi et de la croissance, Najla Bouden fait de la mendicité. La cheffe du gouvernement poursuit sa politique tête baissée, sans aucun débat public, sans rendre de comptes à personnes et sans expliquer ce qu'elle fait, ni au parlement qui n'existe pas, ni aux médias qu'elle méprise.
Tout cela est clair. Ce qui l'est moins, c'est que le président de la République a une vision à l'extrême opposé de la politique de sa cheffe du gouvernement ! Comment un seul régime peut-il fonctionner avec deux politiques opposées l'une à l'autre ? Cela parait incroyable, mais c'est exactement ce qui se passe avec le régime post 25-Juillet. Depuis son accession à la présidence de la République et notamment depuis son putsch, Kaïs Saïed n'a cessé de dire et répéter qu'il faut adopter une politique nouvelle, différente de celles entreprises jusque-là. La dernière fois, c'était lors du sommet africo-nippon de la Ticad. Or sa cheffe du gouvernement fait l'exact contraire de ce qu'il dit. A plusieurs reprises, Kaïs Saïed a insisté sur la notion d'indépendance de la Tunisie et de sa souveraineté. La dernière fois, c'était devant une délégation du Congrès. En avril dernier, lors d'un entretien avec l'ambassadeur français André Parant, il a répété neuf mois le mot souveraineté. Or Najla Bouden piétine des deux pieds cette souveraineté en sollicitant quatre ambassadeurs de grandes puissances pour l'aider dans ses négociations avec le FMI et en leur présentant son programme de réformes. Un programme qu'elle n'a même pas daigné présenter aux médias de son pays. Par ailleurs, on ne compte plus le nombre de fois où Kaïs Saïed a accusé les spéculateurs d'être derrière les pénuries et l'inflation des prix. Les médias, les politiques et les analystes ont beau lui dire que le problème est international et structurel, Kaïs Saïed n'a pas changé d'un iota son idée fixe. Or, le gouvernement a reçu, depuis le déclenchement de la guerre russo-ukrainiennes, plusieurs aides et prêts internationaux relatifs à l'approvisionnement de denrées alimentaires.
Si l'on cherche à comprendre la politique du régime Kaïs Saïed, on n'y comprendrait rien à force de contradictions entre le discours politique officiel du président de la République et la politique réelle officielle de son gouvernement. L'un dit qu'on va se diriger vers la gauche pendant que l'autre est en pleine route vers la droite. Soit Kaïs Saïed est en train de mentir au peuple, soit Najla Bouden est en train de rouler le FMI et les puissances étrangères dans la farine avec un soi-disant programme de réformes structurelles à entreprendre. Il y a une seule manière de répondre à cela, c'est que Kaïs Saïed et/ou Najla Bouden s'assoient devant des journalistes professionnels d'un média tunisien qui les confond dans leurs contradictions et les poussent à exprimer clairement leur politique. Soit Kaïs Saïed maintient sa politique et dément Najla Bouden. Dans ce cas, il n'y a pas de prêt du FMI. Soit Najla Bouden maintient sa stratégie et dément Kaïs Saïed. Dans ce cas, le président de la République est discrédité devant les Tunisiens. Conscients de leurs contradictions, Kaïs Saïed et Najla Bouden évitent soigneusement tout contact avec la presse. D'ailleurs, l'un et l'autre n'ont même pas de directeur de la communication dans leur département.