Comme prévu, le président de la République a attendu le dernier jour pour publier le texte de la Constitution. Un texte de la constitution engage, théoriquement, les générations futures et demeure valable des décennies, voire des siècles. Pour le lire, il faut quelques heures. Pour le comprendre, il faut quelques jours, voire quelques semaines. Pour l'analyser, le débattre, étudier ses avantages, ses inconvénients et ses répercussions, il faudrait des mois. Le texte de la constitution engage tout un pays, toute une nation et n'est pas un jeu. Il est obligatoirement fédérateur et ne doit exclure aucun citoyen. C'est la chose la plus sacrée pour un peuple. C'est pour cela qu'on dit qu'il est inscrit dans le marbre. Sauf que voilà, les Tunisiens n'ont pas de chance avec leurs constitutions. A chaque régime, la sienne. Chaque président qui vient annule la constitution précédente et ramène son texte en le présentant comme le meilleur au monde. Chaque régime nous dit qu'avant lui, c'était le désastre. Bourguiba a balayé la période beylicale, Ben Ali a parlé de renouveau, la troïka a parlé de révolution et Kaïs Saïed prétend donner la parole au peuple, pour la première fois. La constitution de Kaïs Saïed a été publiée le 30 juin et les Tunisiens doivent se prononcer la concernant le 25 juillet. 25 jours sont-ils suffisants pour lire, comprendre, analyser, critiquer et débattre d'un texte qui nous engage et engage nos enfants pour des décennies ? La réponse est non et elle ne supporte aucune contradiction. Nous avons mis plus de deux ans pour pondre les constitutions de 1959 et 2014 et elles étaient imparfaites, que dire alors si nous n'avons que 25 jours !
La question n'est pas de savoir si les 25 jours sont suffisants pour décider si oui ou non cette constitution est bonne pour nous, la question est de savoir si l'on doit participer au référendum ou pas. Tout le processus de ce référendum est biaisé. Tout est falsifié. La porte est ouverte à tous types de fraudes. Les figures de l'opposition sont sous le coup de procédures judiciaires, d'interdictions de voyage voire même en prison ou réfugiés à l'étranger. Le corps judiciaire, recours classique en cas de différend, a observé quatre semaines de grève. L'instance chargée d'organiser le référendum et de dépouiller les urnes a perdu son indépendance et donc sa crédibilité. On ne nous a pas dit ce qui va se passer au cas où le non l'emporte (alors que c'est obligatoire selon les standards internationaux des référendums). Les sympathisants du président sont agressifs à l'encontre des voix opposées et jouissent d'une impunité totale. Le pays est sous le coup d'un pouvoir totalitaire et arbitraire depuis onze mois. Les observateurs étrangers sont exclus. Bref, le rendez-vous référendaire du 25 juillet 2022 n'obéit pas aux critères minima en la matière. Ça va être une mascarade démocratique, il n'y a pas l'once d'un doute.
Que faire face à cette mascarade ? Trois solutions sont possibles. Il y a ceux qui pensent que Kaïs Saïed mérite d'être encouragé puisqu'il a réussi à écarter les acteurs des mascarades démocratiques précédentes, à leur tête les islamistes. Peu leur importe que le régime présidentiel revienne par la grande porte, qu'ils n'aient pas eu leur mot à dire dans l'élaboration de cette constitution ou que les conditions basiques de l'organisation du scrutin ne soient pas respectées, ils valident le projet du président. Que diraient-ils, demain, si Kaïs Saïed meurt et que Safi Saïd, Nabil Karoui, Rached Ghannouchi, Abdellatif Mekki, K2Rym ou René Trabelsi soit élu à sa place ? Plusieurs de nos compatriotes, hélas, sont incapables de voir au-delà du bout de leur nez. L'autre solution est de boycotter la mascarade. C'est l'avis de plusieurs personnalités et partis politiques, à l'instar d'Attayar (révolutionnaire) et du PDL (ancien régime de Ben Ali). Ils partent du principe qu'ils ne doivent ni cautionner ni donner du crédit à cette mauvaise comédie qui joue avec l'intérêt du pays. Ils veulent exprimer leur opposition en participant à l'augmentation du taux d'abstention. Cet argument est recevable sur le principe, mais sert-il politiquement à quelque chose ? Qu'on regarde les élections dans le monde entier, qui parle du taux d'abstention une fois l'élection finie ? Qui ressasse le taux d'abstention tout au long d'un mandat ? Le taux d'abstention reçoit, au mieux, quelques regrets hypocrites le jour du résultat et le lendemain, puis plus personne n'en parle. En revanche, quand un président est mal élu, on le lui rappelle tout le temps. C'est pareil pour les référendums, une fois que le oui ou le non l'emporte, on ne parle que du résultat final, jamais du taux d'abstention. Qui de vous se rappelle du taux d'abstention du Brexit au Royaume Uni ? On se rappelle tous, pourtant, que le oui l'a emporté de peu (51,9%).
En tout état de cause, le taux d'abstention va être élevé et ce pour différentes raisons. La première d'entre elles, est que le jour du scrutin, en plein été, les citoyens sont en vacances un peu partout dans le pays ou à l'étranger. Ceux qui ne le sont pas, préféreront quand même aller à la plage ou rester chez eux plutôt que d'aller à un bureau de vote. Deuxième raison du futur taux d'abstention élevé, le nombre d'inscrits. Nous étions sept millions d'électeurs potentiels au dernier rendez-vous électoral de 2019 et nous allons être neuf millions au prochain. La différence vient suite à la décision de l'Isie d'inscrire, malgré eux, les citoyens dans les registres électoraux. Pensez-vous réellement que ces deux millions, qui ne se sont jamais donné la peine de s'inscrire, vont se déplacer aux bureaux de vote ? Au dernier scrutin de la présidentielle, il y a eu 3,4 millions de votants et 2,9 millions aux législatives. Il est quasiment impossible que ce chiffre augmente. Mais vu que le nombre d'inscrits a augmenté, le taux d'abstention va croître automatiquement. C'est arithmétique. Dernier point qui laisse croire que le taux d'abstention va être élevé, le nombre de personnes qui ont manifesté leur adhésion au projet de Kaïs Saïed. Sa consultation nationale, pour laquelle il a mobilisé les institutions de l'Etat, n'a généré que 535.000 participants. Et on est d'accord que ce chiffre est, en soi, très gonflé. Il ne serait au mieux que de 135.000. En bref, que vous boycottez ou pas le référendum, le taux d'abstention sera élevé. Sauf que là, le chiffre du boycott sera noyé dans celui des abstentionnistes. On ne saura jamais combien ont boycotté et combien se sont abstenus.
La dernière solution possible avec ce référendum est d'y participer et d'exprimer clairement sa voix en disant NON. Non à la mascarade, non à la fraude, non au vol de la volonté du peuple, non au pouvoir absolu du président et de l'exécutif, non à l'absence de contre-pouvoirs dignes de ce nom, non à l'humiliation de la justice, non au retour de la dictature. Ce NON restera dans l'Histoire, contrairement au taux d'abstention. Plusieurs voix s'élèvent pour dire que ce NON ne sera jamais visible dans les résultats et que les fraudes massives qui s'observeront le 25 juillet feront tout pour le minimiser. Soit ! Mais faisons quand même notre devoir de citoyen et glissons ce non, quitte à ce que le oui l'emporte frauduleusement ! En tout état de cause, Kaïs Saïed ne s'arrêtera pas sur le taux d'abstention. La preuve, il a déclaré que sa consultation nationale était un franc succès, en dépit du chiffre ridicule et exagéré. Il est binaire, il ne comprend que le oui ou le non. Pour qu'il nous entendre, nous le peuple, il faut lui dire oui clairement ou non clairement.