Le pôle judiciaire, économique et financier a décidé d'interdire de voyage l'ancienne présidente de l'Instance Vérité et Dignité (IVD) qui l'accuse de corruption et de falsification de documents. Des faits dévoilés, depuis longtemps, par la presse et des membres de l'IVD et jusque-là ignorés par la justice. La roue a enfin tourné, la justice a décidé de s'occuper de celle qui a saboté le processus de réconciliation et de justice transitionnelle en Tunisie. Retour sur les casseroles de Sihem Ben Sedrine qui traînent depuis près de dix ans. Business News peut se targuer d'avoir été parmi les tous premiers médias en Tunisie à dévoiler le vilain jeu de Sihem Ben Sedrine et ce avant même sa nomination à la tête de l'instance chargée de la justice transitionnelle en Tunisie, l'Instance Vérité et Dignité. La conséquence a été immédiate, la dame a multiplié, depuis 2013, les procédures judiciaires contre notre journal dont certains se poursuivent jusqu'à aujourd'hui, dix ans après et ce dans l'unique objectif de nous faire taire. Notre journal n'a pas été le seul à critiquer Mme Ben Sedrine et à subir ses affres, du temps où elle était protégée par la troïka et spécialement par le président de la République de l'époque, Moncef Marzouki et le président de l'Assemblée constituante Mustapha Ben Jaâfar. Grâce à cette protection, au sommet de l'Etat et à l'immunité judiciaire octroyée par les islamistes de l'assemblée, elle faisait ce qu'elle voulait sans rien craindre, et notamment la justice. Les mains totalement libres, sure de son impunité, Sihem Ben Sedrine faisait ce qu'elle voulait dans l'instance et gare à ceux qui s'opposaient à elle parmi les membres élus de l'IVD. Ayant rapidement compris le stratagème et comment le processus allait être mené, le grand militant Khemais Chammari a jeté l'éponge en démissionnant de l'instance dès juin 2014, quelques jours après son élection. Deuxième à envoyer un signal d'alarme, la grande militante et journaliste Noura Borsali qui, en novembre de la même année, démissionne et appelle à « la révision du processus de la justice transitionnelle et de la composition de l'instance ainsi que de sa présidence qui doivent être fixées sur la base de la compétence et de l'indépendance politique avérée ». Notre consœur décède trois ans après, mais elle laisse derrière elle une lettre posthume incendiaire dans laquelle elle dévoile les multiples mensonges de Sihem Ben Sedrine. Business News a publié en exclusivité cette lettre.
Ces deux démissions de grands militants n'ont pas été les seules. Loin s'en faut. Plusieurs membres élus et salariés ont fini par comprendre, sur le tard, le danger de Sihem Ben Sedrine et sa manipulation grotesque des dossiers et des affaires. Il était courant de dire, à l'époque, qu'on parle de justice transactionnelle et revancharde. Parmi les noms des démissionnaires et/ou victimes de la présidente despotique de l'IVD, citons Azouz Chaouali, Ibtihel Abdellatif, Oula Ben Nejma, Ali Radhouane Ghrab, Slah Eddine Rached, Afef Nahali, Zouheïr Makhlouf, Mohamed Ayadi, Lilia Bouguira, Mustapha Baâzaoui, Seïf Soudani, Anouar Moalla. Une belle brochette où l'on trouve des magistrats, des militants, des journalistes et de hauts fonctionnaires. Certains parmi eux ont témoigné des ravages causés par la présidente et ses décisions arbitraires, orientés et vengeresses, d'autres ont préféré le silence et d'autres ont témoigné à visage couvert. Mais la majorité a témoigné du despotisme de celle qui répétait partout : « je suis l'IVD et l'IVD c'est moi. Pas d'IVD sans moi ». Si certains sont partis tête baissée, la rage au cœur, d'autres ont résisté à ce despotisme d'une manière civilisée en se dirigeant vers le tribunal administratif ou les tribunaux judiciaires. C'est le cas notamment de MM. Makhlouf et Baâzaoui et Mme Bouguira. Sauf que voilà, le tribunal administratif a beau trancher en leur faveur et ordonner la présidente de les réintégrer, cette dernière a refusé net de se plier aux jugements ! Pour certains, les verdicts ont été prononcés des années plus tard, bien après l'achèvement des travaux de l'instance et sa fermeture.
Le harcèlement dont se plaignent les démissionnaires et/ou limogés n'est pas l'unique grief retenu contre celle qui a été honnie par les réseaux sociaux. Ses casseroles durant ses quatre ans à l'IVD ont été bien nombreuses. En décembre 2014, juste après l'élection de Béji Caïd Essebsi à la présidence de la République et à 48 heures de sa prise de fonctions, la présidente de l'IVD a dépêché au palais de Carthage une dizaine de camions de déménageurs, dans l'objectif de récupérer les archives de la présidence de la République et ce avec la complicité de son ami et ancien président Moncef Marzouki. Tentative avortée par la sécurité présidentielle qui a refusé net l'accès des gros bras au palais à la veille de passation de pouvoir entre deux présidents.
Après le départ de la troïka, le nouveau régime dirigé par Nidaa a tenté de la déloger, mais en vain. À l'occasion du vote de son budget 2016, elle a été convoquée devant le parlement pour répondre de ce train de vie onéreux qu'elle mène, la voiture sportive (Passat CC) qu'elle s'est achetée, les limogeages, etc. En dépit des interventions houleuses, elle s'en est cependant sortie grâce à l'intervention de ses amis islamistes d'Ennahdha, deuxième bloc parlementaire et grand partenaire de Nidaa. Bis repetita en mars 2018 devant la même assemblée à l'occasion de l'examen de la prolongation de son mandat. Les interventions étaient virulentes, les critiques acerbes, les accusations de malversation nombreuses, mais elle a fini par obtenir ce qu'elle voulait sans être inquiétée. Seulement voilà, au vu du grand nombre de critiques des médias les plus objectifs et des témoignages accusateurs des anciens membres, la Cour des comptes a fini par se pencher sur le cas de l'IVD pour ouvrir ses dossiers. Un rapport d'audit de la Cour des Comptes a été publié début 2019 et concerne tout le travail de l'IVD, depuis le démarrage de sa mission. Il a révélé de multiples dépassements, financiers et administratifs. Il a révélé également les réserves des commissaires aux comptes, tus jusque-là par la présidente de l'IVD. Bien qu'attrapée la main dans le sac, Sihem Ben Sedrine n'a pas été poursuivie en justice et n'a jamais été dérangée ! Ce rapport de l'IVD, aussi accablant soit-il, n'a pas été le premier à dévoiler les bavures et dépassements de Mme Ben Sedrine. Avant ce rapport, en mars 2018, le blogueur et futur député de l'époque Yassine Ayari a publié sur son blog un très long texte dévoilant, au détail et bien plus que la cour des comptes, de véritables malversations qui tombent, toutes, sous le coup de la loi. En dépit du scandale et des preuves présentées, le parquet n'a jamais bougé. Quant à M. Ayari, il a subi les pressions des islamistes et de Moncef Marzouki pour se taire et cesser de tirer sur Mme Ben Sedrine.
Il a fallu attendre 2023 pour voir, enfin, Sihem Ben Sedrine répondre de ses actes devant un magistrat. Le juge d'instruction auprès du pôle judiciaire économique et financier lui a signifié, le 2 mars, une mesure d'interdiction de quitter le territoire. Ces démarches ont été prises dans le cadre de l'affaire de falsification du rapport de l'IVD ouverte depuis février 2021. Elle est officiellement inculpée de « s'être procuré des avantages injustifiés », « causé des préjudices à l'Etat » et « falsification », en vertu des articles 96, 98, 172, 175, 176, 177 du code pénal, accédant à une demande du parquet en date du 20 février 2023.
Si les avantages injustifiés ont été révélés par les médias et les observateurs politiques depuis des années, la question de falsification est nouvelle, quoique pas étonnante. Elle touche le rapport final de l'Instance à propos de la justice transitionnelle. Sihem Ben Sedrine a remis au président de la République une copie différente de la version finale déposée au Journal officiel. Entre les deux, elle a ajouté le dossier sulfureux de la BFT. Règlement de comptes de dernière minute ? Fort probable. En tout état de cause, ce rapport ne contenait pas que ce couac, il y avait plein de règlement de comptes, notamment contre les médias et ses critiques, et plein de contrevérités. Elle a blanchi plusieurs figures des anciens régimes et en a accablé d'autres, selon son gré. Pour se défendre, Sihem Ben Sedrine a joué sa carte habituelle, la victimisation : « On accuse de corruption ceux qui ont démasqué les corrompus », écrit-elle. Sous-entendu, elle est victime, comme beaucoup d'autres, de la campagne de reddition des comptes actuellement lancée par le pouvoir putschiste de Kaïs Saïed qui a mis en prison plusieurs personnalités politiques. Sihem Ben Sedrine peut cependant jouer cette carte, son cas est loin (très loin) de Issam Chebbi, Lazhar Akremi ou Ghazi Chaouachi. Ses malversations supposées ont été révélées depuis des années avec moult preuves, alors qu'elle était au summum du pouvoir par des personnes des plus crédibles et des plus respectées du pays.