Une nouvelle histoire à dormir debout occupe le paysage politique tunisien de la IIIe République depuis hier. Une histoire de royaume à créer sur une terre à trouver, le tout révélé par Abir Moussi qui accuse Sawsen Mabrouk, vice-présidente de la nouvelle assemblée, d'être une ministre de ce royaume. Pendant que le parlement européen est penché sur une résolution sur la Tunisie et que les Tunisiens se débattent face à une inflation à deux chiffres et une série de pénuries, sa classe politique est préoccupée par des sujets, semble-t-il, prioritaires. Le président de la République parle avec son ministre de l'Intérieur d'un complot ourdi par les dealers pour détruire la société et démanteler l'Etat. La vice-présidente de la toute nouvelle assemblée, Sawsen Mabrouk, est en train de faire le tour des médias pour répondre à des accusations lancées, hier, par le PDL de Abir Moussi. Accusations selon lesquelles Mme Mabrouk serait ministre du Travail d'un royaume en cours de constitution qui s'appelle Atlantis dont on connait déjà le drapeau et les armoiries.
Dans le communiqué officiel du PDL, signé par sa présidente Abir Moussi, Sawsen Mabrouk serait membre d'une pieuvre constituée d'organisations et d'instances internationales en qualité de ministre du Travail. Cette pieuvre s'appelle Nouveau Royaume d'Atlantide (New Atlantis dans l'original), terre de la sagesse, un Etat en cours de constitution dont le roi s'appelle Harun Aydin. Ce royaume est doté d'un gouvernement décentralisé dirigé par Mohammad Alabbadi avec une série de ministres dont la Tunisienne Sawsen Mabrouk, chargée du portefeuille du Travail. On a d'ores et déjà commencé à distribuer les nationalités de ce nouveau Royaume d'Atlantide et on a envoyé des correspondances à plusieurs Etats pour y ériger des représentations diplomatiques. D'après des documents révélés par le PDL, le royaume en question a envoyé une correspondance officielle au ministère tunisien des Affaires étrangères. Les fondateurs sont en train, actuellement, de chercher un territoire quelque part sur la planète pour ériger leur royaume et achever ainsi les conditions de constitution d'un Etat et l'obtention d'une reconnaissance officielle. ils ont créé également des cartes d'identité officielles et un hymne national. Pour le PDL, « il y a un grand danger qu'une citoyenne tunisienne soit membre fondateur d'un Etat étranger avec son drapeau. Et ce danger est redoublé avec l'élection de la citoyenne en question à la présidence d'une institution législative ». Le PDL invite le président Kaïs Saïed à donner la position officielle de la Tunisie par rapport à ce nouveau Royaume d'Atlantide, ses relations avec ce Royaume et l'issue de la demande reçue par le ministère des Affaires étrangères. Le PDL invite les autorités à investiguer immédiatement sur le fait qu'une citoyenne tunisienne occupe un poste ministériel dans un pays étranger tout en se présentant aux législatives en Tunisie. Fin du communiqué du PDL ou plutôt de la blague du PDL.
Face à la polémique qui a mis les réseaux sociaux tunisiens en effervescence, Sawsen Mabrouk est sortie dans les médias (Wataniya 1 et IFM) pour répondre à ce qu'elle qualifie de pures calomnies. Elle dément catégoriquement faire partie d'un quelconque gouvernement étranger et relève que son nom ne figure pas sur le site « officiel » du Royaume. Et si son nom est inséré quelque part, ce n'est pas de sa faute. « C'est courant, remarque-t-elle, qu'on utilise les photos des internautes à leur insu ». Elle affirme avoir publié son CV pour que tout un chacun puisse vérifier son parcours. Elle affirme également qu'elle est experte judiciaire officielle auprès d'un organisme dépendant du ministère tunisien de la Défense depuis 2014. Quels sont ses rapports avec le Royaume d'Atlantide ? « Je n'ai aucun titre officiel avec eux et je défie quiconque de démontrer le contraire ou de montrer un quelconque contrat avec eux », dit-elle sur IFM. Interrogée par Borhen Bsaïs si elle a eu des contacts avec les fondateurs de ce royaume, Mme Mabrouk répond qu'elle dirige un centre d'études juridiques et qu'elle participe à toutes les conférences internationales et les groupes de travail où l'on discute de projets de loi et qu'à ce titre, elle a eu contact avec les fondateurs. Sauf que ce travail réalisé à distance, durant la période Covid, ne saurait être considéré comme une appartenance à leur royaume et que ce n'est pas de sa faute s'ils ont inséré son nom parmi les membres de leur gouvernement.
Théoriquement, une telle histoire à dormir debout ne devrait pas faire l'objet d'un communiqué officiel d'un parti classé premier dans les sondages. De pareilles histoires de nouveaux Etats à constituer, de nouvelles religions, d'ovnis et de sectes, il y en a des centaines sur le web et ce depuis des décennies. Des histoires pour les gogos férus des théories du complot, créées généralement par des arnaqueurs professionnels. Pour ce qui est du nouveau Royaume d'Atlantide, le PDL s'est basé sur un site web très mal fait où le ridicule et l'arnaque se sentent à des kilomètres. Pour rappel, le Royaume d'Atlantide puise son origine dans deux des Dialogues du philosophe athénien Platon (428—348 av. J.-C.), le Timée et le Critias, qui sont présentés comme une suite de La République et ont pour objet d'illustrer, à travers ce récit, les vertus des citoyens idéaux suivant Socrate, montrant comment une Athènes vertueuse est venue à bout d'un ennemi malfaisant. L'Atlantide est une île mythique, de la taille d'un continent, qui aurait été attribuée au dieu de la mer Poséidon lors du partage du monde, et qui aurait disparu brutalement lors d'un cataclysme.
Il faudrait donc avoir un QI proche de zéro pour donner du crédit au projet du Royaume d'Atlantide du XXIe siècle. Ne serait-ce que pour la forme de leur site web très mal fait, on devrait rire et poursuivre son chemin. N'empêche. Pour alimenter sa théorie du complot et donner un peu de sérieux au projet et à son propre communiqué, le PDL a publié une série de fac-similés de journaux électroniques qui parlent du Royaume d'Atlantide et un article paru sur un journal italien inconnu, projet radical (progetto radici dans l'original) qu'aurait rédigé la ministre du Travail Sawsen Mabrouk. Il suffit de lire l'article pour mesurer le non-sérieux du contenu, soit dit en passant. De deux choses l'une. Soit le QI de Abir Moussi et ses théories conspirationnistes sont devenus identiques à ceux des aficionados de Kaïs Saïed, soit elle cherche à discréditer, par tous les moyens soient-ils ridicules, un membre de l'assemblée. Les deux théories se valent, rien n'est exclu. Abir Moussi est habituée à faire feu de tout bois pour faire parler d'elle. En évoquant un projet des plus ridicules, elle a réussi à pousser la vice-présidente à sortir dans les médias pour se défendre et à jeter le doute auprès d'une partie des citoyens. Plus c'est gros, plus ça passe ? Abir Moussi utilise la même politique que Kaïs Saïed, celle du conspirationnisme. Cette politique marche à merveille avec le président de la République qui trouve systématiquement du répondant à ses hypothétiques histoires de complot contre l'Etat et de projets d'assassinat. Sawsen Mabrouk a beau s'expliquer et se justifier, il y aura quand même des milliers de gogos pour croire que la vice-présidente de l'assemblée appartient à un gouvernement étranger, comme il y a eu des milliers pour croire qu'il y avait un tunnel vers la résidence de l'ambassadeur de France et qu'on a tenté d'empoisonner le président avec du pain. Si les Tunisiens croient les histoires à dormir debout du président de la République, sans même qu'il n'ait à présenter des preuves, pourquoi ne croiraient-ils pas à celles de Abir Moussi qui agrémente ses propos de fac-similés, d'articles et de liens ? Raouf Ben Hédi Cliquer ici pour accéder au site du Royaume d'Atlantide Cliquer ici pour lire l'article de Sawsen Mabrouk