Les coups de feu nourris, dans la soirée du mardi 9 mai aux alentours de la synagogue de la Ghriba à Djerba, qui ont engendré quatre morts, seraient un acte isolé d'après les autorités. Pourtant, elles ressemblent à un acte terroriste classique. Les faits. Des tirs ont été entendus et aperçus mardi 9 mai, vers 20h30, aux alentours de la synagogue de Ghriba à Djerba. Aussitôt un vent de panique a pris les visiteurs qui se sont dispersés, certains derrière les arbres, d'autres sous les voitures et d'autres encore à l'intérieur du village entourant la synagogue. La brigade antiterroriste et l'armée étaient sur les lieux rapidement, d'après les visiteurs sur place qui nous ont fait part de leur témoignage en temps réel. Médias et réseaux sociaux ont pris la relève rapidement pour relayer, dès 21 heures, les vidéos où l'on entendait les tirs nourris. Certains parlaient de rafales de tirs et d'autres criaient au secours. Il a fallu attendre un peu après 23 heures pour que le ministère de l'Intérieur réagisse avec un communiqué, ressemblant davantage à un PV de police qu'à un communiqué d'information, pour dire ce qui s'est passé. « Un agent de la Garde nationale affecté au Poste maritime d'Aghir Djerba, indique le communiqué, avait été tué par son collègue qui s'est emparé de son arme et de ses munitions. L'auteur de l'attaque a essayé de s'approcher des alentours de la synagogue de la Ghriba. Il a tiré des coups de feu aléatoires vers les unités sécuritaires installées sur les lieux. Toutefois, les unités sécuritaires déployées l'ont empêché d'y parvenir et l'ont éliminé ». Le ministère indique que l'opération a fait six blessés parmi les agents sécuritaires, dont un décédé. Il a ajouté que deux visiteurs (Un Tunisien de trente ans et un Français de 42 ans) sont, également, morts et quatre blessés transférés à l'hôpital pour recevoir les soins nécessaires. Au total, on a donc quatre morts, soit les deux visiteurs, l'agent des forces de l'ordre et l'auteur des tirs. Un autre policier a succombé à ses blessures à l'hôpital. Sans l'intervention rapide des forces de sécurité tunisienne, nous aurions vécu un vrai carnage. Visiblement, ce qui s'est passé à Djerba relève d'un acte purement terroriste. Pourtant, médias et autorités se sont interdits de prononcer ce terme, se suffisant du mot « attaque ». Sans doute, si l'on a adopté ce champ linguistique dans un premier temps, c'est de peur de dégager une mauvaise image de la Tunisie et de menacer la saison touristique qui s'annonçait bonne.
La réaction des autorités ressemble comme deux gouttes d'eau à celle de 2002 à la même Ghriba. À l'époque, le régime despotique de Ben Ali a, lui aussi, parlé d'un acte isolé et d'une simple explosion de gaz au début. Ce 21 avril 2002, un kamikaze de 25 ans d'Al Qaïda, Nizar Naouar, s'est fait exploser dans un camion-citerne de gaz naturel bourré d'explosifs engendrant 19 mors et trente blessés. La volonté de camoufler ou de maquiller ce qui était évident s'est retournée alors contre le régime Ben Ali qui s'est bien ridiculisé en avril 2002. 21 ans après, les autorités seraient en train de répéter la même erreur en présentant l'attentat du 9 mai 2023 comme un acte isolé au lieu d'appeler les choses par leur nom. Qu'est-ce qu'un acte terroriste ? Selon le Larousse, il s'agit d'un ou d'actes « de violence (attentats, prises d'otages, etc.) commis par une organisation ou un individu pour créer un climat d'insécurité, pour exercer un chantage sur un gouvernement, pour satisfaire une haine à l'égard d'une communauté, d'un pays, d'un système. » Selon Wikipédia, il s'agit de « l'utilisation de la violence intentionnelle pour atteindre des objectifs idéologiques, qu'ils soient politiques ou religieux. » L'Onu et l'Union européenne ont des définitions plus précises, mais qui restent de la même nature que celles présentées ci-dessus. La loi tunisienne, loi organique 2015-26 du 7 août 2015, relative à la lutte contre le terrorisme et à la répression du blanchiment d'argent, ne définit pas d'une manière précise ce qu'est une infraction terroriste, mais donne, en revanche, une idée sur les actes dont sont coupables les coupables d'infractions terroristes. Dans son article 13, modifié par la loi organique 2019-9 du 23 janvier 2019, « Est coupable d'infraction terroriste, quiconque commet, par quelque moyen que ce soit, pour l'exécution d'un projet individuel ou collectif, l'un des actes objets de l'article 14 et des articles de 28 à 36 de la présente loi et que cet acte soit destiné, par sa nature ou son contexte, à répandre la terreur parmi la population ou à contraindre un Etat ou une organisation internationale à faire une chose relevant de leurs prérogatives ou à s'en abstenir. » Dans son article 14, « Est coupable d'infraction terroriste, quiconque commet, l'un des actes suivants : Premièrement : un meurtre ; Deuxièmement : Faire des blessures ou porter des coups ou commettre toutes autres violences prévues par les articles 218 et 319 du code pénal ; Troisièmement : Faire des blessures ou porter des coups ou commettre toutes autres violences, non prévues par le deuxième cas ».
Qu'en est-il de l'attentat du 9 mai ? Nous avons une personne qui a pris délibérément une arme et s'est dirigée délibérément vers un lieu de pèlerinage pour cibler une communauté bien particulière de civils. Il s'agissait donc d'atteindre des objectifs idéologiques et de manifester sa haine à l'égard d'une communauté, comme dans la définition. Les mots ont un sens, les actes aussi. Si l'on se réfère aux différentes définitions, nationales et internationales, ce qui s'est passé hier serait un acte terroriste. Le fait que les autorités choisissent un lexique différent et évitent de qualifier les actes d'hier comme étant des infractions terroristes est une vision de court-terme qui a montré ses limites et ses conséquences en 2002. Il faut appeler un chat un chat, il ne sert à rien de maquiller la réalité, c'est contre-productif. Le ministère de l'Intérieur a mis, hier, plus de deux heures pour communiquer au public ce qui s'est passé en minimisant les faits, pourtant très graves. Or, si les faits tels que présentés par ce même ministère et tels que les témoins les ont vécus, répondent clairement à la définition d'infractions terroristes, il est impératif que les autorités leur donnent la qualification adéquate afin de ne pas se ridiculiser comme c'était le cas en 2002. Un attentat terroriste est mal venu pour l'image de la Tunisie et son tourisme, c'est une évidence, mais un mensonge d'Etat est pire.