Extraordinaire moment de démocratie hier en Turquie avec un suspense à couper le souffle. Finalement, et contrairement à ce qu'annonçaient plusieurs chaînes d'information arabes et internationales, le chef d'Etat islamiste Recep Tayyip Erdoğan n'est pas passé dès le premier tour. Le moment était extraordinaire par son suspense, mais aussi par la manipulation grotesque des médias acquis à l'islamiste et à l'islamisme. Tout au long de la soirée, Al Jazeera, France 24 arabe, BBC arabic, Al Arabiya et même RT ne relayaient que les chiffres de l'agence de presse Anadolu, qui donnaient à Erdoğan plus de 50% des suffrages. C'est-à-dire vainqueur dès le premier tour. Seuls quelques médias occidentaux, ainsi que l'émiratie Sky News Arabe relayaient les chiffres d'Anka et de l'opposition qui prédisaient un second tour. La vérité a mis des heures pour trouver son chemin, mais elle a fini par éclater : l'islamiste n'est pas passé. La manipulation grotesque d'Anadolu de ce dimanche 14 mai 2023 restera dans les annales et devrait être enseignée dans les instituts de presse.
En Tunisie, on a bien vécu ces moments de pur bonheur démocratique et puis est venu le putsch du 25 juillet 2021. Depuis, les élections sont boycottées par le public. Au référendum de juillet 2022, elles étaient très controversées et il y avait suspicion de manipulation. À la clé, selon les chiffres (a priori exagérés), seuls 2,8 millions de votants sont allés aux urnes, soit 30,5%. Aux législatives de 2022-2023, un seul million de Tunisiens est allé aux urnes, soit 11,22%. En dépit de ces scores historiquement bas, Kaïs Saïed a poursuivi son chemin méprisant totalement les Tunisiens et leur abstention. Il a continué son œuvre putschiste faisant fi du « non » silencieux des Tunisiens et de leurs volontés. En termes tunisiens simples, cela porte un seul unique nom : la hogra (mépris). Rappelons, au passage, la dissolution illégale de l'assemblée par la seule volonté du chef, alors que ses membres ont été élus par 2,9 millions de Tunisiens (41,7%) ainsi que les conseils municipaux (toujours illégale et par sa seule volonté), alors que leurs membres ont été élus par 1,8 million de Tunisiens (35,65%). Idem avec la dissolution du conseil supérieur de la magistrature et le gel de l'Instance de lutte contre la corruption.
Ce mépris de Kaïs Saïed à l'égard des Tunisiens, on l'a vécu à plusieurs reprises depuis le putsch de 2021. La dernière fois, cette semaine avec l'attentat de la Ghriba et ses six martyrs. Premier mépris, la qualification de l'attentat. L'Etat, via son parquet et son ministère de l'Intérieur, l'ont qualifié de criminel alors que c'était évident qu'il était terroriste. C'est là un mépris de ces morts, qu'ils soient civils ou armés, un mépris des Tunisiens et un mépris de la communauté internationale. Dans cette même qualification des autorités, on refuse de dire qu'il s'agissait d'un acte antisémite, alors que l'assaillant a fait plus de vingt kilomètres, juste pour cibler des pèlerins juifs sur leur lieu de pèlerinage. Deuxième mépris lié à cet attentat, le retard pris par les autorités pour communiquer. Elles ont attendu plus de deux heures pour dire ce qui se passe, refusant entre-temps, de répondre aux appels téléphoniques des journalistes. Leur télévision propagandiste, la Wataniya, et leurs organes de presse TAP et La Presse, étaient muets alors que les médias privés et les réseaux sociaux étaient en effervescence durant toute cette soirée noire du mardi 9 mai. Le lendemain, on annonce une conférence de presse à 20 heures avant de la reporter, sans annoncer de raison, au surlendemain. Durant cette conférence, les autorités ont refusé de donner la parole aux journalistes et de répondre à leurs questions. Les autorités de ce régime putschiste ne nous considèrent pas comme des citoyens, mais des sous-citoyens voire des sujets. Ils sont payés par nos impôts pour nous mépriser ! Ils ne considèrent pas les médias comme les porte-paroles du public ni comme quatrième pouvoir, mais comme de simples outils de propagande et relayeurs d'informations non vérifiées et non contredites. Et il y avait plusieurs points qui méritaient des éclairages, comme cette question incroyable de 112 secondes (on affirme sur les réseaux sociaux que la fusillade aurait duré plus longtemps) et des informations sur l'assaillant, un membre de la Garde nationale. Avant cela, le président de la République a tenu une réunion du conseil de sécurité nationale durant laquelle il a présenté ses condoléances aux martyrs parmi les forces de l'ordre, mais aussi à toutes les victimes. Non, monsieur le président, ce sont tous des martyrs, quelle que soit leur identité et leurs croyances ! Vous n'avez pas à élever les uns au rang de martyr et laisser les autres au simple rang de victimes ! La catégorie des martyrs n'est pas exclusive aux musulmans et, d'ailleurs, vous ignorez la foi des agents décédés, vous ne faites que supposer qu'ils sont musulmans.
Le plus grand mépris de Kaïs Saïed n'est cependant pas dans les mots qu'il a choisis, mais plutôt dans les gestes qu'il n'a pas commis, à savoir prendre l'avion et aller au chevet des familles des martyrs de Djerba. Ni lui, ni la cheffe du gouvernement, ni même le ministre de l'Intérieur n'ont daigné se déplacer à Djerba comme l'exige le b.a.-ba du civisme et du respect. « Pourquoi on ne dit pas les mots comme ils sont, c'est un acte terroriste, c'est un acte antisémite », s'est étranglée la pèlerine djerbienne Annie Kabla chez Mourad Zeghidi sur IFM, qui a rappelé que Djerba n'est pas que tourisme et que les plus hauts représentants de l'Etat auraient dû se déplacer sur place. En réponse, l'un des propagandistes du régime a prétexté des questions sécuritaires. Est-ce à dire que le ministère de l'Intérieur ne peut pas assurer la sécurité du président de la République ou de la cheffe du gouvernement, si jamais il se déplace à Djerba ? Allons donc ! Face à la mort, Kaïs Saïed préfère l'évitement. On l'a déjà vu avec le drame de Zarzis et le décès de 18 clandestins en septembre 2022. Sept mois après, et en dépit des appels répétés des Zarzissois, ni le président ni sa cheffe du gouvernement n'ont daigné aller sur place pour présenter leurs condoléances aux familles. Pire, le président s'est permis plus d'une fois de donner des détails erronés sur l'affaire. On l'a également vu avec le drame mortel de Haffouz après que le footballeur Nizar Issaoui s'est immolé par le feu, ne supportant pas l'injustice subie par les forces de l'ordre.
Au lieu de quoi, le président se permet régulièrement des bains de foule dans les marchés et les souks, juste pour mesurer sa popularité. Il l'a refait samedi dernier en se déplaçant à l'Ariana pour, soi-disant, démontrer aux Tunisiens que nous ne sommes pas antisémites. Nous ne sommes peut-être pas antisémites, mais la majorité des Tunisiens est anti-juifs. Notre dialecte est rempli de phrases antijuives. Vous avez lu le communiqué indécent du mouvement Echaâb ? Pourquoi la constitution que vous avez écrite tout seul exclut-elle les non-musulmans de la magistrature suprême et les binationaux des législatives nationales ? Que l'on soit anti-juifs ou pas, le souci n'est pas là aujourd'hui. Le fait est que nous avons un régime et un président qui déconsidèrent et méprisent totalement les Tunisiens, toutes catégories confondues. Depuis son accession au pouvoir, Kaïs Saïed n'a cessé de cibler des catégories de citoyens pour leur manifester son grand mépris. Il a commencé par les corrompus et les spéculateurs avant d'attaquer les magistrats, les journalistes et les riches. Il a élargi ensuite son mépris aux instances nationales et internationales (agences de notation, commission de Venise, FMI…) et aux Tunisiens tout court. Même ses plus proches collaborateurs qui l'ont servi avec zèle n'ont pas échappé à son mépris. Il suffit de voir comment il les limoge sans ménagement ni respect. Et, pour finir, il a pondu une constitution discriminatoire. Avec ce qui s'est passé à Zarzis, à Haffouz et à Djerba, Kaïs Saïed a fini avec les vivants et s'en prend maintenant aux morts. Tant de hogra devient insupportable à la fin et, tôt ou tard, elle se retournera contre son auteur. C'est une règle, c'est ce qui arrive toujours. Lui qui aime tant l'Histoire, il doit bien le savoir.