Particulièrement sur les réseaux sociaux, les marques, les publicités, les annonces pour vendre des médicaments et autres produits pharmaceutiques font depuis des mois réagir les professionnels du secteur, qui n'ont de cesse de lancer des alertes sur le danger de telles pratiques qui, souvent, échappent à tout contrôle. Le terme « contrebande de médicaments » est d'ailleurs très mal compris, on pense surtout à des produits vendus à la sauvette ou dans des étals anarchiques, mais non… pas que… Le thème fait récemment couler beaucoup d'encore. Voilà des mois que le président du Syndicat des Pharmaciens d'Officine de Tunisie, Naoufel Amira alerte sur le sujet exacerbé par les pénuries de médicaments sans qu'on en saisisse réellement l'ampleur. La contrebande de médicaments est pourtant partout, pratiquée sous les yeux de l'Etat, au vu et au su de tous, faisant régner le chaos dans un secteur censé être des plus contrôlés car touchant à la santé et à la vie des Tunisiens. Pour comprendre les dessous d'un marché florissant, que dénoncer expose aux plus viles insultes et même à des menaces, Naoufel Amira a accepté de répondre aux questions de Business News.
Le marché parallèle des médicaments est-il renforcé par la pénurie enregistrée dans beaucoup de produits ?
A vrai dire beaucoup de facteurs entrent en jeu. La pénurie certes mais aussi l'ignorance des citoyens et l'appât du gain facile. Parfois on le fait sans vraiment en saisir la portée. Il y a des pages par exemple où des internautes font don de médicaments, en cas de décès par exemple du malade. Ceux là le font de bonne foi sans mesurer la gravité que cela peut représenter. Il arrive qu'on y voit proposés des médicaments apparentés à des drogues, de la morphine par exemple et toutes sortes de psychotropes. Certes, ces personnes pensent bien faire, aider d'autres malades mais des dealeurs peuvent aussi saisir ces opportunités et se fournir en drogues qu'ils revendront plus tard. Evidemment, on ne sait pas que certains médicaments sont considérés comme des stupéfiants. Maintenant pour parler de contrebande en tant que telle, nous avons saisi plusieurs lots de médicaments non enregistrés en Tunisie, surtout des médicaments vétérinaires importés principalement de Jordanie et d'Algérie. Récemment nous avons aussi découvert qu'une célèbre plateforme de vente en ligne proposait des médicaments contrefaits provenant d'Asie du sud-est. Il s'agit de stimulants sexuels, type Viagra, qui ne sont pas enregistrés en Tunisie et qui sont vendus à trois fois le prix indiqué en pharmacie. Nous avons également découvert un lot de crème à base d'hydroquinone proposé à la vente à 120 dinars pièce, alors que le produit existe en pharmacie sous l'appellation Dequinone et proposé à 27 dinars. Evidemment, nous ne savons rien sur l'origine du produit si ce n'est qu'il est importé d'Egypte. Pourquoi les réserves concernant la provenance de certains produits ?
Les médicaments et produits pharmaceutiques qui proviennent des pays voisins, je pense par exemple à l'Algérie, au Maroc, à l'Egypte ou à la Jordanie ne sont pas fabriqués aux normes adoptées en Tunisie. Nous n'avons pas confiance, le processus de fabrication ne répond pas aux exigences de notre ministère de la Santé. Nous avons pour usage d'envoyer une inspection aux pays producteurs pour en contrôler les normes et souvent les normes de ces pays ne collent pas aux nôtres. En Tunisie, nous avons des normes très strictes et nous importons nos médicaments de pays connus pour leur rigueur, l'Allemagne par exemple, la France et beaucoup les Etats-Unis aussi qui répondent aux normes auxquelles nous sommes aussi contraints et qui nous permettent nous-mêmes d'exporter nos produits à ces pays.
Qu'en est-il des produits parapharmaceutiques et des compléments alimentaires qu'on voit partout sur les réseaux sociaux ?
Il s'agit d'un sujet très grave également. Et qui prend beaucoup d'ampleur. Nous avons récemment saisi deux lots de crème solaire contrefaite, proposée à 55 dinars. Ce produit n'a aucune autorisation pour être commercialisé en Tunisie et je parle de lots entiers. Le produit est proposé même en parapharmacie et il est impossible de cerner sa distribution. Le ministère n'a pas les moyens de contrer cela, la solution reste sécuritaire et compliquée. Pour ce qui est des compléments alimentaires, c'est le chaos le plus total ! On voit de tout ! De la contrefaçon, aux produits dont la composition, l'origine et jusqu'aux données sur le fabriquant sont absentes. Nous avons même déploré des morts dues à ces compléments, où va-t-on ainsi ? c'est l'anarchie la plus totale et c'est très grave !
Quand on achète des produits en pharmacie ou en parapharmacie, comment savoir si c'est de la contrefaçon ?
Il n'y aucun lieu de comparer les pharmacies aux parapharmacies, aucun ! Les parapharmacies sont soumises à la loi du ministère du Commerce et ne sont contrôlées que sous l'aspect commercial, aucunement sanitaire. On ne sait pas ce que vendent les parapharmacies, personne ne connait la provenance des produits et leur composition, il n'existe aucun contrôle ! Les pharmacies en revanche sont sous la tutelle du ministère de la Santé. Si le moindre problème survient suite à l'achat d'un médicament vendu en pharmacie, le citoyen peut aller en référer à la Direction de l'Inspection Pharmaceutique qui veille au respect et à l'application des lois et des textes organisant les professions pharmaceutiques. Or, cette structure ne contrôle que les structures pharmaceutiques énoncées dans la loi de 61, à un moment où les para et les réseaux n'existaient pas. Cela veut dire que les médicaments et autres produits vendus en pharmacie sont traçables, leur acheminement est très contrôlé mais les autres secteurs non, absolument pas ! En cas de problème avec un lot, la décision de retrait est très vite prise et clairement appliquée chez les pharmacies, ailleurs il n'existe aucun mécanisme de ce type, le ministère de la Santé n'intervient pas.
Avec la pénurie, certains citoyens sont contraints d'acheter leurs médicaments à l'étranger. Est-ce également considéré comme de la contrebande ?
Absolument pas ! Quand il s'agit d'un médicament importé pour un usage personnel et non à des fins commerciales, on ne peut pas parler de contrebande. Et puis il y a un malade au milieu, qui ne peut pas manquer son traitement. Alors non, cela est tout à fait normal et c'est le droit de chacun de se soigner. Cela dit cela devient un problème quand certains en profitent pour s'implémenter dans cette niche et en faire leur commerce. Je fais notamment référence aux centres de procréation médicalement assistée (PMA) qui peinent à trouver un certain médicament administré pour la fécondation in vitro et qui sont obligés de se tourner vers certains « commerçants ». On voit d'ailleurs vendu un de ces médicaments à 150 dinars alors qu'il est vendu à 26 dinars, certains profitent de la situation pour amener clandestinement ce genre de médicaments devenus rares dans le pays pour faire leur beurre. Evidemment, on apporte ces produits de pays voisins qui, comme je vous l'ai mentionné, n'ont pas les mêmes normes que les nôtres.
Quels sont les médicaments qui sont le plus concernés par la contrebande ?
On peut les classer en trois catégories. Les stimulants sexuels, les médicaments qui visent soi-disant à faire prendre du poids et les crèmes-médicaments contre les taches brunes de la peau et qui sont classées en tant que médicaments. Ce sont ces produits qui sont les plus courants sur les marchés parallèles. Les pilules qu'on vend pour faire grossir sont très dangereuses. Elles sont formulées à base de corticoïdes et donnent lieu à des problèmes de santé très graves. D'ailleurs, on utilisait cette formule aux Etats-Unis pour doper les veaux. Nous avons eu beaucoup de cas où ce genre de produit, ou autre d'ailleurs, ont causé de vrais ravages mais le ministère ne dispose d'aucune base de données pour les recenser. On ne peut se tourner vers personne dans ces cas-là, car une fois dans les parapharmacies il est impossible de retirer les produits. On ne peut en aucun cas intervenir sur un secteur qui n'est pas régulé et que le ministère ne semble pas vouloir intégrer. Pour donner un exemple, certaines parapharmacies vendent des produits de phytothérapie, or ces produits peuvent constituer, si mal indiqués, un réel danger pour les patients et les vendeurs et para n'ont aucune formation pour les conseiller ou les prescrire aux clients et pourtant on en trouve.
Le mot de la fin…
Avec un tel chaos et une telle quantité de produits disponibles en ligne ou dans des échoppes qui ont pignon sur rue, nous courons droit à la catastrophe ! Elle est même inévitable. Un produit oxydé par exemple peut causer un vrai drame dans le pays et cela est très probable. Le dernier communiqué de la Direction de la pharmacie et du médicament (DPM) en dit d'ailleurs long sur le sujet. On demande aux fabricants de compléments vendus sous forme médicamenteuse de se déclarer. En plus d'être incontrôlés, ces produits sont aussi et très souvent une vraie arnaque même au niveau des prix. Nous ne sommes pas en train de généraliser, certains produits sont fabriqués dans des garages mais d'autres répondent à une certaine rigueur en termes de qualité. On recense 240 laboratoires de compléments en Tunisie dont le ministère n'a aucune connaissance. Cela en plus des produits importés. Il faut que les autorités prennent des mesures pour contrôler le secteur, adopter un cahier de charges par exemple, des normes spécifiques comme cela se fait à l'étranger. Certains laboratoires tunisiens sont sérieux, certains pharmaciens se lancent dans ces industries et ils sont très rigoureux, ils travaillent aux normes européennes et ils exportent même en Europe. Il faut encadrer le secteur afin que nos laboratoires fleurissent et que la catastrophe soit épargnée, autrement nous courons vers le drame….