Le covid-19 a sévèrement impacté la grande distribution et la guerre en Ukraine a envenimé davantage les choses avec une inflation galopante qui porte atteinte au pouvoir d'achat et engendre de multiples pénuries. Tout cela a débouché sur une remise en cause du modèle économique de la société Magasin Général. L'entreprise est largement endettée et suffoque sous le poids des charges financières qui ont explosé avec la hausse du TMM, la poussant à vendre certains actifs immobiliers et à prévoir une augmentation de capital. C'est ce qui ressort de l'assemblée générale ordinaire, tenue lundi 26 juin 2023 à l'Institut arabe des chefs d'entreprises, sous l'égide du président du Conseil d'administration Ahmed Ben Ghazi et du directeur général Fahd Chaouch.
La société Magasin Général (MG) a multiplié son résultat net par plus de cinq fois, évoluant d'un déficit de 18,20 millions de dinars (MD) à un bénéfice de 4,17 MD, grâce à des plus-values sur cession d'immobilisations de 38,46 MD et malgré un impôt de 2,08 MD (impôt sur les bénéfices et contribution sociale solidaire) et des charges financières nettes en hausse de 30,09 MD (+2,08%). Le chiffre d'affaires hors taxes de la société a baissé de 1% passant de 928,33 MD fin 2021 à 916,98 MD fin 2022. Côté consolidé, le déficit s'est aggravé de 45,69% passant de -26,9 MD fin 2021 à -39,19 MD fin 2022, soit une baisse de 12,29 MD. Et cela malgré la hausse des revenus du groupe de 1,38% pour atteindre 993,26 MD fin 2022.
En effet, le DG a expliqué que MG a été largement impactée par la pandémie. Pour conséquence, il y a eu une baisse du chiffre d'affaires de 19% en 2020 à cause du confinement, outre un manque à gagner de 54 MD en 2020 par rapport à 2019 et de 65 MD en 2021 par rapport 2019. Il y a eu aussi 3.000 heures de fermetures magasins en 2021 et une perte de 4% de la fréquentation en 2022 par rapport 2021 à cause du pass vaccinal. En 2022, la situation ne s'est guère améliorée avec la guerre en Ukraine et ses répercussions : forte augmentation des coûts de transport maritime, hausse des prix de matières premières et pénurie en produits de base. Résultat des courses, l'enseigne a estimé que l'inflation alimentaire est passée au cours de la période 2020-2022, de 4,4% en décembre 2020, à 7,6% en décembre 2021 puis à 14,6% en décembre 2022. Elle estime aussi que le TMM a augmenté de 19% entre 2020 et 2022. Le DG a spécifié que la société a déboursé 3,5 MD pour la lutte nationale contre la pandémie. Elle a aussi fait des efforts pour défendre le pouvoir d'achat de ses clients en baissant le prix sur 1.200 articles du quotidien et en lançant une nouvelle gamme de produits de marques de distributeur (MDD) qui lui est propre afin de répondre aux attentes des clients (qualité, prix).
L'enseigne a mis en place un plan de relance 2023-2026 visant à redresser la situation de la société. Elle veut s'ériger en tant que défenseure du pouvoir d'achat, notamment en accélérant le développement de ses marques propres outre le fait de miser sur des cycles courts et des partenariats avec des fournisseurs en matière de fruits et légumes. Autre axe de développement, l'amélioration de l'expérience client en magasin et le développement d'un meilleur programme de fidélité. Côté back-office, la marque mise sur la simplification et la digitalisation de son organisation centrale notamment en motivant ses équipes, en investissant dans des process commerciaux plus agiles via des commandes automatiques pour plus de disponibilité et en professionnalisant leurs centres d'excellence transport & logistique, en se lançant dans des initiatives d'efficacité énergétique (photovoltaïque GTC…). En outre, l'enseigne veut moderniser son parc (rénovation et remodeling) et préparer le retail de demain. Elle envisage l'ouverture de 10.000 m² entre 2023 et 2026 et œuvre sur le déploiement d'une stratégie pour le e-commerce / Omnicanal avec Founa.
En réponse aux interrogations de Business News notamment sur la préservation du pouvoir d'achat en contrepartie d'une situation financière très difficile, Fahd Chaouch a souligné que la grande distribution, dont MG, a été affectée par le Covid-19, contrairement à ce que pense une grande majorité des Tunisiens qui estime que le secteur a tiré profit de la pandémie. « Nous avons été très pénalisés par le Covid-19 (les supermarchés, ndlr). Les frais du fret ont énormément augmenté outre la hausse importante du TMM. (...) Les deux dernières années ont été très difficiles, mais le retail est un cycle de vie. En 2011, nous étions dans une situation aussi chaotique, avec 34 magasins saccagés et des pertes de l'ordre de 50 MD. Un plan s'est mis en place et l'entreprise a pu se redresser jusqu'à l'arrivée de la pandémie en 2020. Il a fallu remettre en cause le modèle économique et s'adapter rapidement par rapport au changement, à cause des changements des consommateurs et des nouveaux entrants dans le marché. Et nous avons travaillé, pendant ces deux dernières années en arrière-plan et en back-office C'est vrai que nous n'avons pas ouvert de nouveaux magasins, mais c'était une décision du conseil d'administration qui visait le désendettement du groupe », a affirmé le DG. Pour sa part, Ahmed Ben Ghazi a assuré que la rentabilité de l'entreprise et l'approche de la défense du pouvoir d'achat des consommateurs sont compatibles : « On n'est pas une ONG, nous sommes une entreprise qui a des objectifs de rentabilité et de pérennité. Mais, le pouvoir d'achat est un point stratégique par rapport au positionnement de l'entreprise qui s'adresse au Tunisien moyen. Il est stratégique pour nous d'adresser correctement les problèmes de pouvoir d'achat qui se posent aujourd'hui. Quand on dit préserver le pouvoir d'achat du citoyen, c'est protéger nos clients et c'est garder nos clients. Et ça c'est vital pour nous ».
L'administrateur Taieb Bayahi a, quant à lui, estimé que le développement de MDD est un point essentiel pour MG qui permettra de lutter contre la hausse des prix tout en maintenant une certaine qualité et un niveau d'approvisionnement correct pour les consommateurs. En effet, l'enseigne a développé deux marques MDD : Koll Youm et J'aime. À travers ces deux marques, MG prend sur elle-même la responsabilité du produit et de sa qualité. Il s'agit d'un engagement sur le prix et la qualité. La société pourra, grâce aux volumes, négocier un meilleur prix et une meilleure qualité. Lorsque les gens auront définitivement adopté ces deux marques Koll Youm et J'aime, cela permettra à la société de réaliser des marges un tout petit peu plus intéressantes que les marques nationales (grâce aux gains sur les coûts de distribution et de communication). Le président du Conseil d'administration a martelé que les équipes de MG sont en train de travailler et que l'enseigne ne se contente pas de subir la conjoncture. Certains chantiers ont été entamés, il y a déjà quelques années. Selon lui, la marque MDD a été au cœur des discussions parce que « c'est quelque chose qui va avoir un effet substantiel sur le chiffre d'affaires et sur la rentabilité de l'entreprise, permettant de faire plus de volume et d'améliorer les marges ». Et d'ajouter : « C'est le projet que nous considérons comme étant un grand succès, parce qu'on a été capable d'abord de le mettre en place et ensuite de monter en puissance. Ce n'est pas évident de nouer des partenariats avec des industriels et de pouvoir offrir un niveau de qualité compatible avec les niveaux de prix que nous souhaitons mettre en place pour faire des décrochages de prix par rapport aux marques habituelles. C'est un projet qui a été mis sur les rails et qui avance d'une manière rapide. Et, il devrait y avoir une augmentation substantielle des produits de la marque propre au cours de 2023-2024 ». D'ailleurs, le DG a spécifié à Business News que l'enseigne possède actuellement 600 produits propres, qui sont faits localement, contrairement à la concurrence qui importe. « C'est vrai qu'on a commencé tard mais nous les avons rattrapés », a-t-il précisé à Business News qui l'a interpellé sur le retard de la mise en place de la marque propre.
Interrogé par Hamadi Latrous sur la disponibilité de certains produits de base, Taieb Bayahi a rétorqué que ça ne dépend pas de l'enseigne mais de l'Office du commerce et des arrivages. « Nous sommes logés à la même enseigne que tout le monde. Votre question est pertinente pour le Tunisien moyen mais la réponse elle n'est pas chez nous, elle est chez ceux qui importent ce type de produits stratégiques dans le pays. On ne fait que subir et transmettre les difficultés qu'a le pays », a-t-il précisé. Interrogé par un autre actionnaire sur la mise en place d'un hypermarché Auchan en Tunisie, le DG a indiqué que le groupe a décidé de temporiser cette implantation, vu la conjoncture. Et de soutenir que les hypermarchés sont confrontés à un nouveau modèle économique.
En réponse à la sollicitation de M. Latrous de distribuer un dividende, le président du conseil a estimé que ce n'était pas opportun, car la société veut réduire son endettement et avoir les fonds nécessaires pour faire les investissements prévus. « La raison et le bon sens font que nous devons garder les fonds pour investir », a-t-il indiqué. D'ailleurs et pour remédier à une partie de ses problèmes financiers, le conseil a décidé de proposer une augmentation de capital d'environ 53 MD outre la vente de certains actifs, l'objectif étant d'alléger au maximum la dette. « Le retail ne supporte pas l'endettement », a affirmé le DG.
Selon le business plan présenté, la société ambitionne que son chiffre d'affaires passe de 916,98 MD fin 2022 à 1,3 milliard de dinars fin 2026, avec un taux de croissance annuel moyen des revenus de l'ordre de 6,9% sur la période 2021-2026. Il prévoit aussi la maîtrise des frais généraux pour se situer à 7,99% en 2025. En outre, MG œuvrera à réduire son endettement et les charges financières liées. L'endettement net passera de 287,87 MD fin 2022 à 143,29 MD fin 2026 alors que les charges financières passeront de 29,81 MD en 2022 à 17,93 MD en 2026. Selon ce BP, le résultat net évoluera d'un déficit de 6,25 MD fin 2023 à un bénéfice de 17,27 MD fin 2026. À cet effet, un budget d'investissement de 114 MD est prévu, dont 82 MD expansion et remodeling et cinq MD d'efficience énergétique. Mieux, MG ambitionne de devenir l'enseigne préférée des Tunisiens d'ici 2026.
Au premier trimestre 2023 et selon les chiffres présentés lors de l'AGO, la mise en place de ce BP est en bonne voie, le chiffre d'affaires HT a augmenté de 9,7% pour atteindre 228,54 MD. Ainsi, les projets de transformation et d'adaptation de l'entreprise, malgré une conjoncture difficile qui va perdurer encore les prochains mois, sont bien entamés. « Le plus important pour nous est de fidéliser notre clientèle et de procéder à une augmentation de volume avec la qualité de produits et de services nécessaires. Le fait que le premier trimestre 2023, soit avec ce niveau de croissance de chiffre d'affaires (+10%), c'est pour nous un excellent indicateur de la capacité de rebond de l'entreprise et du succès de la mise en place de ces projets de transformation. Nous sommes sur cette tendance depuis quelque mois et cette tendance se maintient ce qui prouve que c'est en train de prendre un caractère durable », a indiqué M. Ben Ghazi.
La société Magasin Général a subi de plein fouet les effets de la pandémie et la guerre en Ukraine. Les déficits se sont accumulés, notamment à cause de l'endettement de la société et des charges financières. Pour y remédier, l'entreprise a mis en place tout un plan visant à remettre la société sur pied et qui ambitionne de renouer avec le bénéficie découlant de l'activité récurrente à partir de 2024, avec un résultat net attendu de 2,25 MD.