Triple scandale judicaire cette semaine, comme si on n'en avait pas déjà assez. Un étudiant recalé par un jury lors de la soutenance de son mémoire, est allé déposer une plainte au pénal contre ses membres. Dans un pays normalement constitué, l'étudiant aura été débouté par le parquet, mais dans la justice de Leïla Jaffel, le parquet a donné corps à la plainte et a ordonné à une brigade de la Garde nationale d'instruire l'affaire et de convoquer les universitaires. Une première dans le pays, un vrai scandale. Même pas 24 heures après la médiatisation de l'affaire, le président de la République (qui fait le travail de tout le monde, sauf le sien) s'est emparé de l'affaire et a ordonné son classement immédiat. Il connait bien le sujet, étant universitaire lui-même. Et voilà un deuxième scandale qui vient s'ajouter au premier. Le président de l'exécutif s'immisce publiquement dans une affaire judiciaire, violant (une nouvelle fois) la sacro-sainte règle de séparation des pouvoirs et humiliant (une nouvelle fois) tout le corps judiciaire. Par son immixtion dans un scandale judiciaire, le président de la République corrige une erreur par une erreur encore plus grave. Son objectif est louable, son intention est bonne, il n'y a pas à dire, mais il ne pouvait pas et n'avait pas le droit de s'immiscer dans ce scandale. Pour qu'un pays fonctionne, sa justice doit être indépendante, totalement indépendante. Troisième scandale judiciaire de la semaine, l'arrestation d'Abir Moussi, présidente du parti d'opposition PDL. Accompagnée de ses caméras, la dame s'est présentée au bureau d'ordre de la présidence de la République pour y déposer un recours. Elle a fait son show, comme de coutume, mais cette fois-ci son manège n'est pas resté sans suite. Elle a été arrêtée, mise en garde à vue pendant 48 heures puis traduite devant un juge d'instruction. Ce n'était qu'un manège, ce n'était qu'un show, ce n'était que des gesticulations politiques idiotes, ce n'était que du populisme à deux balles, mais le juge avait une autre opinion. Il a qualifié les faits à sa manière les considérant comme « attentat ayant pour but de changer la forme du gouvernement, incitation des gens à s'armer les uns contre les autres ou à provoquer le désordre, le meurtre ou le pillage sur le territoire tunisien ». La dame risque carrément la peine de mort ! La peine de mort pour avoir fait un show filmé devant la présidence de la République ! Un scandale est le moins que l'on puisse dire.
Voilà donc Abir Moussi en prison. Les islamistes rêvaient de cela depuis des années, Kaïs Saïed l'a fait en quelques secondes. On peut gloser sans fin sur Abir Moussi. Elle est clivante à souhait. Certains l'adulent, plusieurs l'exècrent. Ses opinions politiques, très conservatrices (comme Saïed) et sa détestation des islamistes ont, pendant longtemps, été sa marque de fabrique. En dépit de tout ce que l'on peut penser d'elle, en bien ou en mal, il faut reconnaitre à Abir Moussi son courage et le fait qu'elle ne se laisse pas marcher sur les pieds. Et certainement pas par les islamistes. Elue députée en 2019, elle a été la toute première à s'élever contre le président du parlement Rached Ghannouchi et ses députés qui entendaient dicter leur loi aux 217 députés de l'assemblée. Dès le premier jour, Abir Moussi était attaquée par les islamistes d'Ennahdha et les radicaux d'Al Karama. On se rappellera toujours comment l'islamiste radical Rached Khiari s'est posé devant la caméra de la télévision pour l'empêcher de filmer le speech de Mme Moussi. On ne peut pas oublier la toute première séance de la nouvelle assemblée, comment l'islamiste radical Zied Hachemi gesticulait devant le visage de Abir Moussi lorsqu'on entonnait l'hymne national. On n'oubliera jamais le coup de pied au derrière que lui a assené l'islamiste radical Seïf Eddine Makhlouf et quand elle a été frappée à la tête et au bras par le caméléon Sahbi Smara. Dès son élection en novembre 2019 et jusqu'au putsch en juillet 2021, Abir Moussi était comme cette épine au pied des islamistes. Sous la houlette de leur président Rached Ghannouchi et leur chef de bloc Noureddine Bhiri, les islamistes ont violé des dizaines de fois le règlement intérieur du parlement et les lois du pays. Face à eux, l'opposition était minoritaire et presque impuissante, sauf quelques courageux qui se comptent sur les doigts. On cite notamment Samia Abbou, Hichem Ajbouni, Nabil Hajji et, surtout, Abir Moussi. Ce sont eux qui faisaient éclater les scandales des islamistes, qui expliquaient au peuple leurs manigances et leurs violations, qui les empêchaient de faire ce qu'ils voulaient de l'assemblée. Ce qui distingue Abir Moussi de ses collègues opposants, c'est le show. La politique à l'assemblée, elle en a fait un spectacle. Un mauvais spectacle, soit dit en passant, mais un spectacle quand même. Elle criait, elle gesticulait, elle pleurnichait. Un jour, elle met un casque et un gilet pare-balles, un autre elle se métamorphose en vigile inspectant les couloirs et les caves et un autre elle fait un sit-in dans un bureau. Il y a toujours une caméra derrière ou devant elle pour dévoiler aux Tunisiens les complots ourdis par les islamistes. Ces derniers ne savaient plus quoi faire pour la faire taire. Grâce à ce groupe de députés, les islamistes ont été empêchés, à plusieurs reprises, d'arriver à leurs fins. Ils ne savaient plus quoi faire face à ce groupe de députés et, particulièrement Abir Moussi. Les intimidations et les agressions verbales étaient quotidiennes et on en est arrivé aux agressions physiques à quelques reprises. À un moment, c'est devenu évident, le parlement ne pouvait plus continuer ainsi. Dans tous les pays du monde, il y a des rixes et des dépassements aux parlements, mais dans tous les pays du monde il y a des mécanismes permettant la dissolution des parlements quand ceux-ci dépassent les limites ou ne peuvent plus fonctionner normalement pour l'intérêt du peuple. En Tunisie, les islamistes ont verrouillé la machine, dès 2014, en pondant une constitution qui empêche la dissolution de l'assemblée. Les Tunisiens étaient piégés et devaient donc endurer ce parlement jusqu'en 2024. Un vrai cauchemar. Il fallait une solution et elle était radicale. Kaïs Saïed, décide de s'asseoir sur la constitution, de dépasser ses prérogatives limitées et de geler, puis de dissoudre, le parlement. Par un tour de passe-passe, et une armée aux ordres, il a récolté les dividendes du travail acharné des quelques députés courageux de l'opposition. Sans Abbou, sans Hajji, sans Ajbouni et sans Moussi, Kaïs Saïed n'aurait jamais trouvé d'excuse pour réaliser son putsch du 25 juillet 2021. Ce sont eux qui ont mis à nu les islamistes, ce sont eux qui ont involontairement préparé le terrain à Saïed. Indéniablement Abir Moussi est à la tête de ces députés courageux. Ses méthodes sont contestables, peut-être, mais sans elle (et eux), Rached Ghannouchi serait encore au Bardo en train de violer les lois et Kaïs Saïed s'ennuyant à Carthage avec ses prérogatives limitées. Abir Moussi en prison est non seulement injuste, mais ingrat. Cette dame a beaucoup donné au pays, elle a milité à corps défendant et ne mérite pas la prison à cause d'un show insipide.