Sans surprise, le deuxième tour de la présidentielle française opposera le président sortant Emmanuel Macron à Marine Le Pen. En quoi l'élection française nous regarde ? En rien. Mais on la regarde quand même, comme on regarderait une série passionnante (ou pas) sur Netflix ou un film au cinéma. Pendant des décennies, on rêvait d'avoir ce genre d'élections chez nous. On rêvait d'avoir, nous aussi, des débats contradictoires, des analyses sur les sondages (qui se sont bien trompés), des scandales tirés du tiroir en pleine campagne pour être publiés dans Le Canard enchaîné ou Mediapart, des journalistes et des magistrats qui ne se laissent pas intimider par des ministres et des présidents, etc. Oui, pendant des années, on regardait la présidentielle et on se mettait à rêver d'avoir ça chez nous. Après la révolution de 2011, c'est désormais chose faite. A nous de jouer le jeu et de faire bonne figure avec cette démocratie tombée du ciel.
Mais comment faire de la politique quand on en a été privé pendant des décennies ? Les Tunisiens ne sont pas seuls, loin s'en faut, ils ont des partenaires qui sont là pour leur apprendre ce qu'est la politique. Les Américains d'un côté et Européens les de l'autre. Les premiers ont soutenu les islamistes. Grâce à eux, ils ont troqué leurs vêtements fripés de 2011 par des costumes-cravate à la mode. Ils leur ont appris comment rassembler des masses, comment organiser une conférence de presse, comment collecter des fonds, comment payer des « militants » avec des biftons pour participer aux manifestations (une pratique très courante aux Etats-Unis), comment bananer toute une population. Les Américains n'ont pas lésiné sur les moyens pour faire des anciens terroristes islamistes des gens respectables et éligibles. Ils continueront à les soutenir jusqu'aux élections de 2019. Les seconds, les Européens, ont joué les multicartes, les uns avec les islamistes, les autres avec les fachos et quelques-uns avec les laïcs. Des millions de dinars ont été injectés par tous ces pays, directement et via des ONG, pour soutenir la démocratie naissante en Tunisie. Sans cet argent, sans ce soutien, il n'y aurait pas eu d'Isie et d'IVD, de Bawsala et d'I Watch, de Nawaat et d'Inkyfada. L'argent était là (et il est toujours là), il coulait à flot et avait un objectif bien déterminé. Non pas de soutenir la démocratie, comme ils disent, mais de soutenir des agendas bien particuliers.
Fortement soutenus par les Américains, les islamistes ont pu gagner les élections de 2011, de 2014, de 2018 et de 2019. Eux ne connaissent que le Coran et ses dérivés, les Américains leur ont appris tout le reste. Le résultat est net. Avec ces deux cartes en main, Dieu et les Américains, les islamistes ont toujours pu dominer la scène au détriment des autres acteurs politiques.
Se sentant tout puissant, au lendemain des élections de 2019, le président des islamistes Rached Ghannouchi a exigé, et obtenu, la présidence du parlement. Ses « enfants » ont été scindés en deux grâce à une stratégie arrêtée par les Américains. Les islamistes modérés sont maintenus à Ennahdha (comme s'il existait des islamistes modérés !) et les radicaux ont une nouvelle échoppe dénommée Al Karama. A l'assemblée, ils ont joué la politique du bon et du méchant flic. Ils ont triché, triché et triché. L'opposition balbutiait et il n'y avait que le PDL et Attayar pour contrer bruyamment les fraudes et les violations quotidiennes de la loi. Ils ont eu droit à des agressions verbales quotidiennes et des agressions physiques régulières. Abir Moussi et Samia Abbou ont dû passer par des grèves de la faim pour faire arrêter le cirque islamiste. Sans succès. Dans les années 1980 et 1990, Rached Ghannouchi terrorisait le pays par les armes et l'eau de feu ; dans les années 2010, il le terrorisait par l'appareil de l'Etat. Les islamistes ont beau être poursuivis en justice, tous les dossiers dormaient dans les tiroirs des tribunaux. Sahbi Smara, Seïf Eddine Makhlouf et Néji Jmal ont beau agresser physiquement des députés devant les caméras, ils n'ont jamais été inquiétés par la justice et ils ne le sont toujours pas. Il fallait arrêter ce cirque et c'est le président Kaïs Saïed qui a eu ce courage le 25 juillet dernier.
Mais qu'a-t-il fait depuis ? Rien ! Absolument rien ! L'Etat est en déliquescence, les caisses sont vides, l'inflation bat des records, la police est à sa botte et la justice à ses ordres. Ses hommes et femmes sont soit impuissants et incapables de trouver des solutions concrètes, soit de vrais clowns. Il suffit de voir le gouverneur de Ben Arous pour s'en convaincre. Les Tunisiens applaudissent le président pour le moment, mais ils ne vont pas tarder à ouvrir leurs yeux et comprendre qu'il n'est pas vraiment meilleur que les islamistes. Kaïs Saïed est peut-être intègre et sincère, mais il n'a pas l'étoffe d'un homme d'Etat. Il ne comprend rien à la politique et la communication. Quelqu'un qui prononce un discours à minuit ne peut pas être un bon communicateur. Quelqu'un qui est incapable de maintenir une équipe autour de lui (la majorité de ses conseillers ont démissionné) ne peut pas être un bon politicien et unir un pays. La faute à qui ? À nous tous ! Nous sommes un peuple fainéant, prétentieux, analphabète et ingrat. Mais s'il faut désigner un coupable à tous nos maux, ce serait indéniablement Rached Ghannouchi.
L'islamiste a fait beaucoup de mal au pays. Ce n'est pas Kaïs Saïed qui a mis un terme à l'expérience démocratique tunisienne, c'est Rached Ghannouchi par ses magouilles et ses tricheries. Il n'y aurait jamais eu de coup d'état le 25 juillet, si Rached Ghannouchi n'avait pas triché, n'avait pas utilisé d'argent sale et n'avait pas envoyé ses députés mercenaires pour frapper les opposants au sein même de l'assemblée. Le peuple commence à ouvrir les yeux et il le fait savoir. Le 25 juillet, il a incendié des locaux d'Ennahdha. Hier et avant-hier, il a crié « dégage » devant Rached Ghannouchi venu prier dans des mosquées à des kilomètres de son domicile. Sans tomber dans le complotisme, il n'est pas exclu que ces voyous aient été envoyés par des équipes du régime, déterminé à son tour, de contrer l'opposition par des moyens malsains. Les adeptes du karma se rappelleront volontiers que cette même technique ait été utilisée ces dix dernières années par les islamistes pour terroriser l'opposition et les médias.
On peut critiquer à l'infini Kaïs Saïed (et Business News ne s'en prive pas), le fait est qu'il a raison de chercher à écarter les islamistes de la scène. Rached Ghannouchi doit dégager de la scène politique tunisienne, il lui a causé énormément de préjudice. Il n'est certainement pas responsable de tous nos maux, mais il est coupable d'être à l'origine de plusieurs de ces maux. Si, par miracle, on réussit à retrouver notre démocratie et une vie politique normale, il est impératif que les islamistes en soient exclus et Ghannouchi en premier. Les démocraties occidentales ont bien exclu les néo-nazis, il est de notre devoir d'exclure les tricheurs, les fraudeurs, les agresseurs, les autoproclamés ambassadeurs d'Allah et ceux qui appartiennent à la même mouvance que les terroristes.