A moins de cinq mois de l'élection présidentielle qui se déroulera en principe avant le 23 octobre prochain, on peut affirmer que la prochaine échéance électorale se déroulera dans des conditions qui ne sont pas idéales. Les élections en général, qu'elles soient locales, législatives ou présidentielles, représentent des fondements de base d'un système démocratique. Elles accordent au peuple une occasion périodique de juger ses gouvernants et d'exprimer sa volonté. Elles offrent les conditions d'une compétition équitable entre les différentes visions et les différents projets. Elles garantissent l'alternance pacifique entre les belligérants et évitent le glissement vers la dictature et la centralisation du pouvoir entre les mains d'un seul homme, la réduction du paysage politique à un seul parti politique ou la domination d'une seule vision du monde, une seule idéologie.
C'est dire que les élections ne sont pas une simple formalité technique ou une simple opération logistique. Elles ne sont réussies que si elles atteignent tous leurs objectifs. Pour cela, elles doivent se dérouler dans des conditions idéales. En effet, le contexte dans lequel se déroulent des élections détermine le degré de leur réussite, c'est-à-dire le degré de leur rapprochement des standards démocratiques. C'est précisément au niveau de l'atmosphère générale et du contexte politique dans lequel se déroulera la prochaine élection présidentielle dans le pays que les critiques se focalisent aujourd'hui et que les craintes s'expriment. Le risque étant de voir cette élection prendre l'allure d'un simple simulacre au lieu d'être la fête de la démocratie. Le risque est de voir le président actuel se faire réélire, c'est l'hypothèse la plus plausible du moment, tout en étant un président mal élu. Il serait en effet difficile de parler de conditions de compétition équitables si des femmes et des hommes politiques continuent de croupir en prison. Parmi eux, il y a au moins trois qui ont exprimé d'une manière plus ou moins claire leur volonté de se présenter à la prochaine élection présidentielle. Il s'agit de Abir Moussi, Issam Chebbi et Ghazi Chaouachi. Au second tour de l'élection présidentielle de 2019, le candidat Saied avait annoncé qu'il ne s'adresserait pas aux médias si son concurrent de l'époque ne jouissait pas de sa liberté. Aujourd'hui, beaucoup seront attentifs à son comportement vis-à-vis de ses concurrents après cinq années au pouvoir.
Il serait aussi difficile de parler d'égalité des chances entre les candidats quand, de prime abord, une frange de Tunisiens, dont les parents ou les grands parents sont étrangers, est privée de son droit de postuler à la magistrature suprême. Ceci est incohérent dans un pays où le brassage avec les ethnies et les civilisations de toute part, a été l'un des marqueurs forts de son histoire. Ceci est d'autant plus incompréhensible que celui qui a imposé cette condition sur-mesure de candidature dans sa constitution d'août 2022, est lui même celui qui ne trouve aucun problème, et à raison, à nommer un chef de gouvernement, poste de première importance dans le pays, de mère étrangère. Si elle était appliquée systématiquement, cette logique nationaliste primaire aurait empêché le leader Habib Boourguiba d'être le premier président de la République tunisienne. Elle aurait empêché Nicolas Sarkozy de devenir le président de la République française et Barack Obama, dont la grand-mère n'a jamais quitté son village au fond de la savane africaine, de devenir le président des Etats-Unis.
La question du bulletin N°3 que l'instance dite indépendante pour les élections veut imposer aux candidats est la cerise sur le gâteau, ou plutôt le furoncle sur le nez des prochaines élections. A-t-on idée d'imposer une condition de candidature en 2024 que le tribunal administratif avait déjà récusée en 2014 ? Sachant que ce bulletin est délivré par l'administration et qu'il est délivré uniquement à titre individuel et personnel, il est aisé de penser que cette condition est mise sur-mesure pour disqualifier certains candidats potentiels à la prochaine élection présidentielle.
Non assurément, la prochaine élection présidentielle ne se déroulera pas dans des conditions optimales de concurrence équitable.