Il est légitime de se réjouir de la fin d'un régime dictatorial qui a maintenu son emprise sur la Syrie pendant plus de cinquante ans. Cependant, il est essentiel de reconnaître que les dégâts infligés par ce régime à la société syrienne au fil des décennies ne pourront pas être réparés en quelques années. La Syrie devra dans les prochaines années faire face à des périodes difficiles, et des tentatives de division pourraient émerger. La guerre civile, loin d'être terminée, laisse présager que beaucoup, dans les années à venir, regretteront le régime d'Assad, une réalité que l'histoire a souvent mise en lumière à la chute de dictatures.
Le régime d'Assad a emprunté le même chemin que ceux de Ben Ali, Moubarak, Kadhafi, Ali Abdallah Saleh et Jaafar Numeiri. Il est important de ne pas émettre de jugements hâtifs et de jeter le bébé avec l'eau du bain et de garder à l'esprit qu'à l'échelle d'un pays deux ou trois décennies représentent une période relativement courte.
Les pays arabes, pourtant à proximité de l'Europe, continuent de souffrir de ces régimes oppressifs, où l'expression créative est réprimée, la liberté de penser est prohibée, et où des femmes et des hommes sont emprisonnés sans jugement pour avoir simplement osé prendre la parole ou écrire. Mais ce n'est pas un hasard qu'aucun pays arabe ne soit démocratique. Les régimes arabes se font parfois la guerre, mais en réalité dans les faits ils se soutiennent mutuellement pour maintenir la dictature. Aucun ne permettra au peuple syrien, comme ils l'ont fait ailleurs, de trouver son propre chemin vers la démocratie. D'ailleurs Bachar Al Assad est revenu dans la famille comme si de rien n'était. Oubliés, pardonnés les dizaines milliers de morts, les millions d'exilés. Pour les régimes arabes, l'existence même d'une démocratie dans un pays arabe constitue une menace.
Ma génération, ainsi que celles à venir, ne connaîtront pas la véritable citoyenneté, ni la liberté d'expression, ni le respect des droits fondamentaux. Cependant, depuis le 14 janvier 2011, les murs de la répression commencent à céder. On peut légitimement penser qu'ils laisseront place à des régimes pires qu'eux, à une faillite économique certaine, mais n'est-ce pas le prix à payer pour arriver à bon port ? L'avenir du peuple syrien est incertain, mais un espoir émerge ; il faut y croire et travailler que le printemps arrive. La détermination des jeunes Arabes à revendiquer leur dignité et leurs droits témoigne que le changement est possible, même dans des contextes défavorables.
Toute quête de liberté exige des sacrifices, des erreurs et des injustices. Les cicatrices laissées par la dictature et la guerre, tant économiques, sociales que psychologiques, nécessiteront des années pour guérir. La reconstruction de la Syrie, du Yémen, de la Libye et d'autres pays ne se limitera pas à la réhabilitation des infrastructures, mais exigera également l'établissement de contre-pouvoirs, d'institutions, de corps intermédiaires, d'une société civile active, d'une justice et d'une presse indépendantes.
Les défis économiques seront les plus redoutables. La destruction des infrastructures et l'exode massif de la population qualifiée ont laissé le pays exsangue. Une partie de la communauté internationale, Israël, bloquera à n'en point douter l'émergence de cette nouvelle Syrie. Ils chercheront à diviser la Syrie, comme ils l'ont fait pour le Soudan, l'Irak, la Libye. Les pays frères ne seront là que pour la photo. Chaque pays arabe doit apprendre à ne compter que sur lui-même. La jeunesse arabe a le potentiel d'incarner la résilience et la renaissance, mais cela nécessitera un engagement constant de tous les citoyens, ainsi qu'un soutien indéfectible de la communauté internationale pour bâtir un avenir fondé sur la justice, l'égalité et la paix.