Le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) a publié son rapport sur les mouvements sociaux enregistrés entre janvier et juin 2025. Une forte hausse des protestations au premier semestre 2025 La Tunisie a connu une intensification notable des mobilisations, avec 2.387 protestations recensées contre 1.161 durant la même période en 2024, soit une hausse de 105,6%. La dynamique s'est maintenue sur les deux trimestres, avec 1.132 actions durant les trois premiers mois et 1.254 entre avril et juin. Les mois les plus actifs ont été janvier (483), mai (451), février (432), avril (422) et juin (379), tandis que mars a marqué une relative accalmie (217). La majorité des mobilisations a été motivée par des revendications professionnelles, syndicales et sociales : régularisation des contrats, recrutement, licenciements, salaires impayés et précarité, notamment dans l'enseignement et la santé. Les fonctionnaires, enseignants, ouvriers et agents publics ont représenté la moitié des mouvements. Les étudiants, militants, journalistes, chômeurs et détenus ont initié un quart des protestations, aux côtés d'autres groupes comme les agriculteurs, commerçants, chauffeurs, élèves, parents, migrants ou encore supporters sportifs.
Tunis en tête des régions mobilisées Tunis a concentré près de 25% des actions recensées, suivie par Kairouan (161), Tozeur (147), Gafsa (138), Sidi Bouzid (107), Nabeul (102), Tataouine (92), Kasserine (89) et Sousse (84). À l'inverse, Le Kef (34), Ariana (32) et Zaghouan (26) ont été les gouvernorats les moins mobilisés. Les formes d'action les plus fréquentes ont été les sit-in (611), les grèves (383), les journées d'occupation (351), les grèves de la faim (140), les blocages d'activités (119) et les marches (86, dont seize vers la capitale). On a également observé des protestations sous forme de port de brassards rouges, de boycott d'examens, d'actions artistiques, de jets de pierres, de fermetures de sites et d'incendies de pneus. Plus de 90% de ces mouvements ont été dirigés vers les institutions officielles (Présidence, gouvernement, ministères, autorités locales), le reste ayant ciblé le pouvoir judiciaire, la police ou les employeurs.
Un indicateur alarmant : les suicides et tentatives de suicide Le FTDES a aussi recensé 65 cas de suicide ou de tentative de suicide, majoritairement chez les jeunes et les adultes actifs (70%), dont 49 hommes, seize femmes, 17 enfants et trois personnes âgées. Les cas ont été les plus nombreux à Kairouan (quatorze), suivie de Nabeul (neuf), Tunis (huit), Bizerte (sept), Sidi Bouzid (cinq), Kasserine, Gafsa et Kébili (trois chacune). Les lieux les plus concernés ont été les domiciles, suivis de l'espace public (devant postes de police, tribunaux, établissements scolaires ou agricoles). Les méthodes utilisées ont été la pendaison, l'immolation et l'ingestion de produits toxiques ou de médicaments.
Violences multiples dans un contexte de tensions sociales Le rapport a également mis en lumière une aggravation des violences sous toutes leurs formes : individuelles, collectives, institutionnelles ou symboliques. Le contexte économique et social difficile (pauvreté, chômage, inflation) et l'impunité ont nourri cette tendance. La majorité des actes violents ont été commis par des hommes, souvent dans un but d'intimidation ou de représailles, visant en particulier les femmes et les enfants. Les cas incluent des agressions physiques, des violences policières lors de protestations, des violences scolaires et des crimes (meurtres, viols, braquages). Le Forum a aussi relevé l'essor des violences numériques et l'utilisation, parfois, du discours politique officiel comme vecteur de banalisation de la violence.
Un discours politique figé et une justice sous pression Sur le plan politique, le FTDES a souligné la persistance du même discours officiel depuis 2021, basé sur la souveraineté populaire, la lutte contre la corruption et la dénonciation de complots. Les autorités ont continué à cibler des opposants à travers la justice, comme dans le cadre de l'affaire dite du complot, jugée à huis clos le 18 avril, dans des conditions qualifiées d'inéquitables par plusieurs ONG. Dans le même temps, le président Kaïs Saïed a insisté sur la redistribution équitable des richesses et la lutte contre les inégalités, sans que cela ne soit accompagné de politiques concrètes. Le FTDES a pointé la dégradation continue des services publics (santé, éducation, transports, infrastructures) et l'inégalité d'accès entre régions et catégories sociales.
Enfin, le rapport a souligné la vigueur de la mobilisation tunisienne en faveur de la Palestine. De nombreuses actions de soutien ont été menées pour dénoncer les crimes de guerre en cours à Gaza et en Cisjordanie. La caravane de solidarité partie de Tunis le 9 juin a rassemblé un soutien populaire massif, même si elle n'a pas pu franchir la frontière libyenne pour atteindre Gaza. Face à l'ensemble de ces constats, le FTDES a renouvelé son appel à des réformes structurelles : adoption de politiques publiques basées sur la prévention, renforcement de l'éducation à la citoyenneté et à la non-violence, amélioration des mécanismes d'alerte précoce, réforme du système judiciaire et sécuritaire, et appui renforcé à la société civile.