Episode 1 – L'UGTT manifeste, Kaïs Saïed se balade Jeudi, l'UGTT a renoué avec ses vieilles habitudes : drapeaux rouges, slogans hostiles et promesse d'indépendance syndicale clamée haut et fort. Plus de 3 500 manifestants ont défilé de la place Mohamed Ali à l'avenue Habib Bourguiba, le cœur battant de Tunis, pour dénoncer « l'injustice » et la « répression » d'un régime qui, décidément, ne perd pas son flair pour s'attirer la colère du syndicat. Bref, un remake des grandes heures syndicales, mais en version réduite : la foule d'hier était moins compacte qu'aux jours de gloire, et les slogans, bien que vigoureux, sonnaient parfois comme un écho fatigué d'un disque qu'on a déjà trop entendu. Et pendant que les syndicalistes occupaient la rue, Kaïs Saïed s'est offert… une promenade. Une longue, très longue promenade. Commencée le matin, achevée vers 20 heures, elle avait tout du marathon pédestre, mais version présidentielle. Le communiqué de la présidence, tombé après minuit comme une confession tardive, a détaillé l'itinéraire : Centre national pédagogique, Souk El Asr, Mellassine, hôpital de la Rabta, Bab El Assel, place Pasteur… Un pèlerinage urbain à travers Tunis, avec une étape devant le ministère de l'Enseignement supérieur, pile là où campaient les docteurs chômeurs. Ceux-là mêmes qui ont mis fin à leur sit-in hier. Mais patience, on en reparlera dans l'épisode suivant. Que faut-il comprendre de cette curieuse concomitance ? Alors que l'UGTT hurlait son indépendance, le président, lui, foulait le pavé, visiblement décidé à montrer que la rue ne lui appartient pas moins qu'à eux. Sauf que son message reste aussi flou qu'une circulaire ministérielle. Si c'était pour prouver qu'il est encore populaire, il a raté le coche : aucune couverture immédiate, juste des fuites de passants intrigués. Si c'était pour occuper l'espace médiatique, encore manqué : l'annonce est arrivée après minuit, quand même les insomniaques avaient éteint la télé. Reste alors l'hypothèse la plus vraisemblable : que le président se balade, tout simplement, sans autre objectif que de marcher et de montrer qu'il est là. Une manif contre une balade : c'est peut-être ça, finalement, la nouvelle grammaire politique tunisienne. L'UGTT crie, Kaïs Saïed marche. Deux manières de dire la même chose : « La rue est à moi ». Conclusion : pendant que l'UGTT scandait, Kaïs Saïed comptait ses pas. Et le peuple, lui, compte les jours.
Episode 2 – Les docteurs de la rue Ils ont campé des semaines devant le ministère de l'Enseignement supérieur. Tentes, banderoles et diplômes encadrés comme trophées sans employeur. Les docteurs chômeurs, une armée de 7.000 diplômés, souvent vacataires, parfois en errance professionnelle depuis dix ans. Le président est même venu leur rendre visite, geste symbolique qui a coïncidé, comme par enchantement, avec la fin de leur sit-in. Preuve que la parole présidentielle reste, pour certains, un somnifère efficace. Business News, il y a quelques semaines, l'avait écrit noir sur blanc : ils ont tout étudié, sauf comment trouver un job. Leur revendication phare ? Le recrutement direct dans l'enseignement supérieur, sans concours. Une demande qui n'est pas seulement déconnectée des réalités sociales, mais carrément anticonstitutionnelle. La loi de la fonction publique, l'une des plus verrouillées du pays, ne permet pas de tels passe-droits. Mais à force de diplômes accumulés, on dirait que certains ont fini par confondre mérite académique et droit divin. Le comique de situation atteint des sommets quand on regarde leur rapport aux médias. Les docteurs, victimes autoproclamées d'un système injuste, filtrent les journalistes comme des videurs de boîte de nuit. Si tu viens d'Al Jazeera ou d'Al Arabiya, circule, pas d'interview. On ne parle qu'aux « bons médias », comprendre : ceux qui ne critiquent pas Kaïs Saïed. En d'autres termes, ces docteurs qui dénoncent l'injustice pratiquent une censure en miniature, convaincus qu'en jouant au petit soldat du régime, ils seront repêchés. La vérité, crue et impolie, est que ces docteurs veulent le beurre, l'argent du beurre et la chaire universitaire en bonus. Recrutés sans concours, promus sans compétition, intégrés dans un système qui croule déjà sous les passe-droits. Et c'est peut-être ça, la tragédie : quand ceux qui devraient incarner l'excellence académique choisissent de faire de la politique de trottoir pour décrocher un bureau climatisé. Conclusion : Hier, les docteurs pliaient leurs tentes ; demain, ils rêvent de déplier leurs CV sur le bureau du président. Mais pour l'instant, la seule chaire qu'ils occupent, c'est celle des cafés de Bab El Assel.
Episode 3 – Quand l'Europe attend son bulletin chez le proviseur Trump Il y a des photos qui disent plus que mille communiqués. Celle prise lundi dernier à la Maison Blanche en est une : Donald Trump trônant derrière son bureau, face à une brochette de présidents européens sagement assis, comme des élèves convoqués par le proviseur. Normalement, entre homologues, on s'installe autour d'une table, on discute d'égal à égal. Mais avec Trump, le décor devient message : lui, assis derrière le bureau du pouvoir ; eux, disciplinés, presque intimidés, attendant le verdict. C'est surréaliste, mais pas innocent. Derrière la mise en scène, il y a un mégalomane qui sait manier l'humiliation comme instrument diplomatique. Après avoir imposé aux Européens des droits de douane à 15 % (contre 4,8 % auparavant), voilà qu'il leur impose désormais la posture. Littéralement. Et comme si cela ne suffisait pas, il leur sert son nouveau mantra : l'Ukraine doit accepter sa défaite face à la Russie. Traduction : l'Europe doit avaler la couleuvre de sa propre défaite. Les visages en disent long. Macron crispé, Von der Leyen figée, Zelensky à moitié englouti dans le fauteuil… On croirait une séance de psychanalyse collective. Et pendant que l'oncle Sam déroule son monologue, ses alliés supposés encaissent. Parce qu'ils n'ont pas d'autre choix, diront les réalistes. Parce qu'ils ne savent pas dire non, murmureront les cyniques. Mais ce cliché restera dans les annales : l'Europe en rang d'oignons devant un président américain qui ne cherche même plus à feindre la courtoisie protocolaire. Trump ne reçoit pas, il convoque. Il ne discute pas, il sermonne. Et l'Europe, elle, continue de jouer le rôle du partenaire fidèle, même quand elle est traitée comme un subalterne. Et c'est peut-être ça, la véritable tragédie de la relation transatlantique : croire que l'alliance repose sur le respect mutuel, alors qu'elle se résume, bien souvent, à un bureau d'un côté et des chaises de l'autre. Conclusion : Lundi, à Washington, l'Europe n'a pas négocié. Elle a attendu son bulletin, et Trump, en proviseur goguenard, a mis un zéro en conduite.
Episode 4 – Le fraudeur en chef Dans l'épisode précédent, on avait Trump en proviseur humiliant ses élèves européens. Restons dans le registre : il occupe tellement l'actualité estivale qu'on dirait une série Netflix en plusieurs saisons. Et voici un nouvel épisode : Donald Trump, fraudeur certifié, mais triomphant quand même. Jeudi, la justice new-yorkaise a annulé l'amende record de 464 millions de dollars infligée à Trump pour fraudes. Victoire, claironne son clan. Champagne, claironnent ses fils. Le problème ? L'amende est annulée, mais la condamnation, elle, reste. Noir sur blanc, noir sur jugement : Trump et ses rejetons sont bel et bien coupables de fraudes. L'homme le plus puissant de la planète, chef du monde dit « libre », est donc un fraudeur avéré. Point final. Mais dans l'Amérique trumpienne ce qui devrait être une honte devient une médaille. Au lieu de raser les murs, l'ex-magnat de l'immobilier se pavane en chef d'Etat. Au lieu de baisser la tête, il lève le poing. Jadis, un fraudeur se cachait, fuyant les regards, frappé de déshonneur. Aujourd'hui, il gouverne depuis le Bureau ovale et insulte ceux qui l'ont épinglé. Voilà notre époque : la médiocratie triomphante, où la culpabilité se maquille en victoire et où le mensonge devient un programme politique. Pendant son procès, Trump avait transformé la salle d'audience en tribune électorale. Insultes contre les juges, menaces à peine voilées, show permanent. Le tribunal ? Un décor. La fraude ? Un détail. La vérité ? Une option. Et les médias, malgré eux, en ont fait une caisse de résonance mondiale. Et c'est peut-être ça, le plus grand renversement de valeurs de notre temps : la condamnation n'est plus une tache, c'est une arme électorale. L'éthique n'est plus une exigence, c'est un fardeau. La honte n'existe plus, remplacée par le culot. Conclusion : Finalement, la fraude est devenue la nouvelle valeur refuge. Et l'Amérique vient de l'élire président. Le pire, c'est que ça passe crème.
Episode 5 – Le croque-mort du « woke » On pensait en avoir fini avec Trump après l'épisode précédent. Raté. Car l'homme occupe l'actualité comme une série sans fin, et voilà qu'il nous offre un nouveau chapitre : après les Européens humiliés et la fraude glorifiée, place désormais à la guerre contre les musées. L'image publiée cette semaine par la Maison Blanche est un chef-d'œuvre de propagande : un aigle américain menaçant surplombe une pierre tombale gravée « WOKE is DEAD ». Comme si l'on annonçait la disparition d'un fléau, sauf qu'ici le fléau, c'est la mémoire.
Car derrière le slogan, il y a un projet : effacer tout ce qui rappelle que l'Amérique a eu des heures sombres. L'esclavage ? Trop négatif. Les discriminations ? Décourageantes. Les injustices ? Inutiles. Place à la version Disneyland de l'Histoire, où l'Amérique n'a connu que la gloire, la lumière et les gratte-ciel. Trump ne veut pas seulement écrire l'avenir, il veut réécrire le passé. Et quand le président des Etats-Unis proclame que « woke is dead », il faut comprendre : les pages noires de l'Histoire seront désormais arrachées. C'est grotesque, mais redoutablement efficace. Parce que cette croisade contre le « woke » n'est pas qu'un caprice idéologique, c'est une stratégie. Elle flatte les rancunes, excite les nostalgies et offre aux foules une Amérique lavée de ses fautes. Une Amérique qui n'a jamais commis de crimes, qui n'a jamais exploité, qui n'a jamais discriminé. Une Amérique parfaite, comme son président autoproclamé. Le plus absurde, c'est que cette guerre culturelle ne vise plus seulement les universités « contaminées » ni les immigrés « indésirables », mais aussi les musées. Comme si une toile de Basquiat ou une archive sur les droits civiques était une menace pour la sécurité nationale. Et c'est peut-être ça, la nouvelle frontière du trumpisme : la mise au pas de la mémoire elle-même. Conclusion : Hier, les dictateurs brûlaient des livres. Aujourd'hui, Trump enterre des mots. Et demain, qui sait ? Peut-être qu'il finira par graver sur toutes les pierres tombales du monde : "Truth is Dead".