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Crise des médicaments : des vies perdues, des solutions ignorées
Publié dans Business News le 26 - 08 - 2025

Deux jeunes malades du cancer morts faute de médicaments, un ministre qui parle de « rationalisation » des soins, une Pharmacie centrale étranglée par les dettes et un gouvernement qui préfère limoger ses lanceurs d'alerte plutôt que d'affronter la crise. La pénurie de médicaments n'est pourtant pas une fatalité, des solutions existent, mais l'Etat s'obstine à ne pas les appliquer.

Le 23 août 2025, Houssein Aboudi, jeune ingénieur fraîchement diplômé, est décédé faute d'avoir pu obtenir son traitement contre le cancer. La Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) avait rejeté sa demande, traîné pendant six mois, puis fini par donner un accord partiel, trop tard et incomplet. Moins de 24 heures plus tôt, un autre jeune, Houssem Harbaoui, avait connu le même sort. Il avait confié, quelques jours avant sa mort, être resté plus de deux mois sans traitement.
Deux vies perdues en deux jours. Le drame a bouleversé l'opinion et mis le feu aux réseaux sociaux. En réaction, le ministre de la Santé, Mustapha Ferjani, a annoncé un plan pour « rationaliser » les médicaments. Le mot a déclenché une tempête : comment comprendre cette rationalisation, sinon comme une sélection des malades qui auront accès aux traitements et ceux qui devront attendre, voire mourir ? Certains partisans du pouvoir ont osé théoriser l'idée qu'il vaudrait mieux réserver les soins aux patients ayant une chance de guérison et laisser les vieux incurables… De quoi déclencher une autre polémique et tout un débat sur… l'euthanasie.

Une crise ancienne
La pénurie actuelle et le décès des deux jeunes cancéreux n'a rien de conjoncturel. Elle plonge ses racines dans une gestion défaillante depuis près d'une décennie. Dans une remarquable publication sur Facebook, le journaliste Fatine Hafsia a retracé les grandes étapes.
Dès 2015, les premiers signes de rupture étaient visibles dans les officines, mais le gouvernement choisit de faire la sourde oreille. Quelques années plus tard, en 2018, le ministre de la Santé d'alors finit par admettre l'existence d'une crise, promettant de renflouer la Pharmacie centrale pour rassurer les laboratoires. Rien n'y fit.
À partir de 2021, le mal devient criant : insuline, traitements de chimiothérapie, médicaments vitaux disparaissent des rayons. Les pharmaciens parlent alors de centaines de références manquantes, jusqu'à 690 produits recensés en 2022. L'année 2023 est qualifiée par la profession comme la pire de son histoire.
En 2024, la vérité éclate enfin au grand jour : le directeur général de la Pharmacie centrale reconnaît publiquement une dette dépassant 600 millions de dinars envers les laboratoires internationaux et des retards de paiement qui atteignent treize mois. La Tunisie, marché jugé non rentable, perd la confiance de ses fournisseurs. Et quand, à l'été 2025, le ministre de la Santé évoque à son tour la nécessité de « rationaliser » les médicaments, les Tunisiens comprennent qu'il ne s'agit plus de quelques pénuries passagères, mais d'un système à bout de souffle.

L'étranglement financier
Le cœur du problème est là : une Pharmacie centrale étranglée. Entre 2021 et 2024, le coût d'achat des médicaments est passé de trente à 300 millions de dinars. Seize molécules absorbent à elles seules 250 millions. Les importations représentent 180 millions.
Mais la Pharmacie centrale n'encaisse pas ce qu'on lui doit. Les impayés atteignent 1,26 milliard de dinars : 504 millions dus par les hôpitaux, 658 millions par la Cnam. Incapable de suivre, elle paie ses fournisseurs étrangers avec douze à treize mois de retard. Conséquence : les laboratoires internationaux se désengagent, ferment le robinet et redirigent leurs investissements vers d'autres marchés, notamment le Maroc.
En novembre 2024, son PDG, Mahdi Dridi, tirait la sonnette d'alarme : sans réformes profondes (suppression de certaines subventions, optimisation dans les hôpitaux), la Pharmacie centrale ne pourrait plus importer. Quelques jours plus tard, il était limogé et ce quatorze mois après sa nomination. Son successeur, Chokri Hamouda, s'empresse de rassurer, mais la crise s'aggrave. Le message est clair : l'Etat préfère sacrifier un dirigeant qui dit la vérité plutôt que d'admettre son incapacité.

Des solutions connues
Si l'Etat semble condamné à répéter les mêmes erreurs, certains experts ont pourtant proposé des pistes sérieuses. Dans une tribune d'opinion publiée en juin 2023 dans le journal Le Maghreb, le professeur Abdelmajid Msellmi rappelait que le blocage n'est pas une fatalité. Chirurgien et universitaire respecté, il plaidait déjà pour une réforme courageuse : mettre fin au monopole de la Pharmacie centrale, ouvrir l'importation au secteur privé et limiter le rôle de l'Etat à ce qu'il sait – ou devrait savoir – faire, à savoir délivrer les autorisations de mise sur le marché et assurer le contrôle.
À côté de cette réforme structurelle, d'autres pratiques pourraient, à elles seules, réduire considérablement les pertes et soulager un système à bout de souffle. La vente à l'unité, par exemple, est la règle en Amérique du Nord. Concrètement, le médecin prescrit une durée de traitement précise et le pharmacien délivre exactement le nombre de comprimés ou de gélules nécessaires. Rien de plus. Aux Etats-Unis comme au Canada, chaque patient repart ainsi avec un flacon personnalisé portant son nom et la posologie. Résultat : pas de boîtes entamées qui traînent dans les armoires, pas de restes qu'on oublie ou qu'on jette. En Tunisie, comme en Europe continentale, les prescriptions ignorent la contenance des boîtes. Le médecin ordonne un traitement de dix jours, mais la boîte en contient trente. Le malade paie plus que nécessaire, garde le surplus et, tôt ou tard, l'abandonne. Ce gaspillage pèse à la fois sur le budget des patients et sur celui de l'Etat, qui rembourse des médicaments jamais consommés.
Autre mesure de bon sens : la récupération des médicaments non utilisés. Dans plusieurs pays européens, des campagnes nationales incitent les citoyens à rapporter à la pharmacie leurs boîtes entamées ou restes de traitements. Ces produits, selon leur nature et leur état, sont recyclés ou détruits dans des circuits sécurisés. En France, l'association Cyclamed collecte chaque année des centaines de tonnes de médicaments inutilisés, réduisant le risque de trafic parallèle et d'automédication dangereuse. En Tunisie, cette pratique est tout simplement interdite. Les restes s'accumulent dans les foyers, finissent dans les poubelles ou alimentent des circuits parallèles.
Enfin, la composition même des boîtes pose problème. Certains laboratoires imposent sur le marché des conditionnements largement supérieurs à la durée moyenne de traitement prescrite. Des boîtes de soixante gélules sont vendues là où les médecins recommandent rarement plus de vingt. Ce décalage, qui arrange les laboratoires, alourdit inutilement les dépenses et amplifie le gaspillage.
Ces solutions ne relèvent pas de la science-fiction. Elles existent, elles sont appliquées ailleurs, elles sont efficaces. Mais en Tunisie, on préfère se réfugier derrière le mot « rationalisation » pour masquer une absence de courage politique.

Les génériques, un combat entravé
Mais même lorsque les solutions existent et qu'elles semblent aller de soi, encore faut-il avoir la volonté de les appliquer. L'exemple le plus frappant est celui des médicaments génériques. Le ministre de la Santé les brandit comme une alternative crédible et moins coûteuse. Sur le papier, l'argument est imparable : les génériques possèdent la même molécule active que les princeps (médicament original, celui qui a été développé et mis sur le marché par un laboratoire après des années de recherche et de brevets), la même efficacité thérapeutique et un prix bien inférieur. Ils pourraient représenter une véritable bouffée d'oxygène pour les patients comme pour la Cnam.
Dans la réalité, la bataille est faussée. Les grands laboratoires pharmaceutiques, menacés par la généralisation des génériques, ont affûté leurs armes depuis longtemps. Leurs pratiques relèvent moins du pot-de-vin direct que d'une corruption douce et sophistiquée : invitations régulières à des congrès aux quatre coins du monde, séminaires « scientifiques » organisés dans des destinations paradisiaques d'Asie du Sud-Est et d'Amérique latine, billets d'avion et hôtels cinq étoiles pris en charge. Le tout, évidemment, sous couvert de formation continue ou d'échanges scientifiques.
Le résultat est connu : le médecin tunisien, spécialiste en particulier, revient de ces voyages les poches pleines de brochures et le carnet d'ordonnances orienté vers le laboratoire « généreux » qui le chouchoute, qu'il produise du princeps ou du générique. Le patient paie plus cher, l'Etat rembourse plus, les laboratoires se frottent les mains.
Ce lobbying monstre, parfaitement rodé, a fait ses preuves ailleurs. En Europe, il a fallu des années de scandales et de régulations pour encadrer strictement ces pratiques et imposer la prescription en DCI (dénomination commune internationale). En Tunisie, rien de tel. Les autorités ferment les yeux, les laboratoires redoublent de zèle, et les génériques, pourtant produits localement et à moindre coût, peinent à s'imposer.
En théorie, les génériques représentent une voie royale pour maîtriser la dépense publique et élargir l'accès aux soins. En pratique, ils restent marginalisés par un système médical sous l'influence des laboratoires pharmaceutiques (tunisiens et étrangers), devenus experts dans le marketing moderne orienté prioritairement vers le profit.

Le paradoxe tunisien
Cette bataille biaisée autour des génériques illustre un paradoxe encore plus profond. Car la Tunisie n'est pas démunie : elle fabrique déjà 70 % de ses médicaments. Ce tissu industriel local est reconnu, contrôlé, fiable et bien moins cher que les produits importés. En théorie, cela devrait constituer un atout stratégique pour affronter la crise. En pratique, la situation reste absurde.
Les 30 % restants, ceux qui concernent les molécules les plus chères et les plus vitales, sont importés par la seule Pharmacie centrale. C'est là que tout se bloque. Le monopole concentre les risques : retards de paiement, perte de crédibilité vis-à-vis des laboratoires étrangers, raréfaction des importations. Résultat, des traitements essentiels disparaissent des étagères alors même que le pays dispose d'une production locale solide.
Ce contraste entre un potentiel industriel bien implanté et une dépendance institutionnelle paralysante en dit long. Au lieu d'appuyer sur ses forces et de libérer les circuits, l'Etat choisit d'enfermer le marché dans un monopole défaillant. Ce paradoxe se résume en une phrase : nous avons les moyens de soigner, mais nous nous organisons pour ne pas y parvenir.
La pénurie de médicaments n'est ni une fatalité ni un phénomène conjoncturel. Elle est le produit d'un système verrouillé, d'une gestion calamiteuse et d'un refus obstiné d'appliquer les solutions disponibles. Les propositions existent, elles sont connues et éprouvées ailleurs : ouvrir l'importation au privé, encourager les génériques, instaurer la vente à l'unité, récupérer les médicaments inutilisés. Mais l'Etat préfère s'accrocher à un monopole stérile, sacrifier ses dirigeants lucides et se réfugier derrière un mot, « rationalisation », qui sonne comme une sentence de mort pour les plus fragiles.
Deux jeunes atteints du cancer sont morts cet été faute de soins. Combien d'autres devront suivre pour que le pouvoir accepte enfin de regarder la vérité en face ?
Deux jeunes sont morts cet été. Combien faudra-t-il de victimes pour que l'Etat accepte enfin d'agir ?


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