Dans un récent article, Business News [Investisseurs japonais : la Tunisie freinée par ses retards et ses blocages] a mis en lumière les principaux points soulevés par l'ambassadeur du Japon en Tunisie lors de sa rencontre avec la presse, le lundi 8 septembre 2025, à propos de la neuvième édition de la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l'Afrique (TICAD 9). L'ambassadeur a rappelé que la cheffe du gouvernement, Sarra Zaâfrani Zenzri, avait présenté un certain nombre de grands projets et proposé l'organisation d'une conférence tuniso-japonaise sur l'économie et l'investissement. Cependant, il a tenu à préciser que, « préalablement à l'organisation d'un forum, certaines conditions doivent être garanties pour les investisseurs japonais ». Il a ainsi évoqué la nécessité d'améliorer le climat des affaires ainsi que les infrastructures routières et ferroviaires. Ces remarques ne sont pas nouvelles : elles ont été maintes fois répétées aussi bien par les investisseurs tunisiens qu'étrangers. L'absence de consultations avec le FMI, un signal négatif Ce qui peut sembler plus surprenant venant d'un diplomate est sa remarque selon laquelle « le retard de 39 mois dans la tenue de la consultation au titre de l'article IV – le mécanisme annuel de surveillance économique et financière du Fonds monétaire international (FMI) – constitue un autre facteur de blocage régulièrement souligné par les investisseurs japonais ». Sa remarque ne devrait en réalité surprendre personne. Comme nous l'avions averti à plusieurs reprises depuis 2023 [La Tunisie sur une liste négative du FMI], l'inclusion de la Tunisie par le FMI sur une liste négative représente un développement préoccupant. Les pays donateurs, qui avaient pourtant manifesté une certaine flexibilité pour soutenir la Tunisie même en dehors d'un programme avec le Fonds, conditionnent leur soutien à une reprise des relations avec l'institution, notamment par la tenue des consultations prévues au titre de l'article IV. Malheureusement, les autorités n'ont pas pris ces risques au sérieux et continuent d'invoquer, avec une certaine fierté, la préservation de la souveraineté nationale face aux prétendus diktats du FMI. Ce que les responsables semblent ignorer, c'est que, contrairement aux programmes d'ajustement ou de financement — auxquels la Tunisie reste libre de souscrire ou non —, les missions annuelles de surveillance au titre de l'article IV constituent une obligation statutaire pour tous les pays membres du Fonds. Entre autosatisfaction et opacité budgétaire Je suis convaincu que si l'ambassadeur a pris soin de rappeler cette conditionnalité lors de son point de presse, c'est sans doute parce que les autorités et investisseurs japonais l'avaient déjà signalée à la cheffe du gouvernement. La vraie question est de savoir si cette remarque a ensuite été transmise au président Kaïs Saïed. Probablement non, si l'on se réfère à la déclaration de la Présidence à la suite de l'entrevue du 8 septembre 2025 avec la ministre des Finances et le gouverneur de la BCT. Dans cette déclaration, le chef de l'Etat a souligné que la politique de compter sur soi, loin de toute ingérence extérieure, a permis de contenir le taux d'inflation à 5,2 %, d'atteindre un taux de croissance supérieur à 3 % au cours des trois derniers mois, tout en garantissant la stabilité du taux de change et en portant les réserves de devises à l'équivalent de 109 jours d'importations. Ces indicateurs sont encourageants et positifs, mais reflètent-ils vraiment les aspirations de la Tunisie et de sa jeunesse ? Ce qui est plus inquiétant, c'est que les autorités elles-mêmes semblent sombrer dans l'autosatisfaction et ignorent que les investisseurs se basent sur des statistiques macroéconomiques détaillées et des objectifs réalistes, reflétant un programme de réformes structurelles ambitieux et courageux. La cheffe du gouvernement a présidé, au cours des derniers mois, une série de conseils des ministres consacrés au projet de budget pour 2026 et au Plan 2026-2030. Hormis des références à des objectifs qualitatifs, à l'importance du rôle social de l'Etat et à la nécessité de préserver la souveraineté nationale, aucune donnée chiffrée n'a été communiquée sur le cadre macroéconomique, les objectifs pour 2026 et les réformes sous-jacentes. Même constat pour l'avenir économique de la Tunisie : rien n'a filtré sur les grandes orientations ni sur les équilibres financiers du Plan. Le tout se déroule dans un climat de manque de transparence vis-à-vis des contribuables, des investisseurs et même de l'ARP, en violation de la loi organique du budget n°15 du 13 février 2019. Les consultations du FMI, un outil indispensable C'est dans ce contexte que les consultations annuelles avec le FMI prennent toute leur importance. Elles offrent, entre autres, aux Tunisiens en général et aux investisseurs en particulier une évaluation impartiale et de haut niveau de la situation économique et financière du pays et de ses perspectives à moyen terme. Les rapports du FMI sur la Tunisie ont toujours constitué une source respectée d'informations et d'analyses. Ce n'est malheureusement plus le cas depuis 2021. L'ambassadeur du Japon a observé que le gel des relations avec le FMI constitue un facteur de blocage régulièrement souligné par les investisseurs japonais. Ils ne sont pas les seuls, et les autorités tunisiennes semblent se satisfaire de ce constat, confiantes dans leur capacité à répondre aux aspirations des Tunisiens sans soutien extérieur. Bon courage !