Ils sont des intermédiaires immobiliers reconnus, des épiciers du coin qui se transforment en "chasseurs de bonnes occasions", de jeunes étudiants convertis en rabatteurs par des agences immobilières agréées De l'autre côté de la barricade, des propriétaires délaissent leur propre chambre à coucher au profit d'un touriste algérien ou encore d'un émigré tunisien fortuné pour habiter dans un garage ou un studio dans le jardin, le temps que son hôte-client vive ses vacances ! Une florissante industrie se développe autour de la location de maisons dans les villes côtières tunisiennes avec la montée du mercure. Reportage. Il s'appelle Mohamed, il est ouvrier, père de deux enfants et réside à Kélibia. En dépit de son salaire très moyen, Mohamed a réussi à construire une belle villa, assez luxueuse à l'intérieur. Pour y arriver, les économies de plusieurs années de dure labeur, sa femme et lui, mais aussi au système D, bien propre au Tunisien. Une fois la villa devenue habitable, Mohamed n'hésite plus à quitter sa nouvelle demeure, sa chambre à coucher, son salon et ses différents meubles et équipements pour les louer à la semaine, à la quinzaine ou au mois. A 60 dinars la nuitée, il réussit à la fin de l'été à réunir quelque 3500-4000 dinars qu'il réinjecte dans la maison pour achever la peinture, la clôture, la faïence de la cuisine, etc. Comme lui, ils sont des centaines à faire de même chaque année en louant leur demeure à des Tunisiens (notamment du côté du Cap-Bon) ou des Algériens, Libyens et Tunisiens à l'étranger (notamment du côté des zones touristiques du Nord au Sud du pays). Avec ses étroites ruelles pavées, ses façades typiques et ses hôtels souvent bien cachés, le centre-ville de Nabeul reste très prisé par les estivants de tous bords. Les hôtels étant souvent l'apanage des touristes européens qui réservent des mois à l'avance et confient leurs vacances à des professionnels, il ne reste plus aux autochtones et à leurs hôtes algériens et libyens que de jeter leur dévolu sur la location de maisons pieds dans l'eau. Beaucoup de Tunisiens se préparent bien avant la grande canicule pour ce "luxe" devenu incontournable pour une grande partie de la classe moyenne. C'est que la "concurrence" est de plus en plus rude avec les Algériens et les Libyens aux poches mieux garnies. Dès que le soleil commence à darder ses rayons, une quête effrénée de fraîcheur démarre. Tout le monde rêve de dénicher la perle rare. « L'écrasante majorité des familles cherchent une villa pieds dans l'eau ou en deuxième position maximum. Autres conditions, la demeure doit être fraîchement repeinte et joliment décorée. Il faudrait aussi qu'elle soit climatisée et assez proche des commerces », constate Adnane Saffar, un intermédiaire immobilier ayant pignon sur rue à Nabeul. Et de renchérir: « vers la mi-juillet, le moindre petit toit devient l'objet de toutes les convoitises avec des prix qui montent avec le mercure ». Ainsi, en plein centre ville, un appartement de trois pièces nouvellement construit se négocie 60 dinars la nuitée. Pour les surfaces plus importantes, en revanche, les intermédiaires immobiliers plus connus sous le nom de "samsaras" font la fine bouche. Ainsi sur la corniche, à vol d'oiseau de l'hôtel Kheops, un appartement S+4 revient à environ 800 dinars la semaine. Même "Lahouach" a définitivement perdu sa réputation de quartier populaire et mal famé. Avec ses maisons traditionnelles aux murs lépreux, ce quartier attire aujourd'hui de nombreuses familles tunisiennes et algériennes, séduites par une ambiance de village, la proximité de la plage et du marché municipal. Tout cela à quelques encablures du centre-ville... Autant d'arguments qui font flamber les prix. Comme à l'accoutumée, Hammamet détient la palme des loyers les plus élevés. Avec un bémol concernant les maisons datant des années 1960, pour lesquelles les vacanciers ne semblent plus prêts à investir autant qu'auparavant. Ces vieilles constructions se louent à des prix allant de 20 à 40 dinars la nuitée. Non loin du centre ville, la longue avenue de la République a, elle aussi, la cote. Les appartements assez spacieux s'y louent à des prix allant de 300 à 700 dinars la semaine selon les commodités et le confort. Pour les villas de luxe, la clientèle est toujours au rendez-vous. Ainsi une superbe villa de 300 m2 avec terrasse et piscine a été louée à 4500 dinars le mois. «Elle a été à peine négociée. Ce qui est fréquent pour ce type de résidences rares», souligne Omar Khochkhache, un commerçant, converti depuis fin mai en intermédiaire immobilier. Certains Tunisiens et beaucoup d'Algériens ne jurent aujourd'hui que par Merezgua. Dans cette région calme, nichée entre la montagne de Sidi Maâmar et la zone touristique avec ses hôtels rutilants, le luxe se paie d'autant plus fort que l'offre y est rare. Galvanisés par l'effet frime, certains estivants n'hésitent pas à casser leur tirelire. Une villa de 400 m2 a été récemment louée à 2500 dinars pour deux semaines par un émigré fortuné. Beaucoup de Tunisiens n'arrivent plus à suivre la cadence infernale des prix. «Depuis l'an 2000, je louais une maison avec piscine et vue imprenable sur mer. Cette année, le propriétaire a revu le prix à la hausse. Comme je ne roule pas sur l'or, j'ai dû m'éloigner deux kilomètres de la zone touristique », se plaint Selma, professeur d'Anglais. Du côté des intermédiaires, les Tunisiens ne sont pas toujours les bienvenus. « Franchement, je préfère de loin les Algériens et les Libyens. Pendant la saison de la chasse aux bonnes affaires, j'engage des rabatteurs, souvent des élèves qui veulent se faire un peu d'argent de poche. Ces derniers portent des pancartes en carton sur lesquelles est écrit "Algérie mon amour", "Maison de luxe à louer", précise Omar Khochkhache. Et d'ajouter : « Les locataires tunisiens ne sont que cinq personnes à la remise des clefs. Leur nombre se multiplie à l'approche du premier week-end. Il arrive qu'il atteigne vingt-cinq personnes dans un espace très exigu qui devient ainsi un véritable hangar ». A Berraket Essahel, à quelques pas de la station balnéaire huppée Yasmine Hammamet, le marché est toujours actif. Mais l'arrivée prochaine du Ramadan semble avoir convaincu les propriétaires de revoir leurs prétentions à la baisse. «Aujourd'hui, on peut trouver une belle villa à quelques mètres de la plage pour 400 dinars la semaine, contre 600 dinars en juillet », constate Aymen Meheddebi, un étudiant en gestion, devenu depuis début juin rabatteur pour le compte d'une agence immobilière agréée. En dehors des stations touristiques ayant pignon sur rue, les prix sont légèrement plus modérés dans les autres régions côtières comme Korba, Tazarka, Maâmoura et à un degré moindre Kélibia. Aussi bien à El Mâamoura qu'à Kélibia, il n'est pas rare qu'on négocie une belle maison de trois pièces ou un joli bungalow à mille dinars la semaine. Généralement, cependant, les prix oscillent entre 100 et 120 dinars la nuitée lorsque la maison (3 pièces) est face à la plage et entre 40 et 60 dinars lorsqu'elle est à 2-3 km. Indépendamment des prix, le business florissant, mais non déclaré, de la location représente une véritable bouffée d'oxygène pour l'économie dans les régions côtières surtout à l'approche de la boulimie consumériste liée au mois de Ramadan et à la rentrée scolaire. La multiplication des intervenants rend le marché de la location un tant soit peu chaotique. Il n'est pas en effet rare d'assister à des prises de becs, voire des bagarres entre intermédiaires immobiliers agrées et rabatteurs qui "chassent" dans le même secteur L'autre (nouveau) moyen de trouver des locataires et d'éviter au maximum les intermédiaires est de recourir à Internet. Il suffit de taper "maison Nabeul" sur Google pour voir un bon nombre d'annonces, photos à l'appui, proposées aux vacanciers de tous bords. Le phénomène n'est encore qu'à ses débuts (5-6 ans) et semble avoir d'excellents jours devant lui. Pour le moment, et si l'on excepte le fisc, tout le monde semble trouver son compte !